Fernando de Amorim
Biarritz, le 29 août 2025
La clinique de la psychanalyse a connu des moments de fulgurance dans le soin que le clinicien porte au discours de l’être : Freud avec Emmy, Lacan avec Marguerite. La grande majorité des analystes en font de même. Cependant, bichonner n’est pas suffisant, comme nettoyer le bateau n’est pas suffisant. L’important est de l’amener à bon port, nickel ou en épave. L’important est que l’être touche terre après sa circumnavigation, preuve qu’il est devenu sujet. Autrement dit, l’objet du désir est l’objet spécifique du désir du Moi, alors que l’objet de désir est l’objet que le Moi cherche partout. L’objet cause du désir, lui, est l’objet pulsionnel auquel l’être aura affaire pour construire sa position de sujet.
L’écriture dans l’organisme, les marques dans l’organisme, qui vient d’ailleurs que le signifiant, justifie mon hypothèse de la libido pure qui, de ne pas pouvoir s’exprimer humainement, à savoir par la parole bien dite, s’exprime sous forme de maladie organique. Affirmer cela ne signifie pas que j’interprète la maladie organique comme une expression émotionnelle, psychologique ou psychosomatique. Mon intention est de faire en sorte que l’être puisse dire et non passer à l’acte, agir ou se taire. Mon hypothèse est une invitation à ce que l’être soit responsable de son organisme, de son corps. Cela est possible par la parole bien dite, celle qui est portée par le signifiant.
L’inconscient n’a pas de temporalité propre. Personne ne sait ce qui se passe dans le registre de l’inconscient. En effet, ce qui se passe dans l’inconscient se passe dans la partie inconsciente du Moi. L’inconscient en tant que locus est inaccessible au Moi humain. Ainsi, évoquer la temporalité de l’inconscient consisterait à donner une intention, à faire une interprétation imaginaire de l’inconscient d’autrui, en l’occurrence l’inconscient du psychanalysant.
Si l’analyste peut se sentir à son aise d’affirmer qu’un analysant invente son style, je défends l’idée que le style est la conséquence de l’ascension de l’être à la position de psychanalysant. Comme l’être est encore dans la position de psychanalysant, il faut attendre qu’il occupe la position de sujet pour qu’il soit possible d’évoquer son style. Le lecteur remarquera qu’il n’est pas question ici d’invention, ou plutôt d’invention d’analyste : car un psychanalysant n’invente pas, il construit ; il construit son style.
L’analyste ne fait pas place, puisqu’il n’a même pas – pas encore – construit la sienne. Le psychanalyste, quant à lui, par sa présence silencieuse est témoin (µάρτυς), en occupant la position de l’objet a, de la construction de la position de sujet, processus de subjectivité propre à la psychanalyse. C’est pour cette raison, pour avoir supporté tel un martyr le transfert, que le psychanalyste peut témoigner que l’être est devenu sujet, dans le cadre du processus nommé passe par Lacan, terme qui, dans le langage marin, désigne le tour que fait le cordage sur un corps.
Si l’analyste fait place à l’objet, le psychanalyste accueille la construction de la position de sujet. L’ambition est ici mille fois plus imposante. Le psychanalyste ne fait pas place, il occupe une position : il incarne la position que représentera l’objet a pour le psychanalysant. Le psychanalyste n’est pas l’objet a, il ne fait pas semblant d’être. Il accueille en martyr, en témoin, la lutte parfois intestine du psychanalysant pour sortir de la mélasse qui est la sienne depuis qu’il est en vie jusqu’à son arrivée chez le clinicien. Si l’analyste occupe une place dans la cure, le psychanalyste, comme je l’ai écrit, occupe une position. Pour cette raison, il peut occuper la position de psychothérapeute, soit en institution, soit en ville quand le patient n’est pas encore apte à devenir psychanalysant. Pour occuper la position de supposé-psychanalyste, le clinicien doit savoir serrer les nœuds et les lâcher quand le Moi, tel un espadon, se montre trop virulent. La visée est de sortir l’être de sa mélasse. Avec son consentement, cela va de soi.
Un abord du Réel ne se trouve pas ; il ne s’invente pas non plus. Le Réel s’aborde par les bords ; cet abordage se construit par les bords. Vouloir une clinique du nouage sans savoir nager – mouvement qui s’apprend au cours d’une psychanalyse personnelle – expose l’analyste au risque de s’emmêler les fils, jusqu’à mettre sur pied des nids de souris ou des pratiques nuageuses, telle l’analyse pratiquée par des analystes à destination d’analysants.
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