Fernando de Amorim
Paris, le 2 aout 2025
Quelle relation entre le bébé nageur et le « psykk » [prononcer psykaka] ? C’est l’agressivité déclarée, ou voilée, du Moi, du maître.
Le Moi du majeur invente des formes d’expression saisissantes pour exprimer sa haine, sa volonté de vengeance, tout en justifiant que c’est pour le bien d’autrui – en l’occurrence, celui de l’enfant, auquel je m’intéresse ici. La dernière en date vient des dires d’une psychanalysante qui raconte qu’une de ses voisines jette son enfant dans la piscine pour montrer qu’il sait naturellement flotter. Son explication est qu’il s’agit d’une technique nommée « bébé nageur ». Elle indique que l’enfant a vécu dans l’eau et que les être humains, selon la théorie de l’évolution, ont un côté amphibien. La mère, dit la psychanalysante, reste à côté. Pendant ce temps, l’enfant flotte. Je demande à la psychanalysante si l’enfant est d’accord ou content de se faire jeter à l’eau sans savoir nager. Elle me dit que l’enfant pleure.
J’ai vu deux vidéos. Dans la première, l’enfant est à l’aise. Dans la seconde, il est mis dans une position plus délicate ; on y voit la mère qui veut vérifier si son enfant est étanche (waterproof). Ce qui attire mon attention, c’est que quelqu’un de plus fort que lui le jette dans l’eau sans son accord, le pousse vers le fond sans son consentement.
Je ne peux pas dire l’avenir de cet enfant. Il nagera probablement très bien, mais aura-t-il confiance en autrui ?
La mère de l’enfant décrite par la psychanalysante lui dit que le corps de l’enfant parle et qu’il veut de l’eau, du fait de son expérience intra-utérine. Mais le corps ne parle pas, contrairement à ce que défendent quelques psychosomaticiens ou endormeurs, l’autre nom des hypnotiseurs. Le corps exprime le refoulé. Celui qui parle, c’est le Moi, par sa voix propre – celle de la conscience – quand il parle faux ou par la voix de l’Autre non barré quand il parle mal, voire par la voix de l’être quand ce dernier porte et assume les signifiants qu’il apporte de l’Autre barré et qui m’autorisent à dire qu’il parle vrai.
Régler son Œdipe, c’est choisir quelqu’un de meilleur que son père et sa mère, dixit un psychanalysant. Quand le Moi ne se castre pas de son Œdipe, il le répète dans sa vie de majeur. La fonction d’un parent est de sécuriser, d’aimer, de respecter l’enfant. L’enfant respecté respecte. S’il est débordé par ses pulsions – par identification à autrui ou aux organisations intramoïques de ce dernier – la responsabilité du parent est de faire usage de son autorité pour canaliser la libido qui nourrit les organisations intramoïques quand l’enfant parle mal ou agresse autrui.
Comment apprendre à nager sans vivre l’expérience d’être jeté à l’eau – dans la deuxième vidéo, l’enfant n’y va pas seul, il est poussé – comme traumatisante ? Je ne doute à aucun instant que la mère de cet enfant ne voulait pas lui faire du mal, le traumatiser, même s’il est su que l’enfer est pavé de bonnes intentions, intentions du Moi.
Le Moi est aliéné, donc il ne sait pas ce qu’il fait, tel un innocent. S’il sait et qu’il fait, c’est parce qu’il valide la parole de l’Autre non barré ou l’acte de la résistance du Surmoi.
Dans cette même vidéo, l’enfant pleure. Je ne sais pas s’il pleure de détresse, de désespoir ou de rage de se voir impuissant face à celle en qui il n’a d’autre choix que d’avoir une confiance aveugle. Elle a – et il le sait – sa vie entre ses mains. Être jeté dans la piscine sans savoir nager met l’enfant dans un état de détresse extrême, car sa vie est intentionnellement mise en danger par celui ou celle qui doit le protéger. Il s’agit d’une preuve de pouvoir du Moi du majeur sur l’enfant en tant qu’objet car, si la majeure décide de ne pas récupérer l’enfant, ce dernier ne sortira pas seul de la piscine.
Jeter quelqu’un dans l’eau sans son consentement n’est pas une technique à utiliser, ni avec un enfant ni avec qui que ce soit. L’être entre dans l’eau quand il le désire et non selon la volonté du Moi d’autrui.
Quand autrui, surtout pas n’importe qui, telle une mère ou une personne de confiance de l’enfant, force le Moi de ce dernier à désirer, il n’y a plus de désir de l’être, car le désir vient de l’être, pas d’autrui. Quand le désir est accablé par le désir d’autrui, il se transforme en inhibition, en symptôme, en angoisse. Dans ce cas de figure, le plaisir d’entrer dans l’eau, de nager, de s’amuser, n’est plus au rendez-vous.
Le psychiatre Joachim Müllner, dans un texte sur LinkedIn – texte qui a précédé le souhait sincère des jeunes cliniciens du RPH – École de psychanalyse que les uns et les autres puissent avoir « un bel été » – avait écrit ce qui suit : « ÇA EXISTE ENCORE LA “PSYCHANALYSE” ? Je viens encore une fois de recevoir une demande de mise en lien par un “psychanalyste” et une fois de plus de voir des posts de psykk racontant des trucs et des machins en pensant parler là de la réalité plutôt que de leurs croyances. Alors je leur demande : à quel moment les astrologues ont à voir avec les astrophysiciens autrement qu’à dire qu’eux aussi ils aiment regarder les étoiles ? ». J’ai beaucoup aimé son « psykk ». C’est mignon. Enfantin, mais mignon. La psychanalyse existe parce que les psychanalysants ne peuvent pas compter uniquement avec les psychotropes pour s’inscrire autrement dans le monde. Le monsieur évoque l’astrologie et les astrophysiciens. Tycho Brahe et Kepler faisaient un peu d’astrologie, les barbiers faisaient de la chirurgie tout en étant méprisés par les savants, ceux qui parlaient et écrivaient en grec et latin, les médecins reconnus attaché à l’Université et à la Cour. Autrement dit, les barbiers se démerdaient comme ils pouvaient pour gagner de quoi nourrir leurs familles. Quant à Tycho, ses observations et calculs ont ouvert la voie aux lois de Kepler et ces deux savants ont financé leurs travaux en faisant payer leurs interprétations imaginaires à de riches clients.
Je suis pour une clinique du partenariat entre psychiatre et psychanalyste, parce qu’un psychiatre sérieux sait que prescrire des médicaments n’est pas suffisant pour aider les êtres qui souffrent. Parce que quand ceux-ci sont dans la merde – ici, il n’est plus question d’enfantillage, fini le pipi caca – il faut, et c’est un impératif, compter avec quelqu’un qui tient la route, qui est préparé – après cinq ans ou plus pour les psychologues, après douze ans ou plus pour les psychiatres – pour supporter et manier le transfert. La formation d’un psychanalyste, c’est au moins vingt ans et, au RPH, les psychanalystes continuent leur psychanalyse personnelle après avoir été reconnus en tant que tels. Au contraire du psychologue et du psychiatre, même si les membres du RPH sont tous diplômés, le psychanalyste met sa compétence sur la table, non tous les jours, mais à chaque séance. Il faut faire un effort de respect, monsieur, et surtout apprendre à séparer le bon grain de l’ivraie.
La psychanalyse se maintient à flot, comme un bateau en bambou. Braver l’océan Inconscient en coracle, tel est le métier du psychanalyste. Naviguer dans ces conditions n’est pas donner au premier venu.
En revanche, pour ce qui est du psychanalyste, je me pose la question aussi. La question du monsieur sent le caca d’enfant coquin. En tant que psychanalyste et toujours psychanalysant, je la prends très au sérieux et sérieusement je tâche d’y répondre.
Non tous les jours, mais à chaque séance.
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