Fernando de Amorim
Paris, le 5 décembre 2025
Cadeau à moi-même
Je pars de l’idée que la psychanalyse est une science. Elle n’est pas une connaissance vraie de la réalité parce que cette logique aristotélicienne est moïque : le Moi invente une connaissance quand l’être construit un savoir. Le vrai du Moi est une connaissance de la réalité et non du Réel, quand le vrai de l’être danse avec le Réel. J’entends la réalité comme une interprétation moïque du Réel.
À partir de ces éléments de base – le Moi, la réalité – quelle science pourra naître pour de vrai, proposant ainsi une interprétation symbolique du Réel ?
La science selon Aristote exige que l’objet soit adéquat à la définition.
Il faut entendre objet comme étant ce qui affecte les sens ; adéquat comme ce qui est parfaitement équivalent à l’objet pensé ; définition comme une proposition, voire une explication, dudit objet.
L’objet en physique est intouchable : le Moi humain ne peut accéder à ses effets – la lumière des étoiles, par exemple. L’objet en biologie est intouchable : le même Moi n’a accès qu’à ses conséquences – le virus qui produit les symptômes et la mort dans le cas de la variole.
Dans ces situations, l’objet – la lumière, le virus – affecte le sens mais n’est pas parfaitement équivalent à l’objet pensé. La raison de cette absence d’équivalence ne concerne pas l’objet mais le Moi. En effet, si le Moi se croit égal à un autre Moi, l’être est radicalement différent. Ainsi, si je prends le fleuve d’Héraclite, je peux affirmer qu’il n’y a de science ni pour la physique ni pour la biologie, puisqu’à aucun moment il n’est possible pour l’expérience humaine de figer l’objet pour que le Moi en ait une parfaite équivalence. Sans être trop exigeant, je peux me limiter à dire qu’il est impossible de figer l’expérience humaine, celle de l’être, en équivalence avec l’objet pensé.
Ainsi, l’objet de la psychanalyse – le désir – vient appuyer mon idée qu’elle est une science, parce qu’elle ne s’appuie pas sur le Moi pour lire le Réel, à la différence du Moi du scientifique depuis Aristote. Ce que le Moi du scientifique fait, au nom de la science, c’est exclure l’être de la lecture du Réel. Ce qui est logique, puisque le Moi invente une connaissance propre à la réalité.
Depuis Hippocrate, le Moi humain a investi imaginairement dans le surnaturel pour interpréter le Réel. Il s’est ensuite substitué à cet imaginaire en inventant une science pour lire symboliquement le Réel, mais en s’appuyant toujours sur le Moi. Le Moi a alors inventé un monde imaginaire, cousu de Symbolique, pour lire le Réel, et ce monde est devenu la réalité. C’est sur cette réalité, et non sur l’interprétation dansante du Réel, que s’est fondé le discours nommé science.
J’interprète que la psychanalyse apporte la lecture suivante : le fleuve est le Réel, le baigneur est l’appareil psychique freudo-lacanien. Le temps d’un battement de cils, le Réel n’est plus le même pour l’être, puisque ce dernier n’est plus le même pour lui-même. Pour ne pas désespérer de l’inconsistance de sa position dans le monde, le Moi prend le relais et fige tout : le Réel en réalité et l’être en statue, l’autre nom du Moi.
Est-il possible de faire science avec une telle incertitude ? L’incertitude est inhérente à l’action de faire science. La psychanalyse apporte cette incertitude en délogeant le Moi de son piédestal imaginaire et en dévoilant l’être à sa responsabilité de devenir sujet et de faire science au quotidien.
La psychanalyse démontre – puisque c’est ce qui est attendu d’une science – qu’elle est une science en établissant, par la méthode verticale, que l’être à l’entrée en psychothérapie est devenu sujet à la sortie de sa psychanalyse. Le Moi du symptôme à l’entrée a laissé place à l’être qui a construit sa subjectivité pendant son voyage maritime, qui est devenu sujet à la sortie de sa circumnavigation et qui est apte à construire sa responsabilité de conduire aussi destinée.
L’objet de désir, le rien auquel l’être est confronté à sa naissance, est devenu objet rien quand, en sortant de psychanalyse, l’être est devenu sujet. L’objet de désir caractérisé par le rien n’est plus fuyant : il est fixé car il est devenu, par son statut d’objet rien, la base sur laquelle le sujet peut s’appuyer pour construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. La répétition, ici, s’impose.
C’est pour cette raison que la psychanalyse est une science. Elle est même la base de toute intention de science parce que, pour faire science, il est nécessaire de s’appuyer sur l’être constructeur de savoir et non sur le Moi inventeur de connaissance.