Fernando de Amorim
Paris, le 7 juillet 2025
Je viens d’apprendre que L’Express a publié un papier sur la réforme de la psychologie. Comme je n’ai pas pu trouver la version papier, j’ai lu la version numérique, où je découvre, titrée en anglais, la photo d’une dame avec un monsieur presque en face d’elle. Pour la caricature d’une approximation entre psychanalyse et psychologie, le magazine ne pouvait faire mieux.
Affirmer que la santé mentale est la grande cause nationale de l’année 2025, c’est utiliser des mots creux pour une publicité vide. Si la santé mentale était vraiment une cause nationale, le gouvernement prendrait correctement soin des Français.
Le procureur de la République François Molins, dans une interview sur les attentats commis il y a dix ans, a déclaré : « En 2015, la France n’est pas sortie de l’État de droit. »[1] L’État de droit est bafoué depuis fort longtemps, dès qu’un Moi s’exprime avec l’élégance qui le caractérise : « La République, c’est moi ! », au mépris des femmes et des enfants, et de ceux que ne sont pas d’accord avec lui.
Ce discours du Moi, inspiré par ses maîtres dictatoriaux et intrapsychiques, est-il caractéristique d’une classe sociale, économique ou autre ? Non, il s’agit de la condition même du Moi humain.
Quand je demande, depuis septembre 1991, que les locaux publics soient utilisés pour installer les jeunes psychologues et psychiatres désireux de devenir des cliniciens, peut-être même des psychanalystes, je ne reçois que des lettres vides, avec remerciements et promesses creuses. Comme cette idée simple, voire bête comme chou, n’a pas eu de succès auprès des responsables politiques, j’ai décidé, autorisé par mon épouse et mes enfants, d’acheter un local pour accueillir étudiants et Français en détresse. Cette détresse qui donne envie de ne pas aimer, de ne pas travailler, de détruire ; détruire les Français « parce que, en 1895, les Français ont été méchants avec… », détruire le voisin « parce qu’il m’a regardé de travers », détruire une jeune clinicienne en lui laissant des commentaires déplaisants sur internet, détruisant ainsi son travail.
La psychanalyse, la vraie, est là. Le Moi, cerbère des organisations intramoïques, ne voit pas plus loin que le bout de son nez : je n’étais même pas né, pourquoi dois-je porter le poids de la colonisation ? de la folie meurtrière de mon voisin ? du fait que la clinicienne a fait son travail, travail qui implique de dégonfler le Moi faisant presque la taille du bœuf de monsieur de la Fontaine ?
Le Moi est le cerbère des ORGanisations Intramoïques (ORGI), comme je les nomme gentiment, sorte de clin d’œil à l’Autre non barré (A) et à la RÉSIstance DU Surmoi (RÉSIDUS), que je représente par une fourche (⋔), non pas le symbole propre à l’intersection transverse en mathématiques, mais plutôt en référence à la fourche patibulaire qui servait, au Moyen Âge, à pendre les condamnés à mort. Quelques siècles plus tard, ces mêmes fourches patibulaires seront utilisées pour exposer les cadavres, histoire de dissuader l’être de se rebeller. Le Moi, toujours lui.
Qu’est ce que cela a à voir avec l’ingénieur Franck Ramus ? Les psychothérapies « sont le traitement de première ligne recommandé pour beaucoup de troubles mentaux », énonce l’article. Mais une psychothérapie ne se fait pas sans psychothérapeute. C’est ici que le bât blesse.
Psychothérapeute, il n’y a pas. Il y a bricolage : « psychologue clinicien », « psychiatre qui se prétend psychothérapeute et remplit des fiches de remboursement » au même rythme que mon petit-fils mange des bonbons, techniques de dressage du Moi, type TCC, psychologues qui s’approprient le préfixe « neuro » pour faire plus médecin que le neurologue – qui, lui, a potassé sa médecine pendant des années, a assuré des gardes, a fait des efforts, parfois des sacrifices, pour le devenir.
Écrire cela diminue-t-il le psychologue ? Pas du tout. Simplement, il n’est pas prêt pour la clinique, la vraie.
Il faut se former pour être clinicien et l’unique discipline qui peut former les détenteurs d’un diplôme de psychologue ou de psychiatre à assurer des psychothérapies, voire des psychanalyses, c’est la psychanalyse. Se rouler par terre, injurier Freud, Lacan, le Saint-Esprit, ne sortira pas le praticien de l’embarras. Pour ce qui est du vrai neurologue, ma proposition est la clinique du partenariat, partenariat avec les psychanalystes.
La psychothérapie ne doit pas être remboursée par la Sécurité sociale. Ceux qui défendent une telle idée ne sont pas des cliniciens ou dépensent un argent qui ne leur appartient pas.
La CPP – Consultation Publique de Psychanalyse – propose que les patients règlent selon leurs moyens et que des étudiants puissent les recevoir. Le patient ne paye pas ou peu ; l’étudiant, quant à lui, apprend pour de vrai ce qu’est la clinique. J’avais donc proposé au gouvernement d’utiliser des bâtiments publics pour que ces étudiants, en psychanalyse personnelle et en supervision, puissent recevoir des patients, avec le calcul suivant : pour chaque séance, une partie de la somme revient à l’étudiant, une autre partie à l’association de psychanalyse et une troisième aux caisses de l’État pour la location des lieux. Ainsi, l’État est financièrement gagnant, l’association ne demande plus de subventions à son nichon gouvernemental et l’étudiant trouve le plaisir de voir les effets de la théorie apprise à la faculté confrontée à la clinique vraie. Entouré de fonctionnaires assurés de leur paie en fin de mois, avec des avantages et une retraite garantie, le gouvernement n’a pas répondu à ma proposition.
En apprenant qu’un étudiant ne mangeait pas à sa faim, je me suis vu dans le devoir d’aider une association qui distribue des denrées alimentaires aux étudiants universitaires français. Honte à nos politiciens ! Honte à vous !
Le RPH, Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital, avec sa trentaine de membres réunis, participe à la vie économique française à hauteur de 2 000 000 d’euros par an. Cela, sans demander un seul centime ni à papa ni à maman, les autres noms de l’État.
Ce même RPH est méprisé, calomnié. Cela m’amuse. Sauf quand je constate les effets de cette haine sur des jeunes gens qui s’accrochent à mon enseignement.
Le dispositif « Mon psy » est un gaspillage monumental d’argent et de désir humain mis en place par des gens irresponsables et incompétents. Il n’apporte aucun résultat clinique. Mon « psy », l’« analyste », comme mon « tél », ma « boulange », ce sont des manières non seulement de sacrifier la langue, mais aussi d’indiquer le niveau de misère du Moi de celui qui parle. Valider cette misère linguistique, verbale, comme le fait l’article, c’est tirer l’être vers le bas tout en gonflant davantage le Moi. Mais je reconnais que l’appellation de « psy » est bien méritée, parce que ce dernier n’est pas à sa place. Et si le « psy » est perdu, il va de soi qu’il ne saura pas conduire la psychothérapie.
Les Français consomment des psychotropes parce que personne, aucun professionnel, ne s’engage à discuter la fonction de celui qui conduit une psychothérapie. La position de psychothérapeute est intime à celle du passeur, représenté dans la mythologie par Charon, le nocher qui navigue et transporte les êtres sur le Styx vers le royaume des Enfers. L’enfer du quotidien : comment le traverser ? Comment rendre le quotidien possible, apaisé ? C’est ici qu’intervient le psychanalyste, qui peut occuper la position de psychothérapeute – ce que ne peut pas le psychothérapeute (diplômé en psychologie ou psychiatrie) ou l’analyste : le premier assure une navigation piscinale, d’étang, voire fluviale quand il est doué ; le deuxième fait dans le cabotage, forme de navigation qui ne quitte pas des yeux les côtes, car s’il le fait – au delà de 20 milles marins – il risque de se perdre dans l’immensité de l’océan Inconscient. L’ironie de la langue fait du cabotage une sorte de çabotage de l’analyste vis-à-vis de son désir et de la psychanalyse. Le psychanalyste, quant à lui, tel Elcano, fait dans la navigation hauturière, part porté par son désir et guidé par le désir du psychanalysant. Le psychanalyste, c’est mon Χάρων.
Il ne faut pas faire entrer les psychothérapies dans la nomenclature de l’Assurance Maladie car névrose, psychose et perversion ne sont pas des maladies comme le cancer : ce sont des structures psychiques. Il est question ici de souffrance et non de maladie dans le sens strictement médical. Comme le gouvernement ne réunit pas les professionnels autour de la table, avec des projets et des résultats à juger après six mois d’expérimentation, chacun donne son avis. Et Ramus ne manque pas de donner le sien. Mais quand on sait que la Marine nationale part en mer sans les munitions nécessaires pour contrer d’éventuelles attaques ennemies, comment penser que ceux qui gèrent notre vie seront capables de prendre en charge la santé mentale des Français ?
Un député vient de se pendre. Dans mon équipe, depuis plus de quarante ans, nous n’avons jamais eu affaire au suicide. Pour quelle raison ? Grâce au dispositif freudo-lacanien que j’ai mis en place. En termes de députés, mes références sont Victor Hugo et Charles Wilson. Quand je vois des élus qui se donnent en spectacle dans l’hémicycle, je pense que le peuple français a le gouvernement qu’il mérite. C’est ainsi. Un peuple malade accepte des représentants psychiquement malheureux.
Quand l’auteur de l’article écrit que « seules les trois premières catégories sont des professionnels diplômés », à savoir « psychiatres, psychologues, psychothérapeutes », il exclut les psychanalystes, qui viennent en quatrième position de sa liste, indiquant un parti pris et une méchanceté ignorante envers eux. Haine, quand tu nous tiens. Toujours La Fontaine.
Je ne connais aucun psychanalyste qui ne soit pas diplômé d’université. Il semble que l’auteur cherche une garantie, garantie de « soins de qualité ». La qualité de soin est une recherche que seuls les braves ont la force de mener. Des six « psys » aux portes desquels j’ai frappé en demande d’aide, seulement trois ont été à la hauteur.
J’ai inventé un dispositif pour répondre à la préoccupation, légitime, de monsieur Ramus : quand un patient arrive chez un psy, il doit lui demander s’il est en psychanalyse personnelle. Si c’est le cas, le patient lui donne une chance de montrer sa compétence clinique ; s’il répond non, s’il essaye de vous baratiner, je dis au patient : « Partez ! » Il peut avoir tous les diplômes qu’il faut, s’il ne prend pas soin de lui-même, s’il est gras comme un porc, s’il pue, s’il manque d’élégance, s’il a peur, s’il essaye de vous dresser avec des techniques qui ont « donné des résultats scientifiquement », partez ! Tel est mon bon conseil.
Restez avec celui chez qui, dans vos yeux, le désir s’allume. Il ne s’agit pas ici de séduction – cette remarque vise le lecteur innocent, voire abruti. Il ne s’agit pas du désir sexuel. Quand on parle de « désir » en psychanalyse, il s’agit d’un désir où le manque est le fondement et le rien comme objet, le précieux.
Dans un premier temps, la rencontre avec le psychanalyste n’est pas forcément agréable pour le Moi. Dans mon cas, j’ai commencé à trouver un apaisement douze ans après, à la sortie de ma psychanalyse. Lecteur, si vous n’avez pas un argument rationnel pour abandonner cette navigation psychanalytique, restez et ramez dans les eaux de votre enfer. Un jour, comme Rodrigue de Triana, vigie sur la Pinta, votre être devenu sujet criera : « Terre ! Terre ! » Alors, le moment sera venu de descendre du divan et de marcher. Vous serez devenu quelqu’un.
Avec ses airs de scientifique, monsieur Ramus ne m’a pas encore convaincu.
Il me semble important d’ouvrir un dialogue clinique et théorique. Preuve à l’appui. La scientificité sera la conséquence logique de la clinique du sujet psychanalytique ou de l’usage de la technique de dressage du Moi.
Le dressage du Moi ne me gêne guère : quod licet Iovi non licet bovi. Je travaille sans discrimination. Je suis un réanimateur. Je réveille des fantômes, porté par le désir du psychanalyste que le fantôme devienne humain. Je réanime ce dernier pour qu’il commence à survivre. Quand il survit, je le réanime pour qu’il vivote. Quand il vivote, je vise à le réanimer à vivre. Quand il vit, je le réanime pour qu’il devienne être castré, castré symboliquement, qu’il se pousse à devenir sujet. Il est alors prêt pour le monde, pour l’immonde. La tête haute et le sourire aux lèvres de celui qui sait ce qu’il a à construire.
Pour Ramus, le parti pris est évident : la psychanalyse est associée à des chapelles. Selon lui, les TCC sont des « thérapies ayant fait la meilleure preuve de leur efficacité ». Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis la manœuvre coquine des tccistes. Avant, ils parlaient de TCC comme d’une technique cognitive et comportementale. Voyant le vent tourner – ils sont malins, les coquins – et constatant que technique devenait un mot déplaisant, voire péjoratif pour traiter l’humain, ils ont tout bonnement changé le « t » de technique pour le « t » de thérapie. L’habit du Moi a changé, certes, mais le Moi est toujours le même : aliéné, cerbère, méchant.
Ramus veut offrir des garanties. Le mot revient à plusieurs reprises sous sa plume. Tel un père du peuple, ici le patient désemparé, il veut les protéger.
Il décrète que « les pouvoirs publics n’ont plus le choix ». Le discours paternaliste devient un discours d’une autre nature. Cela évoque le magnifique Commode. Gentiment, l’air amusé, faussement amical, entre Molière et Labiche, je dis : « Du calme, Franck ! »
Lorsqu’il réclame l’habilitation « à mener certaines formes de psychothérapie », il semble viser les techniques de dressage du Moi, les fameuses TCC.
Pourquoi pas… Il semble que l’avenir sera glorieux.
Il souhaite attirer les décideurs politiques dans une logique de mise en place d’un « référentiel national », regroupant ceux qui « pratiqu[ent] les psychothérapies efficaces ». Puis il tend son panem ultime au peuple : « pouvant faire bénéficier leurs patients du remboursement de leurs soins ». Et il y aura « les autres ». Bien évidemment, cela va de soi, je m’installe du côté des autres.
Ça sent mauvais. Mais il réussira. C’est propre au Moi.
Pour conclure, il ne faut pas mélanger le psychanalyste avec le « psy ». Sous peine de réponse psychanalytique.
[1] « En 2015, la France n’est pas sortie de l’État de droit », L’Histoire, collections n° 108, juillet-septembre 2025.