Karolinska
Fernando de Amorim
Paris, le 17 juin 2021
Dans un article pour Le Figaro du 15.VI. 2021, Frédéric Faux, m’apprend que la Suède commence à mettre en doute sa politique thérapeutique face à la demande de changement de sexe.
Je retrouve, dans cet article, des majeurs perdus face à la tempête pulsionnelle de la vie sexuelle des enfants et des pubères. Ces majeurs sont les médecins qui, dans leur besoin de reconnaissance, répondent à la demande des mineurs ; ce sont des psychologues incapables d’opérer par manque de boussole et carte clinique pour faire traverser l’enfant et le pubère la tourmente que sont, pour quelques-uns, l’enfance et la puberté ; des parents hagards. En un mot, dans cet article, pas un seul adulte en vue de modérer l’exacerbation pulsionnelle et imaginaire des mineurs. En revanche, tous, sans exception, conseillent, décident, jugent, extirpent, remodèlent. Ils naviguent à vue.
Le problème est que ce changement de sexe ne concerne pas ces majeurs, ils n’opèrent pas leurs seins, leur pénis ou leur vagin, mais celui de l’autre, du mineur en l’occurrence. Il est toujours plus facile de décider quand il s’agit du cul de l’autre, c’est beaucoup plus engageant lorsqu’il s’agit du sien. Je pense à ces médecins qui proposent, au nom de leur bonté, de délivrer sans examen médical, par visioconférence, des arrêts-maladie aux frais du contribuable. Vu le nombre de demandes croissant, je pense que la Sécurité sociale suédoise à pris peur et a décidé de fermer les robinets car, « Tous les traitements sont pris en charge dans des cliniques publiques ».
Avant de continuer, une explication s’impose : j’entends par majeur celui qui a la majorité légale, qui a le droit de jouir du corps de l’enfant qu’il devrait protéger et respecter. J’appelle adulte, celui qui met un enfant au monde avec l’intention de l’accompagner dans la construction de son existence. C’est dans cette logique que quelqu’un a plus de possibilité de devenir un homme ou une femme qui se comporte bien, avec son corps, avec le corps de l’autre et cela indépendamment de son choix sexuel. Il faut tout de même mettre en évidence que le choix sexuel est une construction, que la volonté du Moi parental entre en ligne de compte et non un gène quelconque. Sauf preuve du contraire. Et même dans ce cas de figure, le clinicien vise à construire la responsabilité de l’être.
Il n’y a pas de manuel ou cours du soir pour devenir parent. Un enfant qui se dit prisonnier d’un corps qui selon lui n’est pas le sien, souffre. C’est au parent de mettre la main à la pâte pour le sortir de là et non d’accepter sans ciller que son enfant soit mutilé de ses organes. Sans la distinction entre organisme et corps, les médecins, comme les psychologues, sont perdus. La psychanalyse est la seule à avoir pris cette distinction majeure à bras le corps et à avoir proposé, concrètement, des réponses cliniques, à partir de sa méthode, de ses techniques, du désir du psychanalyste.
Il est possible d’opérer cliniquement avec le corps qui souffre, mais une fois qu’il y a atteinte à l’intégrité organique de l’enfant, il n’est plus possible de revenir en arrière. De là l’importance de la présence des adultes dans la vie de ses jeunes jusqu’à leur majorité pour éviter ce qui n’est ni plus ni moins qu’un passage à l’acte. La médecine est très intime du Réel dans son registre biologique et organique. Concernant la demande, le désir, le discours, le fantasme, le délire, il me semble qu’il devrait être vivement conseillé qu’elle travaille en partenariat avec la psychanalyse. Et les psychologues ? Vu que, de toute évidence le souhait d’écouter l’autre est là, ce me semble être un bon conseil que de les inviter à se former à la psychanalyse, la vraie, la freudo-lacanienne. Les médecins ne peuvent pas, comme les parents, être seuls face à des décisions irréversibles pour les plus jeunes d’entre nous, qu’ils soient en Suède ou ailleurs.
Quand un médecin souhaite répondre à la demande d’un mineur, il cherche à répondre à sa propre demande d’amour, sauf si cette réponse est justifiée cliniquement, ce qui, de toute évidence, n’est pas le cas dans cette vague de transgenres. C’est dans la logique mentale d’un médecin, comme c’est dans la logique mentale d’un parent majeur, de ne pas mettre son ardeur à ralentir la demande des enfants de changer de sexe, comme c’est dans la logique des associations des transsexuels d’appuyer la démarche que des mineurs de plus en plus jeunes passent à l’acte avec le consentement des majeurs qui les entourent, en l’occurrence, la société toute entière. Cela au nom du respect de la liberté de choisir. Pendant que le médecin, dans son besoin d’amour répond à la demande de l’autre, le psychanalyste, sans pour autant se tourner les pouces, a comme stratégie d’y aller mollo, c’est-à-dire, de ne pas se presser. « Mollo » en italien signifie lâcher, ralentir le rythme.
Le nommé Jêran Rostam dans l’article, dit ce que suit : « Ce qui m’agace le plus, c’est cette image qu’on donne des jeunes comme incapables de prendre une décision, ou de se connaître eux-mêmes ».
Depuis quand un jeune décide sur les changements à apporter à son organisme ? Il ne décide pas, en revanche, s’il y a un adulte dans les parages, ce dernier a comme fonction de l’entendre, de le calmer, de le conseiller, de le frustrer, de le priver, avec bienveillance. C’est ici que la castration psychanalytique prend tout son sens.
Un psychanalyste refuse des patients, il ne répond pas à la demande, surtout quand elle est uniquement imaginaire. Ce refus peut même réveiller la souffrance et réveiller même le désir de savoir.
Une société qui ne protège pas les enfants de la demande de l’Autre non barré, incarné ici par des majeurs qui l’entourent, est un groupement moïque atteint, comateux, voire éteint.
J’ai saisi la puissance destructrice des organisations intramoïques (l’Autre non barré et la résistance du Surmoi), en lisant par hasard, quand j’étais psychanalyste dans un service d’hématologie, « La chanson du sang » de Prévert :
« …le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman… »
C’est le poète qui a ouvert mes yeux sur jusqu’où peut aller la haine du Moi du majeur envers l’enfant qu’il a là, à porter de sa main, sous sa coupe, pour lui tout seul. Il peut faire ce qu’il veut car l’enfant c’est à lui, dans son imaginaire, dans sa réalité. C’est ce qui se passe dans le Moi d’un père, d’une mère, d’un frère aîné. C’est dans cette logique que le Moi se venge, en violant sa petite sœur, en produisant ce que la médecine sans courage appelle pudiquement « syndrome du bébé secoué ».
La livre de chair offerte à l’Autre non barré s’étale au nom du bien-être de l’enfant. L’hôpital Karolinska, pionnier de la dysphorie de genre, dépendant de l’institution qui décerne le prix Nobel de médecine, « refuse désormais le traitement hormonal aux nouveaux patients mineurs, sauf dans le cadre d’une étude clinique. Il invoque le principe de précaution et s’appuie sur une compilation d’études montrant qu’il n’y a pas de preuves de l’efficacité de ces traitements, pourtant irréversibles, pour le bien-être des patients. ». Il faut entendre « traitement » comme étant « dès 16 ans : bloqueurs de puberté pour les plus jeunes, injections de testostérone ou d’œstrogènes, opérations de la poitrine, orthophonistes pour changer sa voix, épilation, greffe de barbe, etc. À partir de 18 ans, l’administration autorise enfin l’opération des parties génitales, créant un pénis à partir du clitoris ou avec de la peau, modelant un vagin par inversion de la verge ou avec un morceau d’intestin. » : l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Suis-je contre mes compatriotes en humanité, qu’ils soient « transgenres » ou « homosexuels » ? Pas du tout. Cependant, un enfant qui naît avec un zizi c’est un garçon, un enfant qui naît avec une zézéte c’est une fille. Ce sont les paumés qui veulent, telle la grenouille de Monsieur de la Fontaine, remodeler le Réel. D’Aristote à Lacan, c’est le même Réel. La différence est que Freud à répondu à la Métaphysique – selon les uns le mot est d’Andronicos de Rhodes, selon les autres de Nicolas de Damas – d’Aristote avec sa Métapsychologie, en reconnaissant le poids et le pouvoir des organisations intramoïques dans le destin des pulsions de l’enfant.
Jusqu’à la solidification des berges œdipiennes, cette solidification se caractérise par ce moment précieux, moment de castration, où l’être devient responsable de son existence, la libido coule par où les organisations intramoïques parentales appuient son déversement : Le Moi, au service des organisations intramoïques, peut jeter son dévolu fantasmatique sur le Réel du corps de l’enfant, jusqu’à ce que ce dernier, pour répondre à la demande, acquiesce à devenir ce que veut l’autre, le Moi parental, ce dernier étant téléguidé par ses propres organisations intramoïques. Que l’enfant porte un pénis ou un vagin, le Moi parental décidera qu’il est un enfant, qu’il le restera, qu’il est un garçon, qu’il deviendra fille. Ici, l’anatomie c’est le désir des organisations intramoïques parentales.
La fonction d’un parent, quand il occupe la position d’adulte, est de travailler pour que l’enfant puisse devenir quelqu’un de bien, si tel est son désir. Si cette opération se passe autrement, de là l’existence des trans, homos et tant de difficultés de l’être avec la sexualité, cela signifiera que la libido a pris la voie qui donnera à l’être son statut de transsexuel, d’homosexuel, d’hétérosexuel, d’impuissant, de jouisseur, de joyeux, de mort.
Le psychanalyste écoutera la souffrance, si souffrance il y a, d’occuper ce choix sexuel. La société, si elle est constituée d’êtres mentalement apaisés, aura la responsabilité d’exiger le respect de ces compatriotes une fois devenus adultes, trans, homos. Un garçon ne doit pas avoir l’obligation de devenir trans ou homo pour répondre à la demande de l’Autre jouisseur.
Le respect n’est pas une idéologie, c’est une manière civilisée de reconnaître la différence de l’autre, voire chez lui.