Fernando de Amorim
Biarritz, le 19 août 2025
La manière dont a été et est portée la psychanalyse, depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui, ne lui permet pas d’être reconnue comme une science à part entière. Elle souffre du sabotage de ceux qui devaient et doivent prendre soin d’elle. En effet, si ceux-ci ne prennent pas soin de construire leur désir, ils ne peuvent pas prendre soin du bateau – l’autre nom de la psychanalyse – sur lequel ils ont embarqué. La psychanalyse d’hier comme d’aujourd’hui s’avère portée par la volonté du Moi. Qu’il s’agisse du Moi fort ou mou, il s’agit toujours du registre de la volonté du Moi et non pas de l’être.
Le désir de l’être, désir qui porte et est porté par le psychanalysant, désir qui porte le psychanalysant jusqu’à la porte de sortie de la psychanalyse, désir qui est porté par le psychanalysant devenu sujet, ce désir n’est pas encore là. D’où mon interprétation : la psychanalyse n’est pas encore là. Les défenseurs ainsi que les détracteurs jabotent entre eux pour se distraire, pour passer le temps, histoire de ne pas s’occuper de la construction de leur désir.
Comment donc critiquer un bateau si son capitaine n’a pas encore fait sa circumnavigation ? Est-ce raisonnable de confier un cargo à un Moi habitué à barboter avec une bouée en plastique ? La psychanalyse suppose une circumnavigation autour du désir de l’Autre. À la sortie de ladite circumnavigation, le psychanalyste a construit son désir à partir des signifiants castrés de l’Autre barré. Il est devenu apte à construire sa responsabilité de conduire aussi, tel un marin, sa destinée.
Une psychanalyse se fait grâce au psychanalysant et au supposé-psychanalyste devenu psychanalyste de ladite cure.
La psychanalyse existe quand un psychanalysant devient sujet. Elle ne l’est pas encore quand l’analyste n’a pas fait sa circumnavigation. Son Moi s’est accroché, avec le consentement parfois éclairé de l’être, à son rocher, à la navigation côtière, à l’embouchure. Ce n’est pas la psychanalyse qui est une « escroquerie », pour reprendre le mot de Lacan.
Je me répète : les effets d’une psychanalyse se jugent à chaque séance, jusqu’au moment où le psychanalysant quitte le divan car devenu sujet. Comme n’importe quel traitement, elle doit être jugée, sans pitié, mais à la sortie de la psychanalyse du psychanalysant. Pas avant, pas au commencement, pas pendant la navigation psychanalytique. À la sortie. Faire une psychanalyse n’est pas un sacrifice, c’est un effort, comme maintenir la tête hors de l’eau est un effort. C’est cela ou se noyer. Pour cette raison, je reçois uniquement les personnes qui souffrent. Celles qui viennent pour mieux se comprendre, pour se connaître, parce que le médecin le leur a conseillé n’auront même pas de rendez-vous ; elles seront refoulées, gentiment, dès le téléphone.
Quant au clinicien, il ne saura jamais s’il a vraiment été psychanalyste. Aucune garantie, définitive, aucun diplôme, c’est la destinée de celui qui choisit de naviguer sur le Hollandais volant. Le supposé-psychanalyste dans la clinique – pas dans la ville – incarne le capitaine hollandais Bernard Fokke qui, selon la légende, était rapide, laid, malhonnête et avait défié le diable. Il apparaissait et disparaissait sans laisser de trace, aux alentours du cap de Bonne‑Espérance. La légende raconte aussi qu’il fut maudit pour avoir appareillé un Vendredi saint et qu’il fut assassiné par son équipage. D’autres racontent que la peste avait été déclarée à bord et que, de ce fait, le navire avait été rejeté de tous les ports par peur de la contagion, ce qui avait poussé le capitaine à errer sans fin sur les mers.
Il convient ici d’entendre le « je leur apporte la peste », qu’aurait prononcé Freud lors de l’entrée de la psychanalyse aux États-Unis. Autrement, dit, dans la position de psychanalyste, le clinicien est rapide ; il ne séduit pas, il est laid ; il est malhonnête, car il utilise des artifices comme l’hypocrisie et le mensonge pour déjouer les stratagèmes du Moi ; il défie le diable, l’autre nom des organisations intramoïques ; il apparaît et disparaît, tel le poinçon lacanien ; il travaille les jours religieux. À ce propos, une jeune femme est venue demander à entrer au RPH – École de psychanalyse. Je découvre qu’elle est disposée à travailler tous les jours de la semaine, sauf le samedi car « je ne travaille pas le samedi, je suis juive », selon ses dires. Une autre souhaite adhérer à l’école, mais veut porter le voile car elle se dit musulmane. Les deux candidatures sont rejetées sur le champ. Le clinicien dans la position de psychanalyste est cible constante du Moi et de la haine de ce dernier, car le clinicien révèle et donc réveille la haine du Moi, ce qui justifie que le psychanalyste apporte effectivement la peste à la tranquillité aliénée et aliénante du Moi.
Le psychanalyste a déjà fait l’expérience du voyage aquatique, fluvial, et il est avancé dans son voyage maritime en relation à celui qu’il reçoit. Le clinicien dans la position d’objet a possède une carte maritime, l’autre nom de la théorie. Cette carte-théorie est corrigée à chaque voyage, avec chaque psychanalysant. Les psys ignorent cette carte, ils ne savent pas la lire. Les analystes ont voulu la figer.
Repenser la position du clinicien (I)
Repenser la position du clinicien (II)
Repenser la position du clinicien (III)
Repenser la position du clinicien (IV)
Repenser la position du clinicien (V)
Repenser la position du clinicien (VI)
Repenser la position du clinicien (VII)
Repenser la position du clinicien (VIII)
Repenser la position du clinicien (IX)
Repenser la position du clinicien (X)
Repenser la position du clinicien (XI)
Repenser la position du clinicien (XII)
Repenser la position du clinicien (XIII)
Repenser la position du clinicien (XIV)
Repenser la position du clinicien (XV)
Repenser la position du clinicien (XVI)
Repenser la position du clinicien (XVII)
Repenser la position du clinicien (XVIII)
Repenser la position du clinicien (XIX)
Repenser la position du clinicien (XX)
Repenser la position du clinicien (XXI)
Repenser la position du clinicien (XXII)
Repenser la position du clinicien (XXIII)