Fernando de Amorim
Paris, le 22 mai 2025
Un médecin s’était indigné parce qu’une clinicienne avait demandé à une patiente, qui voulait abandonner sa troisième séance hebdomadaire, de mettre la somme de ladite séance dans les deux autres restantes. C’est la manière clinique de ne pas valider la résistance du Moi aliéné. En d’autres termes, la clinicienne ne lâche pas sa position et montre son désaccord au fait que la patiente cède sur son désir.
Le corps-à-corps humain, exercice que j’atteste chez les cliniciens du RPH, disparaît de plus en plus de la thérapeutique médico-psychiatrique. Ce corps-à-corps clinique est porté par le transfert, du début jusqu’à la fin de ladite clinique. Des colloques et des livres s’organisent pourtant pour officialiser ce retrait comme étant l’avenir de la psychologie et de la psychiatrie.
Le transfert n’est pas une petite affaire. Pour ne pas s’en occuper, les coquins s’en débarrassent en mettant des robots à la place de l’homme et de son désir d’être, d’être au rendez-vous avec un malade, un patient, un psychanalysant. Le début du transfert n’est pas une petite affaire, mais je me limiterai à évoquer la fin du transfert.
La fin du transfert, en psychanalyse, ne dévoile pas le manque à être du psychanalyste, mais celui de l’analyste. L’analyste n’est, en effet, pas confronté à la castration de sa propre sortie de psychanalyse, sortie qui l’aurait installé dans la position de sujet. C’est pour cette raison qu’il s’appuie sur l’analysant pour devenir analyste. À l’inverse, le manque à être du psychanalyste se dévoile quand il devient sujet – pour cette raison, il est représenté par une barre et en italique pour mettre en évidence le caractère étranger, pour un être humain, de devenir sujet ($) – donc à la sortie de sa psychanalyse personnelle.
Avec la passe, Lacan avait théorisé son abandon, abandon de sa psychanalyse personnelle. C’est mon interprétation. Je théorise la preuve qu’il y a eu psychanalyse. Appuyé sur Lacan, mais autrement.
Je suis un clinicien, dans cette logique : la clinique est souveraine, pas la théorie. La théorie est la carte qui sert à indiquer le chemin pour ceux qui viendront plus tard naviguer dans des eaux jusqu’à présent jamais sillonnées. Ainsi, je mets en place des techniques, piochées chez Lacan, Freud, Clérambault et aussi le premier venu. J’estime que tout est bon, après examen clinique minutieux, pour nourrir le corpus psychanalyticus.
Je ne devance pas la clinique avec une théorie, car si j’agissais de la sorte, la théorie deviendrait le lit de Procuste de la clinique. Aux dépens de celui qui souffre.
J’accueille la clinique, je la mastique, je la macère. Puis, un jour, une théorisation pointe son nez. La clinique est articulée avec une théorie symbolique. C’est ce qui justifie l’usage du mot πραξις, à savoir l’action produite par l’être dans la position de psychanalyste.
J’avais déjà théorisé, grâce à mon expérience de psychanalysant et de clinicien, qu’à la sortie d’une psychanalyse, l’être est dans la position de sujet et non d’analyste.
La position de psychanalyste – et non d’analyste, donc – est occupée par le clinicien quand le psychanalysant devient sujet. J’ai voulu mettre de l’insécurité chez le clinicien. La position de psychanalyste est propre au clinicien. Ce n’est pas un diplôme universitaire, ce n’est pas une place, ce n’est pas un arrangement entre copains ou membres d’une famille. En d’autres termes, sa condition n’est pas acquise. Chacun fait la preuve de son désir d’occuper la position d’objet a.
Ma recherche m’a poussé à appuyer l’idée de Freud d’avant le virage de 1920. En 1910, il écrivait que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin. J’avais donc mis cela en place au sein du RPH.
Le manque à être du psychanalyste est installé au moment où il se refuse, même s’il enseigne, à occuper la position de maître, autrement dit que son Moi occupe la scène. Comment fait-il cela ? En s’appuyant sur sa position de psychanalysant.
C’est la position de psychanalysant qui nourrit l’autorité de rien du clinicien pour le psychanalysant.
Le manque suppose qu’un objet a était là, chez le clinicien. Le vide, quant à lui, indique au psychanalysant que le clinicien ne peut qu’être un supposé-psychanalyste, que son autorité est basée sur rien, le rien que l’être psychanalysant a connu à son entrée dans ce monde. L’expérience du vide est insupportable au Moi. Le Moi divise pour éviter de reconnaître sa propre division, car il est constitué d’un assemblage parfait, tel un diamant.
Comment fédérer au nom du désir, quand l’avenir de la psychiatrie et de la psychologie s’organise autour du « développement de l’analyse automatique du langage entre patient et praticien », comme le souhaitent les auteurs du document Psychiatrie & Psychologie du futur ? L’avenir se présente-t-il sous un jour sombre ? Pas du tout, mais la visée est qu’il soit porté par l’obscurité aliénée et aliénante du Moi.
Ce qui est proposé par les auteurs, c’est un « diagnostic clinico-digital » qui « s’adapte au plus près de chaque sujet singulier ». Mais où se trouvent le sujet et sa singularité ? Une telle proposition exclut radicalement le sujet de l’opération clinique, de la construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée, voire de construire sa responsabilité de conduire son existence, si le clinicien désire devenir psychanalyste. Des programmes de « soins virtuels » ne sont plus des soins, ce sont des camisoles qui visent à encercler le Moi de l’extérieur puisque ses parties sont chancelantes. De là la voie ouverte à mes futurs confrères, lesdits « robots conversationnels ».
La proposition des auteurs n’est pas vouée à l’échec, loin de là. Elle a de l’avenir, car le désir de construction n’est pas le bienvenu dans leur logique. Les auteurs visent des « supports et méthodes pédagogiques », qui « sont réinventés », cela « en particulier par l’avènement des patients virtuels ». Le tout « sans oublier les impacts médico-légaux ».
Enfin, écrivent-t-ils, « cet ouvrage s’ouvre vers les enjeux éthiques des évolutions cliniques et anthropologiques ». Ils évoquent l’éthique dans le registre de l’Imaginaire où le Moi est roi, où l’aliénation est au cœur de leur opération dite clinique. Ils ont tout à fait raison de mettre en couverture un robot assis sur un divan. La psychanalyse se présente aujourd’hui, et de plus en plus, comme l’unique voie possible pour que l’être, en devenant sujet, à entendre castré de sa relation à son Moi, puisse construire son désir et proposer à ses semblables de prendre aussi cette voie désirante. C’est la politique clinique du psychanalyste. Une politique portée par le désir.
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