Fernando de Amorim
MM, le 3 décembre 2023
À E. G.
La castration symbolique est un processus dans lequel l’être, en se désolidarisant de son frère et protecteur, le Moi, s’engage à parler et à se comporter en son nom propre. Ceci est représenté par le « Je ». Ainsi, en tant que « Je », il s’éloigne du Moi et s’approche de l’Autre barré. Le résultat de la castration symbolique est que l’être assume la responsabilité de sa parole, de son corps, de sa relation à l’autre, de son rapport au Réel.
Il s’agit d’un processus puisqu’il commence lorsque l’être, dans la position de patient, devient psychanalysant. Quand il est dans la position de psychanalysant, il a le devoir, qu’il n’avait pas avant, de parler en son nom. D’où le « Je ».
En psychanalyse, l’être construit sa subjectivité. En sortant de psychanalyse, il devient sujet. Ce n’est ni le sujet de Heidegger ni le sujet de Lacan, mais un sujet qui construit sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Le « aussi » signifie ici que, quoi qu’il fasse, il ne parviendra pas à une complétude, une intégralité, à un bonheur. Mais peu importe, il dansera selon le rythme de la musique qui se présentera à lui. Cela est possible grâce à la castration symbolique.
Il faut supposer qu’ici, il n’est plus question de vie, préoccupation propre au biologiste, au moraliste et au théologien. La visée du sujet est sa destinée. S’il prend en charge sa responsabilité envers sa destinée, son semblable en retirera un large profit. Pour parler vulgairement : en s’occupant de ses oignons, le sujet n’aura plus de temps pour le commérage, la discrimination, la guerre. Il s’agit donc d’un projet de destinée pour l’être humain et non d’une réalité humaine. La réalité humaine est que l’être humain dès sa naissance est humilié, maltraité et veut vengeance. Il se venge en haïssant le nouveau-né, en le faisant souffrir au nom de son dieu méchant, en coupant son prépuce, en mutilant le sexe des petites filles et en haïssant tous ses semblables : violant les enfants, agressant les femmes, tuant les vieillards. C’est humain et cela ne changera pas. La psychanalyse s’oppose à ce massacre c’est donc en toute logique que le Moi la hait.
En proposant d’associer librement sur le fauteuil (psychothérapie) ou sur le divan (psychanalyse), le clinicien prouve qu’en produisant la castration symbolique, vécu nécessaire (au sens aristotélicien), l’être vit la perte et, en acceptant la perte, accepte la castration. En acceptant la castration – qui est symbolique, ce qui est différent de la privation, qui est la perte réelle, comme dans le cas de la perte d’une partie de son organisme ou de la perte de l’organisme tout entier, dans le cas de la mutilation ou du suicide–, l’être dans la construction de sa subjectivité, choisit d’être castré et, dans un deuxième temps, d’aller se restaurer, boire et manger des signifiants chez l’Autre barré, c’est le mange et boit ton Dasein.
En choisissant la castration (c’est un choix et non une décision), je constate que respirer, travailler, aimer devient moins difficile, voire moins insupportable. Lecteur, vous remarquerez que je n’utilise pas l’expression convenue de « la vie devient moins difficile ». Je n’utilise jamais le mot vie. La vie ne compte pas pour un sujet, ce qui compte c’est de construire sa destinée, voire son existence, quand il choisit de devenir psychanalyste.
Ce choix, le choix du désir, rend le sujet moins souffrant ou plus du tout souffrant d’être là puisqu’il est. Il n’est plus le touriste qui attend que la table soit mise par sa grosse, ou que maman fasse son lit, il n’est plus le même Moi jouisseur qui ne veut pas se marier selon les lois de la République française, cette expérience humaine de niveau supérieur qu’est la France, parce qu’il sait qu’il ne pourra avoir ses quatre femmes par identification à son maître féroce et obscène. L’être souffre moins quand il est castré, donc séparé du Moi, Moi qui attend toujours l’argent du contribuable pour le sortir de la misère. En donnant des subventions, l’État transforme l’argent du contribuable en pognon merdique, ce qui autorise le pauvre à se penser gallinacé ou porcin et donc l’amène à penser qu’il ne mérite que cela, une vie de subsides. La psychanalyse, elle, opère pour que l’être vivant devienne sujet.
Avant d’évoquer ce qu’est la relation imaginaire, il faut d’abord indiquer que l’Imaginaire est la coloration que le Moi donne à la libido. La relation imaginaire est cette relation que le Moi établit avec lui-même, en pensant qu’il peut vivre en France comme s’il était dans le monde fantasmé de ses parents, qu’ils soient français ou immigrés. La France est une expérience symbolique unique dans le monde car elle est le fruit de l’intelligence d’êtres humains de se nourrir des grecs, des romains, de la religion catholique, de ses réussites, de ses défaites et ses humiliations.
La France n’est pas un modèle pour le monde humain, mais c’est une expérience dont les humains des autres contrées devraient s’inspirer pour s’affirmer en tant que sujet.
La relation imaginaire va dans le sens opposé de la construction car elle détruit les relations entre les Moi – le Moi de l’être et le Moi de ses semblables. Le Moi veut du pouvoir et de la jouissance, c’est ce qui caractérise l’aliénation. La castration en psychanalyse rompt la relation entre l’être et le Moi cerbère de ses organisations intramoïques. La volonté de vengeance du Moi est le résultat de sa condition, dès la plus tendre enfance, d’esclave des organisations intramoïques parentales. La rupture entre l’être et le Moi s’impose pour que le premier ne se cache plus sous les jupes de son Moi et qu’il assume de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Par la castration, sous forme de suspension de séance, d’interprétation validée par l’être, l’action du psychanalyste vise donc à dégonfler la relation imaginaire et à castrer le Moi. Il s’agit de l’opération la plus laborieuse d’une psychanalyse.
Parler est propre à l’être humain, mais parler ne soigne pas ; ce qui soigne et guérit, c’est la castration, et la castration se matérialise par l’association libre, à savoir le fait d’associer librement ses pensées verbalement et sans censurer. C’est ce qui distingue radicalement la psychanalyse, en tant que clinique et en tant que science, des pratiques de dressage ou de suggestion ou des traitements des symptômes en opérant dans le champ de la conscience.
Le signifiant, la pensée transformée en paroles entendues par l’être et prises au sérieux par ce dernier, est l’agent de construction pour un être humain, de sa position de sujet.
Hors du registre de l’être castré, ce dernier se trouve pris dans une relation avec son Moi. Cette relation se caractérise par l’aliénation. L’aliénation se caractérise par le fait de ne pas danser avec le Réel, de vouloir imposer ses règles au monde. L’aliénation est propre au Moi par structure, l’aliénation est propre à l’être par décision. La jouissance est le processus de dépasser les limites du plaisir propres à l’être. L’être, en choisissant de s’accoupler avec le Moi, jouit de sa décision de s’aliéner. Le fait que le psychanalyste ne soit pas d’accord avec la jouissance de l’être est incompréhensible dans un premier temps parce que le Moi en tire un bénéfice. À ce moment, le psychanalyste est devenu l’ennemi de la jouissance, ce qui déplait à l’être puisque le Moi en tire un bénéfice. C’est quand la jouissance devient excessive, le Moi voulant toujours plus d’Imaginaire, que l’être se trouve écrasé par son cerbère, qu’il pourra alors se décider à se désengager de la jouissance que le Moi et lui-même (l’être) en tirent, pour enfin limiter cette jouissance par la castration symbolique.