Fernando de Amorim
Paris, le 12 octobre 2025
Très intéressant est l’article de Brigitte‑Fanny Cohen dans Le Figaro Magazine du 10 octobre 2025. Elle y évoque des « ténors de la recherche » dans le domaine des troubles mentaux. Avec le respect que je dois aux dames et aux messieurs cités, il n’est pas possible de traiter un problème clinique majeur qui concerne « un Français sur quatre […] à un moment de sa vie » avec des stratégies claudicantes – questionnaires, conseils, techniques de dressage du Moi, même si ce dernier ne demande que cela – surtout quand nous avons en France une armada de psychologues et quelques psychiatres qui désirent devenir psychanalystes.
Le psychiatre prescrit des médicaments, hospitalise dans des situations extrêmes. Le psychologue fait des bilans et conseille. Ni le psychiatre ni le psychologue, chargés uniquement de leurs diplômes universitaires, ne sont habilités à conduire des psychothérapies ni, bien évidemment, des psychanalyses, même si le site officiel d’information du service public prétend le contraire.
La journaliste met en évidence les neurosciences. Pourtant, la psychanalyse au RPH assure 75 000 consultations en moyenne par an. Sans mendier un seul centime au gouvernement. J’aime à dire que le RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – École de psychanalyse) et sa CPP (Consultation Publique de Psychanalyse) sont portés par le désir de leurs membres.
Pour quelle raison le professeur Michel Lejoyeux, pilote de la grande cause nationale 2025, et le docteur Frank Bellivier, délégué ministériel à la Santé mentale et à la Psychiatrie, ne s’intéressent-ils pas à ce que nous faisons au RPH, à la manière dont nous le faisons et aux bénéfices concrets pour la population ? Par idéologie, car s’ils se comportaient en cliniciens, ils chercheraient à savoir si ce que nous faisons depuis 1991 pour la santé mentale en France mérite d’être élargi à l’ensemble du territoire national.
Bellivier dit que la proposition du président Macron, « 12 consultations à 50 euros », est « un véritable succès avec 2 millions de consultations réalisées ». Il ne peut pas dire autrement, puisqu’il est un employé du dispositif. J’avais dit dès le début que cela ne ferait pas grandir les citoyens. Ce machin est un gaspillage de deniers publics et une aubaine pour les psys incompétents. Pas plus tard qu’hier, j’ai entendu que cela fait gagner de l’argent à des psychologues en mal de patientèle. Comment un bras cassé pourrait-il apporter de l’aide à un comateux ?
J’écris cela avec l’autorité du psychanalysant que je suis. J’ai frappé à la porte de plus d’un : présidents de la République, premiers ministres, ministres de la Santé, les universitaires qui forment des psychiatres et des psychologues, des responsables d’écoles de psychanalyse. Pas un n’a répondu favorablement à ma demande, demande qui consiste à disposer d’un local expérimental pour que des jeunes cliniciens, formés à la psychanalyse – l’unique science qui a construit une méthode et des techniques avec des résultats vérifiables concernant la santé mentale – puissent montrer de quel bois est faite cette science mise sur pieds par Freud, Lacan et quelques autres. Pas un ne m’a répondu. J’ai été obligé d’acheter un local avec mes deniers pour que les étudiants, aujourd’hui des docteurs, psychanalystes, commencent à pratiquer tout en donnant un coup de main – plutôt une écoute psychanalytique – à nos compatriotes en détresse.
Affirmer cela, est-ce faire de la provocation ? Pas du tout. Aujourd’hui, la CPP fonctionne à merveille. Je n’attends quoi que ce soit de qui que ce soit. J’affirme simplement que, si la souffrance psychique des Français intéressait véritablement les autorités, elles se seraient empressées de venir voir ce que nous faisons au sein du RPH, comment nous le faisons et pour quelle raison il n’y a pas de suicide dans ma clinique ou dans celle de mes élèves depuis septembre 1981, et elles ne se contenteraient pas d’évoquer la division par deux du nombre de tentatives de suicides et la réduction de 42 % des hospitalisations, comme l’affirme le professeur Leboyer. Il faut dire que cela me fait sourire quand ses services demandent de l’argent pour soutenir sa recherche sur la schizophrénie. Je pense qu’il faut de la recherche, mais pas au détriment de ce qui fonctionne déjà.
La journaliste écrit : « On n’est plus obligé de pleurer plusieurs années sur un divan pour aller mieux. ». Sur le divan, les personnes pleurent. Peut-être la journaliste ne connaît-elle pas cela. En tant que psychanalysant, je me souviens d’une séance où j’avais été pris par une tristesse immense. Mes larmes coulaient avec la reconnaissance de ma souffrance.
La psychiatrie « pose des diagnostics et propose des traitements validés », selon le psychiatre David Gourion. Et alors ? La psychiatrie a fait une erreur épistémologique immense pour avoir le statut de science : elle a suivi la méthode expérimentale de Claude Bernard, méthode fondamentale pour la médecine organique mais bancale pour la psychiatrie, surtout quand le psychiatre n’a lu ni Bernard, ni Aristote, ni Pinel, fasciné qu’il est d’apprendre par cœur le DSM. Le psychologue en soif de reconnaissance scientifique a suivi, selon mon interprétation, la voie du psychiatre. Les trois disciplines – médecine organique, psychiatrie, psychologie – ont sacrifié l’être au nom de leur vanité rationaliste. Je suis pour un partenariat avec les trois, car je suis un partisan du ménage à quatre épistémologique.
Le diagnostic est fondamental en santé mentale, mais il est une boussole pour le clinicien, pas pour le malade. Le diagnostic structurel tombe comme un fruit mûr et non en fonction de la lune du psychiatre, ou du psychologue.
La psychanalyse, tel un vaisseau, est un traitement validé : validé par celui qui l’a vécu dans les entrailles, qui est sorti du bateau debout, marchant par ses propres moyens. La psychanalyse ne propose pas d’être une béquille, une pilule à vie, sauf situations particulières. Je pense ici au Moi schizophrène qui rencontre une psychanalyste et continue une dose infime de psychotrope parce que son psychiatre, au contraire de lutter contre le transfert du monsieur aux rendez-vous avec la psychanalyste, a appuyé chaleureusement sa démarche.
Ce monsieur est arrivé il y a dix ans pour la première fois chez la psychanalyste, sale, malodorant, sans domicile et édenté. Aujourd’hui, toujours fidèle à ses rendez-vous avec la construction de sa subjectivité, il a trouvé un travail, loué un appartement, vient propre et correctement habillé et s’est fait faire un dentier.
Voulez-vous vraiment agir pour la prévention et le soin psychique des Français ? Mettez ensemble toutes ces personnes qui se disent professionnels de la santé mentale et pressez-les sans pitié. Celui qui restera méritera l’attention des pouvoirs publics.
Si vous ne faites pas cela, c’est parce que vous tenez davantage à vos croyances, à vos préjugés, à vos idéologies, qu’à rendre compte clinique de vos compétences aux contribuables, votre véritable patron. Une consultation à 50 balles, ce n’est pas beaucoup d’argent quand cela ne sort pas de vos poches.
Dans la vie réelle, celle de la Consultation publique de psychanalyse, je ne suis pas confronté aux conclusions du « stress de la future maman » et à l’impact de ce dernier sur son ADN, comme l’évoque le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. À la CPP, les femmes viennent enceintes de leurs violeurs ; parfois, elles sont à la rue, expulsées par leurs grands frères ; elles viennent aussi avec leurs nouveau-nés qui ne sont pas les bienvenus parce que la mère est tombée amoureuse d’un Français et que le père, arabe, veut qu’elle se marie avec son cousin, qui a l’âge du paternel. La clinique du RPH est parfois loin de la femme « sécurisée par son conjoint », parce que ce dernier est inexistant, par « sa famille », car cette dernière la renie, ou par « des amis », les rares qui sont restés étant impuissants à l’aider. Dans ces cas de figure, qui ne sont pas rares, les molécules « méthyles », « preuve que la mère sécrète davantage de cortisol et de catécholamines, des substances provoquées par le stress », comme le dit Cyrulnik, agissent sur le fœtus, voire sur le nourrisson. Je me refuse à appeler « bébé » un être humain, comme le font le neuropsychiatre et l’immense majorité des majeurs. Un nourrisson humain n’est pas un nain de la cour du duc de Lorraine. Cette manière de dire – car en psychanalyse les mots comptent – indique que la visée du Moi n’est pas de faire en sorte que l’être devienne sujet, ce qui est le projet clinique d’une psychanalyse, mais d’alimenter l’aliénation dans ce que j’appelle le divertissement pascalien.
Cyrulnik prend soin de dire qu’il n’accuse pas les mères mais le malheur des mères, à savoir « les violences conjugales, la précarité sociale, la guerre, les deuils ». Accuser cela changera-t-il quelque chose au quotidien des femmes ou des enfants ? Depuis des millénaires, les humains y sont confrontés. Cette innocence est inconvenante. J’accuse les organisations intramoïques de la mère, je vise le Moi aliéné et aliénant de la mère et, cela va de soi, du père aussi. En attirant l’attention de l’être de la mère sur son Moi et sur ses organisations intramoïques, je dispose de plus de moyens d’opérer cliniquement qu’en se lamentant sur le malheur humain de l’enfant, de la mère, du père ou du pape.
Comment, à partir de questionnaires, orienter des jeunes « vers le bon professionnel de santé » ? Cette manière de faire du professeur Marie‑Odile Krebs, refuse toute avancée acquise par la psychanalyse : l’importance du transfert et la présence de la haine du Moi, de son corps et d’autrui.
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