Fernando de Amorim
Paris, le 9 octobre 2024
Pour M. B. ; S. D. ; L. B. ; É. de A.
Parce qu’elles me posent des questions qui comptent.
Au commencement était le rien. L’être humain, après avoir traversé les eaux jamais sillonnées de l’inconscient, devient sujet à la sortie de psychanalyse. Il s’engage alors à construire l’objet rien.
Un peu d’histoire
L’objet en psychanalyse est celui qui fait partie de la composition de la pulsion. C’est l’unique objet qui compte, objet princeps de l’être humain ; les autres, à venir, sont des composites inventés par le Moi.
L’objet pulsionnel relance – grâce au rien localisable entre le but représenté par le carré et l’objet représenté par le cercle – la libido, le désir humain, la pulsion dans son intégralité (source, poussée, but, objet). L’objet fondamental, lui, ainsi que le fantasme fondamental de Lacan, concernent le désir de l’Autre. Cet objet et ce fantasme concernent la relation du Moi à l’Autre non barré. Ce n’est pas cela qui m’intéresse ici.
C’est cette intégralité pulsionnelle qui justifiera l’autre comme objet d’amour ou de haine : Iste ego sum, « Tu es moi » dira Ovide dans Métamorphoses (Livre III).
Il faut entendre ici : « Tuez-Moi ! »
L’être, par lâcheté, souhaite ardemment la mort. Le Moi, par aliénation, fera diversion de cette volonté et, quand il y a accomplissement, de ce désir. L’objet total, la personne ainsi que la relation d’objet, sont une lecture psychologique de la psychanalyse. Ce n’est plus la psychanalyse.
Le but pulsionnel n’est pas de satisfaire, mais d’accomplir l’objet pulsionnel, tâche impossible.
L’objet fondamental, ainsi que le fantasme qui le représente, sont une interprétation psychologisante de l’objet pulsionnel, objet inaccessible représenté par le rien qui le caractérise.
L’objet fondamental (la personne, l’autre, le sein, le regard), trouve entre lui en tant qu’objet et le Moi, le rien. Pour cette raison, je désigne le rien comme objet princeps et unique, à construire pendant une psychanalyse et à maintenir debout, après une psychanalyse. Tous les autres objets et fantasmes inventés pour appuyer ces autres objets, dits fondamentaux et donc postérieurs à l’objet rien naissant, sont des contrefaçons ayant la fonction d’atténuer chez l’être sa condition première, d’être seul au monde.
Je répète : l’objet fondamental de Lacan est de cette nature.
La visée d’une psychanalyse n’est pas uniquement la traversée du fantasme originaire, mais aussi de faire en sorte que l’être devienne sujet et, avec l’objet rien à portée de main, qu’il s’approprie au quotidien ledit objet pour que, chaque matin d’un jour avec fin, il construise sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
La chute de l’objet a n’est pas l’indicateur d’une sortie de psychanalyse. C’est la traversée d’un ou des fantasmes originaires qui marquent cette sortie, à condition que l’être puisse se dire apte à occuper, preuve à l’appui, la position de sujet.
L’objet rien concerne le début de l’être dans le monde. Pour y être, il se doit d’inventer un ou des fantasmes ; ces fantasmes sont les fantasmes originaires. Pour naître en tant que sujet, il se doit de construire symboliquement, ce qui suppose une présence dansante avec le Réel et le monde des vivants, un objet à partir du rien qui le porte et l’entoure. C’est son objet rien.
L’unique objet qui compte, selon l’auteur de ces lignes, c’est l’objet rien. Car il est le premier avec lequel l’être dans la position de sujet peut compter à la sortie de sa psychanalyse. Face au rien auquel il était confronté au début de son entrée dans le monde, désormais dans la position de sujet, il peut envelopper ce rien, cet impossible, avec le fil symbolique et lui donner le statut d’objet rien.
Ce qu’il m’intéresse de mettre en évidence, c’est que ce qui compte pour une psychanalyse : que l’être s’éloigne de son Moi, qu’il s’engage avec l’Autre barré pour penser, parler et faire à partir de la castration. C’est de cette manière qu’il pourra construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Dans la brève « Rien », j’avais écrit que « Le désir peut s’appuyer sur l’objet a pour le sujet (s). Pour le sujet désireux de devenir psychanalyste ($), le désir s’appuie sur l’objet rien. » Grâce à Marine Bontemps, j’ajoute un supplément :
Le désir pendant toute la cure, c’est le désir de l’Autre ; l’objet a, ce sont des objets que le Moi a élaborés pour sortir de l’ignorance crasse de sa lecture du Réel, les fantasmes fondamentaux concernent lesdits objets, mais participent aussi à cette mascarade humaine.
Pendant toute sa psychanalyse, l’être dans la position de psychanalysant est porté par un désir qu’il méconnaît. Le désir du psychanalysant s’appuie sur un objet perdu jusqu’à la traversée de la Mer d’Œdipe. À la sortie de psychanalyse, quand il devient sujet (s), il n’a plus d’illusion, il ne compte plus avec les objets perdus. Il aura la fonction, en tant que sujet, de construire un objet pour symboliser le rien qu’il reconnaît et avec lequel il danse dorénavant. C’est l’objet rien qu’il construira tous les jours, comme évoqué plus haut. Le sujet désireux de devenir psychanalyste ne se contentera pas de s’appuyer sur l’objet rien qu’il construit en tant que sujet. Il s’appuiera, pour transmettre le désir de savoir sur le désir de l’Autre (A), sur son désir qu’il pourra construire à partir de l’Autre (Ⱥ). La différence entre la position de sujet et du « sujet qui se destine à être psychanalyste », comme l’écrit Marine Bontemps, est que le sujet n’a pas la responsabilité de s’engager à examiner la psychanalyse en tant que science.
Pour conclure
L’objet a de Lacan, ainsi que ses objets fondamentaux, sont des inventions du Moi et non une construction de l’être. Les fantasmes originaires, une fois traversés, indiquent la sortie de psychanalyse et installent le psychanalysant dans la position de sujet. Les fantasmes originaires ainsi que l’objet rien sont des constructions propres au sujet. Le rien est l’objet d’étude du psychanalyste et, pour cette étude, il s’appuie sur son objet rien.