Fernando de Amorim
Montmartin, le 8 mai 2025
Le titre de cette brève n’est pas un plaidoyer pour la psychanalyse.
Hier, le docteur Ouarda Ferlicot me signale que la Haute Autorité de Santé lance une consultation publique sur les interventions et le parcours de vie de l’enfant et de l’adolescent autiste, avec une réticence : « Certaines méthodes et approches ne sont pas recommandées dans la prise en charge et l’accompagnement de l’autisme, en raison de leur absence de validation scientifique. Ces méthodes incluent : […] les interventions basées sur des approches psychanalytiques […]. »
Ne sont pas recommandées ? Qui est cette autorité supérieure qui détermine cela ? J’aimerais confronter nos cliniques pour que, scientifiquement, je puisse officiellement être d’accord avec ladite autorité.
C’est cela que je nomme tentative d’assassinat de la psychanalyse. Ce titre me vient du film Section spéciale de Costa‑Gavras, qui relate la création par le gouvernement de Vichy d’une cour spéciale pour juger les résistants ou présumés comme tels.
La visée n’est pas uniquement l’assassinat de la psychanalyse, mais celui du désir que porte chaque être, désir étouffé, amputé, et qui, en dernier recours, fait symptôme : il fait maladie, il ne fait plus rien du tout, il occupe la position d’autiste.
Je pense, avec le poète, qu’« à un moment donné mourra aussi l’enseigne, et / mourront aussi les vers de leur côté. / Après un certain temps mourra la rue où était l’enseigne, / ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits. / Puis mourra la planète tournante où tout cela s’est produit. »[1]
Mon objectif est de répondre à la question : comment faire pour vivre en humain, en adulte, voire en sujet, une fois que le cœur bat et que l’être humain est parmi nous ? La construction de la position de sujet est une voie viable. C’est ce que propose une psychanalyse.
C’est en tant que psychanalysant, doté d’un esprit scientifique, que je défends la psychanalyse car, grâce à elle, je suis sorti de ma difficulté d’être en vie, de ma difficulté d’être parmi les vivants. Comme les autistes.
De là ma question : pour quelle raison lutter pour tuer la psychanalyse si elle peut constituer une voie possible pour s’inscrire autrement dans sa vie ?
J’examine l’efficacité de la psychanalyse à chaque séance, histoire de repérer si, scientifiquement, elle tient la route. En tant que psychanalysant, j’atteste qu’elle tient la route. En tant que psychanalyste, je confirme le résultat grâce au témoignage du psychanalysant. Je ne tire pas de conclusions scientifiques à partir d’interprétation de la « littérature internationale », comme l’avaient fait les experts de l’Inserm pour évaluer la psychanalyse. La honte, comme disent les jeunes.
Ce qui me pousse à écrire cette brève, c’est l’injustice que la psychanalyse subit du Moi des majeurs, qu’ils soient parents, psys, médecins ou fonctionnaires. La psychanalyse peut être efficace, à condition de savoir s’en servir.
Ma conclusion personnelle est que la psychanalyse assure, comme disent aussi les jeunes.
Ce qui me fait affirmer cela, c’est que je suis devenu quelqu’un grâce à la construction de mon désir sur le divan.
À partir de cette expérience, je me suis mis à recevoir des patients, entre autres des autistes.
Le dernier en date est venu avec un diagnostic d’autisme posé par un service pédopsychiatrique parisien.
Des mois de séances plus tard, le même service a établi que ledit enfant n’était plus autiste, mais était devenu « autiste léger ». C’est quoi ce diagnostic à deux balles ?
Comment ce changement de position subjective chez cet enfant est-il possible ? Voici mon hypothèse : grâce à l’engagement de sa mère, de l’enfant lui-même et du désir du psychanalyste.
Si les fonctionnaires de l’Altissime hautorité veulent ignorer ce que je fais au RPH, cela ne me dérange guère. Cependant, ils ne rendent pas service à ceux qu’ils doivent servir, à savoir l’autiste, sa famille, la société.
Je ne suis pas disposé au sacrifice, car si je défends la psychanalyse bec et ongles, cela va la transformer en une idéologie. Je signale simplement qu’elle fonctionne. Si les fonctionnaires de l’HAS ne veulent pas d’elle, qu’ils la sacrifient.
En attendant qu’ils l’étouffent à petit feu, j’affirme que la psychanalyse est une science, avec une méthode et des techniques précises ; science qui peut être utile à la société, aux parents et surtout à l’enfant.
Cependant, je constate que les majeurs ne sont pas des adultes et, en tant que tels, ils n’aiment pas le désir, n’aiment pas le désir naissant de l’enfant, car ils n’aiment pas le leur, ce qui rend logique leur refus de défendre, de protéger, de vouloir le discours psychanalytique, discours qui défend haut et fort le désir.
Le psychanalyste est au service de celles et ceux qui désirent construire leur propre désir. Le psychanalyste n’a pas de temps à perdre avec des discutailles de cabinet feutré.
Une « approche psychanalytique », comme l’avaient écrit les seigneurs de l’HAS, n’a rien à voir avec la psychanalyse, tout comme nager dans une piscine couverte n’a rien d’une navigation hauturière.
En fin de compte , les fonctionnaires de l’Altissime hautorité de santé ne savent pas de quoi ils parlent quand ils évoquent les approches psychanalytiques.
De même celles et ceux qui représentent lesdites approches.
De là ma question : pour quelle raison lutter pour tuer la psychanalyse si elle peut être une voie possible pour s’inscrire autrement dans sa vie ? Voici quelques réponses :
Parce que le Moi du majeur (parent, psy, médecin, fonctionnaire), n’aime pas l’enfant ;
Parce que le Moi du majeur (parent, psy…), ne s’aime pas lui-même ;
Parce que, si le je ne s’aime pas, impossible d’aimer autrui ;
Parce que les autistes sont des êtres qui ont abandonné la partie, à savoir être dans le monde avec leurs semblables ;
Parce que les organisations intramoïques des responsables des autistes ne veulent pas de ces enfants ;
Parce que les gens qui se disent psychanalystes sont, à vrai dire, des psys, voire des analystes, donc pas encore prêts pour assurer la cure du Moi indécis de l’autiste.
[1] Pessoa, F. « Bureau de tabac », in Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, 2001.