Le discours sociétal et ses perles
Fernando de Amorim
Paris, le 11 septembre 2023
Mon secrétaire vient d’installer un dispositif sur mon téléphone pour transférer les appels. Et je tombe sur des informations à mon sujet que j’ignorais : « tout est parfait » ; « c’est un charlatan » ; « agressif, escroc ».
Je suis actuellement en train de corriger mon séminaire, j’assure ma consultation, les supervisions et me voilà aspiré par des avis sans intérêt mais pris dans une exigence de la machine Google qui me demande de répondre aux avis… me voilà à répondre :
Je ne suis pas un donneur d’avis, pas même sur Moi.
Mais je me plierai à ce drôle d’exercice car il est amusant que quelqu’un me pense agressif quand je me pense doux, gentil, aimable et, plus récemment, j’ai appris, pour la deuxième fois dans ma vie, que j’étais quelqu’un de disponible. Non, je ne suis pas agressif. Comment être agressif avec quelqu’un qui vient me rendre visite, qui m’honore de me raconter ce qu’il a de plus intime ? Le problème est que toutes ces personnes qui écrivent ces avis sur ce qu’elles supposent être des méchancetés ne sont jamais venues me rencontrer. Il est vrai que je ne suis pas disponible pour tout le monde. Je suis disponible pour le désir.
Les gens qui écrivent via leur téléphone ses méchancetés en pensant que je suis l’objet visé, je les avais invités à venir me dire en face en quoi je suis agressif, escroc, charlatan. Aucun n’est venu. « Me dire en face » n’a pas ici une connotation bagarreuse, mais une connotation scientifique : il faut prouver ce qu’on affirme. C’est la base de l’épistémologie (c’est ma manière d’être méchant à mon tour). Au moins cela les poussera, si désir il y a, à ouvrir un dictionnaire.
L’intention de ces personnes, voilées derrière des pseudonymes, est de détruire et non d’apprendre sur elles. Un psychanalyste à longueur de journées bouscule le Moi, pas l’être (il faut un peu d’Aristote et de Freud pour saisir le raisonnement).
Un psychanalyste dans la Cité bouscule l’aliénation, il n’est pas mou, il n’est pas docile. Il est éveillé. Et il éveille.
Il est vrai que, dès l’appel téléphonique, je fais en sorte que l’appelant abandonne cette idée de « venir me rendre visite ». Le discours sociétal veut que le clinicien soit un vendeur de saucisson, et que celui qui appelle, le client, apporte le pognon qui me donnera les moyens d’acheter le pain pour mes enfants. Or, je ne mange pas de ce pain-là.
Ce qui m’intéresse c’est de rencontrer l’être qui ne va vraiment pas bien et qu’il puisse se mettre debout et mener sa vie, voire son existence. Cette dame m’avait appelé et elle n’avait pas aimé que j’examine son désir. Comme il n’y avait pas de désir et qu’elle a appris cela sur elle-même, elle a refusé le rendez-vous que je lui avais donné, elle a bidouillé une excuse bidon et maintenant elle se venge. Ah ! le doux venin de la vengeance.
Je ne suis pas à la merci des demandes creuses. Et même avec celles-là, si je trouve une lueur de désir, je m’applique à souffler sur les braises.
Je suis clinicien depuis plus de 40 ans. Si j’étais un charlatan, je ne pense pas que je serais au même endroit. Sans oublier qu’en France, il y a des institutions qui se nomment police, justice et que n’importe quel citoyen peut se plaindre auprès des autorités et je serais convoqué pour m’expliquer… Ce qui supposerait arrêter ma consultation pour répondre aux autorités.
Et si c’était cela l’objectif ? « Comme je n’arrive pas à construire ma vie je veux détruire toutes les vies qui semblent aller bien ? » Je rassure la vengeresse : la mienne de vie n’est pas parfaite. Peut-être cet aveu de misérabilisme lui donnera l’occasion de me lâcher ma grappe.
Un psychanalyste n’est pas pressé, mais il n’a pas de temps à perdre. Il faut aussi qu’il soit courageux. Qu’il puisse voir la férocité du Moi en face et constater que cette haine voilée cache la souffrance d’être en vie.
Il ne faut pas m’appeler, il ne faut pas venir sans intention de devenir adulte, grand, citoyen. Si tel n’est pas votre projet, passez votre chemin.J’ai à faire. J’ai énormément de choses à faire. Avec des gens véritablement intéressants.