Fernando de Amorim
Paris, le 18 juillet 2025
Des formules du genre « comme si », « peut-être », « plus ou moins » sont utilisées par le Moi pour se tromper ainsi que pour tromper son interlocuteur, autrui.
Je représente le Moi-mère par « a » et autrui par « a’’’ ≠ a », que le Moi lit comme suit : « autrui inégal à moi ! »
Jusqu’à présent, je représentais autrui avec le symbole « a’’’ ». Mais en lisant Mélanie Klein, je me suis trouvé dans l’embarras, car l’organisme humain a le statut de Réel, d’impossible, d’inattingible, d’inatteignable même pour le chirurgien. Ainsi, désormais, « a’’’ » représente l’organisme et « a’’’ ≠ a » autrui, à savoir celui qui n’est pas moi. Quant à l’autre, je le représente par « a’ », image inversée du Moi dans l’appareil psychique.
Construire une existence est radicalement différent de bricoler une vie. Cette construction est propre à la position du psychanalyste, une fois qu’il est devenu sujet, à entendre une fois qu’il est sorti pour la première fois de psychanalyse et qu’il a témoigné des effets de sa traversée dans les eaux jamais sillonnées de son Inconscient, à condition que cette traversée soit validée par ses « inquisiteurs » dans le processus de passe.
Loin de moi l’idée d’associer les enquêteurs du RPH à un Tomas de Torquemada ou à un Bernard Gui, car je m’appuie sur le sens premier de l’inquisitio, c’est-à-dire une enquête réalisée par des cliniciens sur le psychanalysant qui se dit occuper maintenant la position de sujet.
Au RPH, deux temps sont nécessaires : celui de « s » et celui de « $ ». Dans le premier, le psychanalysant témoigne qu’il est devenu sujet (s) ; dans le deuxième, il témoigne qu’un psychanalysant, chez lui, est devenu sujet, ce qui installe le clinicien dans la position de psychanalyste ($).
Les psys, qu’ils soient psychiatres, psychologues ou à la place de psychothérapeute (en faisant semblant que leur Moi fort suffit pour accueillir la souffrance d’autrui), et les analystes (en faisant la sourde oreille à leur désir) s’installent dans une inertie qui sabote la mise en place d’une vie vivable et d’une existence possible.
Les psychologues et les médecins qui se disent aussi psychanalystes ne sont ni psychologues, ni médecins, ni psychanalystes. Surtout pas psychanalystes. C’est un psychanalysant qui le dit. Tout comme la double nationalité : ni ici ni là. En fait, nulle part. Les praticiens précédemment cités sont des apatrides de la clinique. Qu’ils sortent de là au plus vite, tel est mon vœu. Pieux ? Non, s’ils embrassent leur désir étouffé par leur Moi.
J’en ai connu un qui se présentait en tant que « médecin, psychiatre et psychanalyste ». En fin de compte, il n’a exercé aucune de ces fonctions ni occupé aucune position clinique avec consistance. Il est mort et plus personne n’évoque son nom. Si Freud et Lacan ne s’étaient pas accrochés au bateau psychanalyse, le premier serait un neurologue oublié de tous et le second un psychiatre de plus. Leur nom suit leur œuvre. La psychanalyse porte dans son cœur le signifiant de la castration, qui est le moyen pour l’être d’accéder à l’Autre barré (Ⱥ), le trésor des signifiants. Sans ce projet de navigation, l’être survit, vivote, vit, mais ne construit pas sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Inutile de se poser la question moralisatrice : à quoi bon ? Parce que l’immense majorité des Moi humains n’a que l’Imaginaire pour s’accrocher : idéologies, croyances, rites, inhibitions, symptômes, angoisses. Un peu d’herbe par ci, un peu de cocaïne pour délier la langue par là. Puis ils meurent.
Le plus difficile est quand ils se réveillent – probablement du sommeil du juste – en se rendant compte qu’ils ont été aliénés pendant des décennies, qu’ils sont maintenant organiquement vieux et qu’ils n’ont plus de temps pour la construction du travail, de l’amitié, de l’amour. Il ne faut pas être pressé, mais ne pas perdre de temps non plus avec un travail sans fruit, une amitié fausse, un amour fou.
La boussole indique le nord du désir. Plus de temps pour les conneries, plus de temps à perdre. Pourtant, le Moi fait comme si, dit « peut-être » et s’engage plus ou moins. Il ne faut pas lui tirer les oreilles. Il est comme ça et ne sera jamais autrement.