Fernando de Amorim
Paris, le 16 juillet 2025
Quelle ironie délicieuse – l’ironie et la colère dégoulinent de ma plume – de lire à la même page 10 du Monde : « Dans les centres médico-psychologiques, porte d’entrée du soin psychiatrique, le tri des patients s’impose de plus en plus » et plus bas « À Paris, un centre psychiatrique pour “soulager” les migrants ».
Les psys sont sauvés de leur amateurisme par un dessin de presse où une réceptionniste répond à trois personnes qui attendent : « Quelle chance ! Le mois prochain il y a une place dans la fille d’attente ». L’esprit du caricaturiste dit plus vrai que les psys et les politiciens réunis. Un président qui propose douze séances remboursées par an et par personne et un Premier ministre qui parle de responsabiliser les patients. Responsabiliser le Moi ou l’être, Monsieur le Premier ministre ?
Cette déconnexion de la réalité quotidienne – « de l’argent jeté par la fenêtre », dirait ma grand-mère – est-elle due au fait que ce n’est pas leur argent qui est en jeu ?
J’avais proposé de professionnaliser les étudiants, de ne plus rembourser les consultations psychothérapeutiques, de faire usage des bâtiments publics déjà existants et vides une partie du temps pour installer des consultations publiques de psychanalyse selon le modèle de celles du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital : aucune réponse concrète n’y a été donnée. Pourtant, j’apprends – ce que je sais depuis plus de trente ans – qu’il n’y pas de place dans les CMP et qu’il faut maintenant soulager les migrants. Soulagement placé entre guillemets dans l’article.
Je déteste l’artifice des guillemets : ou bien l’effort est fait de bien dire, ou bien il est préférable de tenir sa langue. Ou sa plume.
Apparemment, il faut parler pour ne rien dire, écrire pour occuper le temps. Du divertissement pascalien, en somme.
D’un côté, la France dispose d’une armada de psychologues et, de l’autre, les CMP n’ont pas de place pour accueillir les enfants et leurs proches. Avons-nous un pilote dans l’avion ? Le pilote et son embonpoint sont coincés dans le cockpit depuis des décennies. Quant à la tempérance et aux gesticulations rhétoriques du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, ce ne sont que « paroles, paroles, paroles ».
Affirmer que « le gouvernement a érigé la santé mentale comme grande cause nationale de l’année 2025 » indique une érection gouvernementale de plus. Une telle turgescence ne produit pas d’effet chez les Français, ni du travail, ni de la joie à voir le fruit de leurs efforts se transformer en résultats palpables, du projet d’achat d’une maison à la glace supplémentaire pour les enfants en été sans avoir à s’inquiéter du compte à la fin du repas. Sans paix d’esprit, impossible de travailler, d’étudier, d’aimer. Cette leçon première de la psychanalyse est-elle si difficile à saisir ?
La paupérisation de la Nation commence avec chaque majeur qui met un enfant au monde sans projet d’avenir. Mettre des enfants au monde parce que le Moi le veut bien, couper le prépuce des garçons, exciser les filles, les abandonner à leurs pulsions naissantes, c’est criminel, c’est moïque, c’est humain. Le Moi fort est maître dans ce monde. Son érection déborde et personne n’est apte à le calmer. Le psychanalyste fait des propositions. Les adversaires, voire ennemis, du désir font la sourde oreille. Ils brûlent des écoles, des gymnases, le Moi ne pipe mot. Il n’y a pas de projet désirant d’avenir pour les jeunes parce qu’il n’y pas d’adultes aux commandes. Il y a des majeurs à la maison et des petits, moyens et grands jouisseurs aux manettes.
Il n’y a pas grande cause nationale, il y a érection aliénée d’une minorité qui ne descend pas dans la rue pour voir les projets vivants qui produisent des effets. Ceux de la CPP (Consultation Publique de Psychanalyse), du RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital) – École de psychanalyse. Ceux de la psychanalyse portée par des cliniciens véritablement engagés avec le désir de l’être. Preuve à l’appui.
La France est une oasis de civilisation sur un caillou aride. Ce que le Moi humain touche se transforme en merde. Il détruit comme il respire. La construction est propre à l’être humain, la destruction est au cœur de son Moi.
Les promesses faites aux jeunes après la crise sanitaire ne sont pas ressenties par ces derniers, puisqu’ils témoignent d’une détresse et d’un manque de visibilité sur l’avenir.
Le pays est guidé par des vieux, des jeunes qui pensent vieux, des vieux paresseux, des vieux gras, des vieux qui tètent encore et toujours les mamelles de l’État depuis des décennies.
Les vieux, ici, c’est le Moi, car je ne vise jamais les personnes. Qui suis-je pour critiquer un politicien ou un psy ?
En revanche, je peux très tranquillement leur signaler qu’ils font fausse route avec des projets sans courage, sans ambition, sans désir.
Se plaindre qu’il n’est pas possible de trouver des pédopsychiatres à recruter est une absurdité nationale. Il faut engager des psychothérapeutes qui montrent leur compétence en six mois. S’il s’agit d’un clinicien compétent, il reste ; sinon, dehors. Qu’il aille se former et revienne plus tard. Qui jugera de cela ? Le patient. Comment juger de cela ? En louant au clinicien la salle d’un bâtiment public pour qu’il puisse recevoir les patients. S’il est bon, le patient reste ; s’il est incompétent, il n’aura pas de visite et ne pourra donc pas payer le loyer du local.
Cette politique du téton qui consiste à donner – donner la santé mentale, donner l’éducation, donner l’habitation, sans que rien soit demandé en retour pour le bien de la Nation toute entière – forge des politiciens adeptes du clientélisme et de la paresse mentale, ce qui va comme un gant au Moi, aliéné par structure, des majeurs qui attendent leur tétine matin, midi et soir.
Une femme dépose une demande d’allocation aux adultes handicapés et son patron se rebelle quand il reconnaît ses sculptures vendues sur Internet. Elle n’a pas les moyens de taper à la machine, mais elle a ceux de travailler le bois. Elle se fâche et traîne le patron devant les prud’hommes.
Ce qui est utile pour grandir devient une arme contre le travail et l’effort. Comment une nation de paresseux et d’assistés peut-elle être combative pour l’avenir et surtout pour l’aujourd’hui ?
D’ailleurs, quelle est la relation entre ma harangue et le titre du journal ?
Regrouper des centres médicaux afin de « concentrer les forces médicales » est un bricolage national. Un clinicien, contrairement à un praticien, pense plus loin, ne se contente pas des miettes. Il est vrai qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite.
En 2018, la France possédait 3 152 CMP. Aujourd’hui, elle n’en possède plus que 2 934. Quid de la grande cause nationale ?
Comment est-il possible d’étendre l’accès aux soins (+ 3 %) quand il y a moins de personnel ? D’ailleurs, en quoi consistent ces soins ? Techniques de dressage du Moi, conseils, camisoles de force chimiques ?
Soigner, ce n’est pas faire disparaître le symptôme. En médecine, cela a un sens ; pas en médecine mentale, comme on disait au XIXe siècle. En psychanalyse, l’être est soigné quand il devient sujet, ce qui implique qu’il est apte à construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Une telle opération prendra le temps de la construction. Ce dont je suis sûr, c’est que cela ne se fait pas avec le lait de maman aide sociale dans la bouche ou le titre d’handicapé délivré par un psy d’État.
Le problème de la désertification n’est pas un problème, au contraire de ce que défend la présidente du Syndicat des psychiatres hospitaliers. Si les enseignants en psychiatrie ou en psychologie ainsi que les responsables d’écoles de psychanalyse et tous ceux qui s’intéressent à la santé mentale – preuve clinique à l’appui – se rassemblaient, il serait alors possible d’envoyer des étudiants de médecine ou de psychologie – en psychothérapie ou psychanalyse personnelle et en supervision – assurer des consultations dans les régions les plus reculées de France, recevoir des patients deux jours par semaine, être rémunérés par les patients selon leurs moyens, payer la location du bâtiment (salle de mairie, par exemple) et ainsi se construire en tant que professionnels. Le tout en suivant le cursus universitaire.
Ce qui m’enrage, c’est que nous avons tout ce qu’il faut pour être bien, pour aller mieux. Or les Français vont mal et consomment des médicaments psychiatriques de manière abusive.
D’un côté, pas de place en CMP ; de l’autre, des personnes qui viennent en France, comme cette dame qui a laissé son fils au pays et qui a peur d’oublier son visage, elle qui oublie tout ce qu’elle fait. « Pourquoi ça m’arrive ? », se demande-t-elle. Intervention de la psychiatre : « Votre cerveau est trop stressé, il n’en peut plus. » Voilà la dame bien avancée. Cette intervention se déroule dans l’unité Capsys, consultation d’accompagnement psychiatrique et social du groupe hospitalier universitaire psychiatrie & neurosciences de Paris.
Quand les neuro-scientologues se mettent à faire du social, appuyés par « l’agence régionale de santé […] et son accès […] gratuit », je suis autorisé à demander où est le dispositif de santé ? Un migrant dans l’illégalité doit retourner chez lui, car on n’entre pas chez quelqu’un sans y être invité, logique qui échappe aux idéologues de l’Assemblée nationale. Quand il est le bienvenu, il a besoin d’un travail, d’un logement digne, de parler français, d’entrer dans la Nation par la bonne porte ; pas d’entrer en France par la porte dérobée pour y vivre dans la misère et y poursuivre son chemin idéologique religieux. Il faut une idéologie moïque pour inventer des machins pareils.
L’histoire de ces migrants est humainement terrible. Cependant, le travail du clinicien n’est pas de s’identifier, de se lamenter avec eux, de les consoler, comme la psy qui dit : « Il faut s’accrocher ». Face à une formule si plate, je fais appel à Cicéron. Et je fais appel à Freud, à Lacan, aux membres du RPH pour aider le Moi pauvre et dur à devenir riche et suffisamment malléable pour saisir la logique de vivre dans un pays laïc et non dans une dictature travestie en idéologie religieuse.
Le travail du clinicien – un psychanalyste le sait – consiste à ce que l’être devienne sujet, d’où qu’il vienne. De toute manière, tout le monde vient du même endroit : du ventre de sa mère. Après cela, il est nécessaire d’être responsable de soi-même. Mais il est impossible de devenir soi-même si les gens qui ne travaillent pas nourrissent l’aliénation du Moi avec l’argent du contribuable.
Les médicaments psychiatriques n’ont jamais été des traitements, mais des camisoles de force chimique. Oublier cela, c’est s’aliéner avec celui qui souffre. D’où l’importance de travailler avec des psychothérapeutes formés à la clinique psychanalytique, celle qui propose que l’être devienne sujet et non un migrant soulagé, même entre guillemets.
Le Capsys a réalisé 6 280 consultations en 2024. La CPP du RPH a assuré, en 2023, 76 969 consultations, cela sans demander un centime à papa État, ni à maman Assurance maladie. Cherchez l’erreur !