Fernando de Amorim
Paris, le 26 juillet 2025
Une météorite est un fragment de matière cosmique composé de pierre et de métal dont l’humain ignore tout de l’origine à laquelle, jamais, il ne pourra accéder. Une fois qu’elle s’approche de la terre, la météorite s’embrase. Ce fragment, comme le signifiant, comme la libido, la pulsion, le désir, tombe sur le Moi et parfois sur l’être, sans qu’ils soient préparés pour l’accueillir.
La méthode psychanalytique sollicite l’association libre du son « météorite » ; elle invite aussi à l’association libre de l’image « météorite ». Le signifiant doit être transformé en paroles pour éviter qu’il ne devienne signifiant corporel, destin de la pulsion quand il est devenu difficile ou impossible de bien dire. Pire est l’expression de la libido en maladie organique, preuve que le signifiant s’est détaché de la libido et que cette dernière suit la voie propre à l’apoptose. Que le lecteur me pardonne, mais il me semble que se fait nécessaire une tentative de théorie générale du destin de la libido.
Quand le symbolique est possible, il est envisageable de penser la position de père. Il n’est pas nécessaire d’avoir un père pour vivre, une mère fait l’affaire. Cependant, pour devenir adulte, une figure de repère est nécessaire : un grand-père, un beau-père, une mère, un éducateur, la police, un sergent-majeur. Le tout est que cette figure fasse autorité et que cet autrui ne soit pas autoritaire. Surtout pas anarchique. L’appareil psychique humain ne supporte pas les extrêmes, ni les extrémistes, qu’ils soient extrémistes de la terreur, de la beauté ou de la santé. Personne ne sait d’où vient la pulsion, comme la météorite. Il est simplement possible de se repérer ou de vivre ses effets.
Quand une figure d’autorité n’est pas au rendez-vous pour l’enfant et que celui-ci est submergé par les pulsions naissantes, c’est la colère, voire la haine, qui prend le dessus. Ces affects, dont personne ne sait d’où ils viennent, comme la météorite, sont l’expression que le Moi de l’enfant accueille la libido qui nourrit les pulsions d’emprise, la pulsion agressive, la pulsion de destruction, avec articulation ou non à la pulsion sexuelle. Cette libido, dont personne ne sait non plus d’où elle vient, passe par les organisations intramoïques (ORGI) et ses deux parties, à savoir : du grand Autre non barré (A), quand il s’agit de la pulsion d’emprise avec ou sans articulation avec la pulsion sexuelle et des RésiduS (⋔), la Résistance du Surmoi – résidus, comme la météorite – quand il s’agit de la pulsion agressive ou de la pulsion de destruction, avec ou sans articulation à la pulsion sexuelle. La jouissance des organisations intramoïques peut être poussée à l’extrême dans ce dernier cas de figure.
Le Moi, aliéné par structure mais faisant semblant de pouvoir péter plus haut que son cul, devient fort, hautain, fait semblant de pouvoir occuper la position de tyran – et cela va du leader politique ou religieux jusqu’au tyran domestique. Ce qui caractérise ce Moi chefaillon, c’est qu’il n’applique pas à lui-même ce qu’il exige d’autrui. À sa manière, avec plus ou moins de culture, voire d’éducation, le Moi des psys, des psychothérapeutes, des analystes – indépendamment de leur formation de psychologue, psychiatre, médecin ou autres – fait partie de cette catégorie de tyran. Freud avait déjà signalé cela quand il disait que les praticiens exigeaient une santé mentale de leurs patients qu’ils n’exigeaient pas d’eux-mêmes.
Comment contester le discours social qui parle de la psychanalyse comme d’une chapelle quand les groupements analytiques cachent les actes de leur membres – abus sexuel, abus de pouvoir, vente de titre au plus offrant en échange de pognon – sans broncher ? Il s’agit du Moi protégé par la populace moïque. Où est la psychanalyse dans tout ça ? Elle n’est pas là.
La recherche, en biologie, en physique ou en psychanalyse, exige bricolage, jusqu’à ce que la structure d’une technique se présente solide. Par exemple, je savais déjà comment examiner le diagnostic de psychose grâce à la technique de la certitude quand le docteur Lucille Mihoubi est venue proposer l’affinage qu’elle a nommé « diagnostic spécifique ». De telles avancées montrent la vitalité de la clinique et la théorisation de la navigation psychanalytique au sein du RPH – École de psychanalyse. De même en ce qui concerne la distinction entre la question qui est dite « au grand Autre barré » – et qui ouvre la voie à ce que l’être puisse devenir sujet – et celle qui s’adresse au Moi ; dans ce dernier cas, la question est posée sans intention de savoir, c’est ce que fait la majorité des humains à longueur de leur vie.
S’élever à la dignité de la psychanalyse n’est pas donné à tous. Combien d’enseignants et de jeunes diplômés se rendent compte du poids du mot « clinique », du mot « psychanalyse », du mot « désir » ?
Un Moi, biologiquement jeune, m’avait demandé de ne pas prendre en compte le mot qui sortait de sa bouche. En d’autres termes, il m’avait demandé de me faire sourd au désir de son être. Je lui avais obéi car le Moi, tel une météorite, ne se laisse pas approcher facilement.
Il faut obéir à ce Moi fort, jusqu’à ce qu’il cède, ou non, de sa hautaine hauteur, hauteur imaginaire.
S’élever à la dignité de la psychanalyse, c’est s’élever au rapport possible et quotidien avec l’Autre barré. Ce n’est pas donné à tout le monde. En fait, ce n’est donné à personne. C’est une construction quotidienne et à n’importe quel âge. Le con d’hier peut se révéler sujet demain. C’est ce que j’aime dans la navigation psychanalytique. Un Elcano, qui au départ fuyait la justice et ne valait pas un kopeck, est devenu un nom grâce à son œuvre : avoir mené son équipage à bon port. Primus circumdedisti mihi.
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