Fernando de Amorim
Paris, le 13 octobre 2025
La « libération de la parole », comme l’écrit Romane Ganneval dans Le Point du 10 octobre 2025 sous le titre « Santé mentale : comment la Grande Cause nationale 2025 s’est transformée en grande déception », est propre à la logique du Moi aliéné et aliénant. Affirmer qu’« en 2025, la parole s’est libérée autour de la santé mentale » me fait poser plusieurs questions. Parole libérée par qui ? Par le Moi souffrant, souffrant de son aliénation structurelle. Parole libérée comment ? Par les astuces de politiques essoufflées, menées par des politiciens et des fonctionnaires à bout de souffle, du type « Cause nationale ». Parole libérée pour qui ? Pour le divertissement pascalien du Moi, qu’il s’agisse du Moi de celui qui souffre ou de celui censé conduire la santé des Français.
« La prise en charge est loin de s’être améliorée cette année », parce que cela fait des années que des cliniciens, dont je suis, signalent le dysfonctionnement de la politique de santé en générale, mentale en particulier.
Parler de ses peurs avec des copains, c’est parler pour se vider, comme chier. Le problème est que, de la merde, il y en a toujours. Cette manière psychothérapeutique d’envisager de régler la souffrance psychique est d’une innocence sans nom. Une psychanalyse vise à construire une voie nouvelle à la libido car, quand cette libido ne trouve pas de voie de construction, elle tourne en rond dans l’appareil psychique, puis elle stagne.
Une conversation sincère avec des amis – la « bande de Juliette », dans le reportage – ne construit pas une voie nouvelle pour la libido, la pulsion, le désir – dans cet ordre – car « normaliser le sujet » n’est pas une action psychothérapeutique. Construire une voie nouvelle pour ce qui ne s’arrêtera jamais chez l’humain en est une. Ce qui ne s’arrêtera jamais chez l’humain pendant qu’il est en vie, c’est la libido, libido qui peut aller vers la construction ou vers la destruction. Parler est normalement associé à pour ne dire maux.
« Depuis la labellisation, c’est plus facile », affirme Denis Leguay. Tous les discours sur les soins en santé mentale en France passent par des stratégies de superficie. Est-il étonnant que la psychanalyse puisse avoir une si mauvaise presse ? La psychanalyse ne vend pas, ne négocie pas, dérange le compromis du Moi avec autrui, ne fait pas copain-copain avec la jouissance. Donc, elle est écartée de la table des discussions.
Faire appel à des « pédopsychiatres, psychiatres, psychologues » tout en excluant les psychanalystes de l’opération revient simplement à ne pas prendre en charge la santé mentale des Français. Les psychiatres proposent des médicaments puisqu’ils sont des médecins ; les psychologues, eux, n’ont pas de stratégies cliniques solides à offrir aux patients. Avec l’offre de quelques séances de psychothérapie par an, c’est le psy qui y gagne, pas le patient. Pareil pour le remboursement des consultations de psychothérapie chez le psychiatre. « Psychologue » comme « psychiatre » sont des titres universitaires. Je n’ai jamais vu un titre universitaire assurer la conduite d’une cure. Seul le psychanalyste peut occuper la position de psychothérapeute, car la psychothérapie est l’antichambre d’une psychanalyse. Les psychothérapeutes s’arrangent pour occuper la place de psychothérapeute. Or, une psychothérapie est la preuve que la moitié seulement du chemin a été faite. Si le patient désire construire son désir, il doit changer de praticien parce que le psychothérapeute est déjà au bout du rouleau, cliniquement, techniquement et stratégiquement parlant. Il ne peut pas aller au-delà de la rivière. L’analyste, lui, est capable de naviguer sur les eaux salées, mais en faisant du cabotage car, ayant abandonné sa psychanalyse personnelle, il ne peut pas assurer la circumnavigation désirée de manière légitime par celui qui souffre et qui désire savoir, c’est-à-dire celui qui occupe la position de psychanalysant. Le psychanalysant ne veut plus se contenter de ne plus souffrir, ce qui est le but d’une psychothérapie : il désire maintenant construire son savoir et occuper la position de sujet. Pour cela, il est nécessaire que quelqu’un occupe la position de psychanalyste.
Chercher de l’aide sur les réseaux sociaux – que j’orthographie ainsi : réseaux sossiaux, pour Schutzstaffel, l’escadron de protection du Moi – n’est pas une preuve de « simplicité » ni de « prise de conscience collective », mais d’aliénation humaine. Je ne reproche pas à Internet d’exister ; je reproche aux majeurs, qu’ils soient parents, soignants et politiciens, de ne pas être adultes et de bâtir une génération de légumes à pattes.
Remarquer que « depuis le Covid, les demandes de consultation ont fortement augmenté » signifie simplement qu’elles ont fortement augmenté. Ce n’est pas parce que quelqu’un demande un rendez-vous auprès d’un clinicien qu’il sera disposé à construire sa position de sujet.
Affirmer que le suivi psychothérapeutique coûte cher « en dehors des structures publiques » relève d’une ignorance journalistique, toujours prête à pousser vers le larmoiement et non l’enquête… journalistique. La Consultation publique de psychanalyse (CPP), branche clinique du Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital – École de psychanalyse (RPH), assure des consultations selon les moyens des patients, dans la tradition d’Hippocrate, Freud et Lacan. Il me semble important de sortir de la logique du « douze séances remboursées, c’est mieux que rien » du Moi dans la misère ou tout simplement misérable. La CPP a donné des preuves que le système psychanalytique de consultation mis en place à Berlin en 1920 par Eitingon, Abraham et Simmel avec l’appui de Freud – le Berliner Psychoanalytisches Institut – fonctionne. Nous avons une armada de psychologues désireux de devenir psychanalystes, nous avons des facultés de médecine ou de psychologie partout en France, nous avons des bâtiments publics qui restent fermés une bonne partie de la semaine. Pour quelle raison ne pas étudier le projet du RPH ? Parce que la construction du désir n’est pas dans les projets du Moi, qu’il s’agisse du Moi du soignant, du soigné, du gouvernant ou de l’enseignant. De là la recherche des « « magnétiseurs, énergéticiens, champignons adaptogènes censés améliorer le sommeil et réduire le stress… Sans parler de tests d’autodiagnostic en ligne ». Le tout pour ne pas s’engager à devenir sujet, projet psychanalytique qui n’est pas pour tout le monde. Non pour des raisons monétaires, géographiques ou de temps, mais de désir.