Fernando de Amorim
Paris, le 5 juin 2025
Vivre la mort du père sur le divan n’est pas du même registre que vivre la mort du père sans compter avec sa psychanalyse.
Une première psychanalysante : son père est mort. Son Moi – « mon ego démesuré », comme elle l’appelle – reprend les indicateurs sociétaux de ce qu’elle ne va pas bien : elle recommence à s’alcooliser, à fumer, à montrer son phallus sur les réseaux soSSiaux – ce Schutzstaffel qui protège le Moi aliéné ainsi que ses adeptes, à savoir la populace moïque, de la connaissance, de l’érudition, du savoir – et, inévitablement, à être moins compétente dans son travail. Comme elle le signale elle-même : « Je déconne ! » Elle continue : « Parfois je traverse la rue sans regarder ! »
Son père est mort. Elle témoigne que, du fait d’être en psychanalyse, elle supporte cette vérité inéluctable. Elle dit que, du fait d’être en psychanalyse, elle a pu supporter cette perte sans se détruire : « Je me souviens de quitter ma séance de psychanalyse et, étourdie, perdue de chagrin, me préparer pour traverser la rue et, au moment de le faire, m’arrêter soudainement pour voir où je mettais les pieds, si j’ose dire. Mon père est mort, mais je ne suis pas obligée de sacrifier ma vie pour lui. Sa vie est finie, la mienne est en construction. »
Un deuxième psychanalysant : son père est mort. Quelques temps après, il fait une crise cardiaque. Il s’approche péniblement du téléphone pour appeler à l’aide. Cependant, avant de s’approcher du téléphone, une pensée lui traverse l’esprit sous forme de question : « Veux-tu mourir ou veux-tu vivre ? » C’est sa réponse à lui-même qui l’avait poussé à se traîner pour demander du secours. En choisissant d’être en vie, en rampant tel un ver vers le téléphone, il se refuse à l’identification de son Moi de suivre son père dans le tombeau. Il choisit de se séparer, tel un mariage, mariage terminé qui n’a jamais été acté par les deux majeurs qui l’ont mis au monde.
Mon père est mort. Père bon vivant, trop même. Père irresponsable, rieur, inconséquent. Il était un père présent, sans faire de cadeaux, existant par le discours de ses admirateurs. J’étais le fils de.
Il est décédé. Un avocat m’avait appelé, histoire de régler les affaires d’héritage. Courtoisement, sans amour, sans haine, sans rancune, j’avais décliné tout ce qu’il m’avait légué. C’est l’effet de ma psychanalyse. J’ai appris que, sans elle, quelques pertes peuvent devenir / deviennent / sont insupportables.
La psychanalyse peut faire en sorte que la tempête de la perte d’un être cher, perte parfois coûteuse, soit traversée sans que l’être y laisse des plumes, voire se noie.