Fernando de Amorim
Biarritz, le 17 août 2025
Hier l’âme, l’esprit ; aujourd’hui, le mental, le psychisme. Ces registres n’ont pas de localisation palpable, parce qu’il s’agit d’une tentative de théorisation imaginaire et non d’une zone spécifique indentifiable par la volonté de maîtrise du Moi, qu’il s’agisse du Moi du médecin, du biologiste, du généticien, en somme du scientifique. Certes, si quelqu’un coupe mon pied, probablement je ne perdrai pas la mémoire. Cependant, ce n’est pas parce que la mémoire s’appuie sur l’organisme, dans de nombreuses zones du cerveau, qu’il est possible d’assigner la mémoire à un locus. Il est possible de saisir la zone cérébrale utilisée comme appui, mais pas le locus. J’utilise le mot en latin, langue morte, pour éviter toute tentation de traduction du Moi. Le cerveau n’est pas une machine : il est un organe qui baigne dans le Réel, mais qui possède des articulations bien ficelées avec l’Imaginaire et le Symbolique. Vouloir exclure l’appareil psychique humain de l’étude de l’organisme est une orientation idéologique qui vise à exclure le complexe d’Œdipe du scientifique, qu’il soit neurologue ou psychiatre.
L’être dans la position de psychanalysant perd le droit de jouir de l’ignorance. C’est l’accès à la mémoire qui est possible pour l’être. Le psychanalysant ne peut pas faire l’économie de la construction de sa mémoire à partir de l’Autre barré pour ainsi construire sa position de sujet.
Ce qui suit est une réflexion née pendant une session de surf. Je l’ai appelée théorie aquatique.
Cette supposée théorie aquatique s’inspire de la théorie des nœuds de Lacan, qui s’essayait justement aux nœuds, tel un terrien. L’idée naquît de ma découverte de la rencontre des eaux du Rio Solimões et du Rio Negro. J’avais été invité à une conférence au Brésil et m’étais organisé pour voir de mes propres yeux ladite rencontre, que je connaissais déjà en photo. J’en avais fait de même avec le canal de Panama.
La théorie aquatique commence avec le Ça. Le Ça produit de la libido dès les premiers moments cellulaires qui donneront naissance à l’être. À la naissance de l’être, la libido prendra le parti symbolique, quittant ainsi la biologie propre à la vie intra-utérine. Cette libido, force puissante que je représente comme l’eau qui descend la montagne, sera poussée vers l’avant. Vers l’avant, la libido qui nourrit la pulsion rencontrera l’Autre barré. Face à la difficulté de reconnaître ce qui lui arrive, l’être donnera plein pouvoir au Moi en même temps qu’il se cachera lâchement sous les jupes du Moi. La lâcheté est le comportement structurel de l’humain ; c’est pour cette raison qu’il lègue tous ses droits au Moi. Ce dernier aura la liberté d’inventer – à partir de sa rencontre avec le Réel, l’organisme qui l’abrite – des interprétations dudit Réel. Ces interprétations vont constituer la réalité du Moi. Cette réalité sera aussi alimentée par la libido qui, nourrissant le Moi, fera ce dernier produire de l’Imaginaire. L’imaginaire, je le rappelle, est fruit du Moi.
La libido, représentée de manière liquide, comme je l’ai signalé plus haut, nourrit le Moi. Si l’être est reconnu par sa lâcheté, le Moi est reconnaissable par son aliénation. Le Moi oublie ce qui ne lui convient pas en le refoulant dans sa partie inconsciente. Deux fonctions naîtront alors à l’intérieur du Moi : la résistance du Surmoi, exécuteur musculaire des actes avec ou sans l’accord du Moi, ainsi que l’Autre non barré, qui exécute les mots déplaisants avec ou sans l’accord du Moi. Ces deux fonctions se trouvent dans le Moi et travaillent contre lui, au sens de produire du déplaisir. Le tout, je le répète, est nourri par la libido produite par le Ça. C’est la coloration de la libido – comme la couleur des fleuves Solimões et Noir – qui change selon son contact avec le Moi, la résistance du Surmoi ou l’Autre non barré. L’appareil psychique, le corps, l’organisme et plus tard la psychanalyse naviguent sur l’eau. C’est la coloration de cette dernière qui marque la différence. La libido qui nourrit le Surmoi est celle qui a été en contact avec l’Autre barré. Le Surmoi est incorporation par l’appareil psychique de l’Autre barré qui amène le Moi à se comporter en adulte et non en majeur. C’est ici que je m’éloigne de la théorie des nœuds de Lacan, théorie élaborée par un terrien, sur terre. La théorie aquatique navigue sur l’eau, qu’il s’agisse d’une rivière dans le cas d’une psychothérapie avec l’être dans la position de malade ou de patient, ou de l’océan dans le cas de l’être dans la position de psychanalysant. La visée : l’être quitte le bateau nommé psychanalyse en sortant de psychanalyse et marche sur terre – puisqu’il est terrien – dans la position de sujet et non en tant que Moi fort, Moi identifié au Moi de ses parents, ni en tant que Moi identifié au Moi d’un idéologue, qu’il soit religieux, politique ou sociétal. L’éthique de la psychanalyse est portée par le sujet, voire par le psychanalyste. Elle exige un soin de chaque instant. Une telle éthique ne peut pas être exigée du Moi, elle ne peut être exigée que d’un être. Jusqu’à présent, l’homme est identifiable par son Moi, le Moi humain, par sa race, la race humaine. Pour ce qui est de l’être, être dans la position de sujet, il faut attendre qu’il sorte de psychanalyse et soit responsable, seul, de sa parole et de ses actions, de la direction et du sens qu’il donnera à la construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
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