Fernando de Amorim
Paris, le 2 février 2025
L’écoute flottante en psychanalyse, cette manière vagabonde, presque somnolente, d’écouter, est une stratégie clinique pour que le Moi du clinicien ne se mêle pas du discours qui lui est confié car, toutes les fois que le Moi du clinicien intervient, il déroute l’avancée de la cure de celui qui souffre. Pour épargner cette avidité du Moi du praticien à occuper la scène du discours d’autrui, le silence se fait nécessaire. Comme je l’ai évoqué plus haut, il s’agit d’une stratégie clinique. Rien à voir avec la capacité de rêverie d’une mère. Le vide chez Bion ne correspond pas à mon rien1[1].
Le rien est la rencontre inévitable pour n’importe quel humain qui entre dans ce monde. C’est grâce à l’Autre barré que la mère engage son désir à faire en sorte que cet enfant puisse profiter aussi des commodités de devenir un être qui parle, qui grandit et qui, à un moment donné, prendra sa route.
Aucun Moi humain ne souhaite un tel désir pour un enfant. Le Moi veut autrui, ici le nourrisson, l’enfant, dans la position de bébé, de nain, de bouffon Triboulet du Roi ou de Cathelot de la Reine, la Reine-mère. La capacité de rêverie du Moi d’une mère ne devrait pas être comptabilisée dans la relation du Moi de la mère avec son fils. Quand une mère parle ou chante pour calmer l’enfant, elle n’est pas dans un état de rêverie, mais elle introduit l’Autre barré entre son Moi et celui de l’enfant. Elle commence à secouer l’enfant, autrement dit à perdre patience, quand son Moi n’arrive pas à être maître de la situation, c’est-à-dire quand le nouveau-né ne désire pas occuper la position d’objet mais de sujet.
Le psychiste, en utilisant le vocable « bébé » quand il s’adresse au nourrisson ou à l’enfant, installe le nouveau-né, nourrisson ou enfant dans la position d’objet, voire de chose du désir de l’Autre non barré. Un nourrisson n’a pas d’élément bêta, comme une mère n’a pas de fonction alpha2. Elle a du désir et ce désir est mélangé à sa fatigue, à son Moi aliéné, à ses organisations intramoïques. Autrement dit, il n’y a pas de manuel pour être parent. Cette radicalité dans la position de l’être enfant, oblige le parent à éduquer en tâtonnant. Faire appel à son imaginaire, par fantasmes ou délires, ne contribue pas à ce que l’expérience de l’être pour entrer dans le monde soit plus facile.
La fonction alpha de la mère serait de rassurer, de calmer le nourrisson. Ces consignes sont données par le Moi d’hommes, Meltzer et Bion en l’occurrence. Or le Moi est aliéné par structure et un homme ne saura jamais ce qu’est un accouchement. La fonction alpha est là pour recevoir ceci ou cela, mais cette proposition théorique n’arrive pas à répondre à des questions matérielles que les parents se posent dans la vie quotidienne d’un nouveau-né. Il faut entendre « répondre à des questions matérielles » s’il s’agit de parents adultes, car les parents majeurs ne posent pas de questions, ils imposent leurs solutions. Le symptôme chez l’enfant est une réponse discordante aux injonctions parentales.
La théorisation psychothérapeutique bionienne me semble énigmatique pour répondre aux faits cliniques. L’intention est de théoriser une situation là où seule une femme, mère, ayant traversé une psychanalyse, pourra, me semble-t-il, en instruire plus d’un sur ce que sont les éléments bêta et les éléments alpha. Comment évoquer une pensée d’un nourrisson quand ce dernier n’a pas accès au Symbolique ? Ma stratégie est de faire appel à la parole dite librement des parents autour de l’enfant.
En installant le transfert avec les parents, il me semble plus viable d’aider le nourrisson à grandir dans la famille qui est la sienne.
La mère, avec sa fonction alpha, n’est pas là pour recevoir les éléments bêta, mais pour s’organiser pour que ce nouveau venu puisse compter avec elle. Or, dans le cas des jeunes mères, dans le cas du Moi psychotique maternel, l’arrivée du nouveau-né peut prendre de court toute possibilité d’occuper la position de mère, position qui suppose au moins vingt ans de répétition des mêmes phrases. Jusqu’à ce que l’être soit prêt pour être dans le monde. La projection n’est pas uniquement le fait de projeter les mauvaises pulsions. Premièrement, parce qu’il n’y a pas de mauvaises pulsions, il y a des pulsions qui visent à s’accomplir. Deuxièmement, parce que tout ce qui est bon ne vient pas uniquement de l’extérieur.
- Meltzer, D. (1986). Études pour une métapsychologie élargie – Applications cliniques des idées de Wilfred R. Bion, Larmor-Plage, Édition du Hublot, 2006, p. 137. ↩︎
- Sur les notions de fonction alpha et d’élément bêta, voir l’œuvre de Wilfred Bion. ↩︎