Fernando de Amorim
Paris, le 2 octobre 2024
La présence du psychanalyste dans la clinique médicale au quotidien n’est pas décorative. Dans une tribune publiée par Le Monde – Science & Médecine du 2 octobre 2024, un nombre important de signataires, dont le professeur de droit Keith Findley, met en garde, selon mon interprétation, la société toute entière – médecins, juges, politiciens et enseignants – sur la dégradation du discours social, celui porté par le Symbolique, par la parole et le langage, au profit du discours sociétal. Il écrit : « Le cas de Roberson [un Américain de 57 ans condamné à mort, accusé d’avoir tué sa fille Nikki] est symptomatique de notre tendance à laisser l’émotion ou l’argument d’autorité anesthésier notre esprit critique ».
La médecine basée sur les preuves est légitime, à condition que celui qui la pratique occupe la position de clinicien et non de praticien, voire de technicien.
Un technicien se limite à faire usage des techniques en vigueur pour tirer des conclusions sans avoir écouté la victime ou les proches ; le praticien applique les techniques, mais s’appuie sur son Moi pour juger quelle voie donner à la situation à laquelle il est confronté ; le clinicien s’appuie sur son être, sait parler et connaît les techniques et les méthodes propres à sa discipline pour apporter une réponse vraie. Cette réponse vraie, différente de la vérité, est élaborée avec la victime ou ses proches.
La présence du psychanalyste dans la clinique médicale, qu’elle soit en clinique privée ou à l’hôpital public, a la fonction d’examiner les dires du malade, ou du patient. À vrai dire, il s’agit d’examiner les dires du Moi du malade ou du patient car, parfois pris par la culpabilité que lui infligent les organisations intramoïques (l’Autre non barré et la résistance du Surmoi), le Moi s’accuse d’actes ou de crimes non-commis.
L’examen médico-chirurgical et, dans le cas évoqué, même les preuves médico-légales devraient faire appel, dans le cadre d’un staff médical et en présence d’un juge, à l’avis professionnel d’un psychanalyste. Les médecins se sont engouffrés dans une logique scientifique et ils ont perdu la notion de ce qu’est faire science. Le résultat est qu’ils font de la « mauvaise science », ce qui a pour conséquence l’erreur judiciaire, pour paraphraser le titre de la tribune. Faire science, ce n’est pas se limiter à examiner des données biologiques, des résultats statistiques ou des IRM. Faire science en médecine humaine, c’est écouter l’être qui se cache derrière le Moi. Pour cela, il faut prendre en compte la parole dite, le signifiant corporel.
L’être ici est l’être d’Aristote. Cet être est structurellement lâche, c’est pour cette raison qu’il se cache derrière le Moi, comme évoqué plus haut. Le Moi, instance freudienne par excellence, est au cœur de cette tribune et il se caractérise par l’aliénation.
Comment donc prendre une décision de vie et de mort si celui qui parle, celle qui s’accuse, c’est le Moi et non l’être ? Comment ne pas prendre en compte l’aveu d’innocence et ne pas croire à l’accusé ? Parce que le Moi de celui qui écoute part du préjugé que l’accusé est coupable. Mais quels sont les critères utilisés par le Moi des accusateurs qui décident de l’accusation ?
Ce sont ces moments cruciaux qui me font mettre en évidence l’importance d’une étude commune entre médecins, juges et psychanalystes pour que l’erreur dans le jugement soit la plus éloignée possible de la décision.
Quid du DSM chéri des psychiatres ? Et de ses amis intimes les TCC, copains comme cochons des médecins dans ce genre de questions cruciales liées à la vie ou l’avenir d’un être jugé par le Moi et par les préjugés ?
Plus personne à l’horizon. La psychanalyse, portée par le psychanalyste – et non par le psy –, est là pour participer à une réflexion qui peut être utile au discours social et pour apporter des voies possibles à des problèmes cliniques.
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