Fernando de Amorim
Paris, le 6 juin 2025
La psychanalyse est un locus, c’est un bateau – Fluctuat nec mergitur – qui est battu par les conneries, par les ignorances, mais qui ne sombre pas. C’est ainsi que je la représente.
J’apprends qu’une psychologue, musulmane, voilée, qui s’intéresse à l’approche psychanalytique (sic !), reçoit des patients, des enfants, adultes et pubères, dans le cadre de sa pratique de psychologue.
La dame est psychologue. Elle a le droit de recevoir des patients. Le problème est « le machin qu’elle porte sur la tête ! » Le « machin » est la formule de la mère qui arrive à ma consultation avec sa fille de 13 ans. Elle faisait référence au tissu noir de la psy. De plus, noir.
D’emblée – parce que je prends la chose comme elle est : ridicule, et le ridicule ne tue pas (quoique !) – la consultation de cette psy est contre-indiquée aux dépressifs, auto-dépréciatifs, déprimés, mélancoliques. Tendances suicidaires s’abstenir aussi. Une analyste lacanienne, quand elle est dans l’embarras, lit des paragraphes du Séminaire La relation d’objet à l’analysant allongé. Dans quelques semaines, si cela continue avec cet élan joyeux en abrutissement, il sera question de lire des sourates aux obsessionnels récalcitrants.
Que le lecteur imagine, en pleine consultation, Freud en kippa, Lacan avec une croix latine au tour du cou ou l’auteur de ces lignes en string brésilien, puisque je suis né au Brésil. Quelle horreur !
La clinique psychique est une affaire d’éthique, de dignité, d’élégance, de civilisation, et non d’ignorance assumée en place publique.
Il est important d’occuper une position convenante, modérée, discrète, et non d’étaler son idéologie ni de faire la publicité de son Moi fort tout en touchant sa paye. Ce n’est pas uniquement maladroit, c’est malhonnête. Une zinzinerie que les professeurs d’université et les syndicats de psychologues acceptent sans broncher. Ils ne sont pas du côté du patient, de celui qui souffre, ils sont du côté du maître.
La consultation est un lieu sacré. Ce n’est pas un lieu pour baiser avec des patientes, pour vendre son diplôme au plus offrant pour arrondir sa retraite. La nouveauté : la consultation devient un lieu pour promouvoir son idéologie.
Il paraît que celui qui ne participe pas à l’idéologie de la dame est un mécréant. Comment faire quand il se produira ce phénomène nommé par Freud résistance et que le patient ne sera pas d’accord avec l’intervention de la psy – supposons : adhérer à porter le voile pour soigner son bégaiement ? Il faudra l’expulser de la consultation, lui promettre l’enfer, le tuer ?
Les psys ne sont pas des gens très courageux. C’est mon constat en tant que psychanalysant. Mais il me semble important qu’ils puissent rappeler aux candidats à devenir psy (psychologue, psychiatre, psychothérapeute) que la clinique n’est pas un lieu de propagande de son idéologie intramoïque, de sa décision sexuelle, de son restaurant préféré.
La clinique est un lieu possible pour que le Moi en souffrance parle et que quelqu’un, habilité à l’écoute, puisse la fermer et écouter.
Cependant, comment exiger de l’éthique de la part des étudiants si les professeurs ont la police et le ministère de l’Enseignement supérieur aux fesses ?
Il me semble que le moment est venu pour que les psys, les confrères de la « psy voilée » prennent soin de ce qui se passe dans leurs rangs.
De mon côté, il n’est pas question d’accepter qu’une voilée reçoive des patients dans la Consultation Publique de Psychanalyse. Le moment clinique confère à l’être, à son corps, un caractère solennel, respectueux. Je suis contre le voile, contre la connerie, la stupidité, les chaussures sales, les décolletés, les jupes courtes. En somme, toute forme de négligence et d’irrespect envers le patient mérite mon mépris. J’ai été éduqué cliniquement de la sorte ; je maintiens cette directive avec les jeunes qui m’ont fait l’honneur de me confier leur formation psychanalytique.
La clinique, ce n’est pas un lieu de propagande, de folklore, de folie.
La folie est du côté de celui qui souffre et non du côté de celui qui soigne. De là l’importance, selon Freud, que la psychanalyse du psychanalyste soit sans fin.