Fernando de Amorim
Paris, le 14 décembre 2025
In memoriam
M. le docteur Jean-Michel Gal
Il n’y a pas de place pour la tristesse chez l’auteur de ces lignes. J’identifie plutôt la colère. Le psychiatre Jean‑Michel Gal a été assassiné, selon les propos de madame la procureure de Pointe‑à‑Pitre, Caroline Calbo.
Ma colère est associée aux attaques faites à la psychanalyse, puisqu’en 1938 Henri Ey, camarade de Jacques Lacan, reconnaissait à sa manière – c’est-à-dire ambiguë – la psychanalyse et son importance pour la clinique psychiatrique. En 2025, la psychanalyse reçoit toujours des coups. Toujours les mêmes : elle ne serait pas scientifique, elle ne ferait pas la preuve de ce qu’elle avance…, j’en passe et des meilleures.
Pourtant, il n’y a pas eu jusqu’à présent, de septembre 1981 à décembre 2025, de suicide ni de meurtre chez les psychologues, les psychiatres et les analystes qui suivent mes indications puisées chez Freud et chez Lacan.
Où sont les détracteurs de la psychanalyse ou des psychanalystes ? Où sont les techniciens du comportement et du cognitivisme humain ? Quelle est leur stratégie pour éviter les drames (une psy assassinée dans XVIIe arrondissement de Paris il y a douze ans, une psy assassinée en banlieue il y a cinq ans et maintenant Jean‑Michel en Guadeloupe) ? Je le dis aux entourages de madame Rist, à l’EPSM, à l’ARS, à l’URPS : vous jouez avec le feu et ce sont les femmes et les hommes sur le terrain qui se brûlent, voire y laissent leur peau.
Pour quelle raison n’y a-t-il pas de mort jusqu’à présent au sein de la Consultation Publique de Psychanalyse du RPH ? Parce que je ne laisse aucune place à l’expression de l’agressivité. Une fois que la pulsion agressive s’engage dans la voie de son accomplissement, cette voie se dilate vers la pulsion de destruction, vers l’auto-agression ou vers la destruction, de soi ou d’autrui. C’est le b.a.-ba psychanalytique.
Les détracteurs de la psychanalyse confondent le psychanalyste avec celui qui s’inspire de la psychanalyse, avec les psychologues-psychanalystes, avec les psychiatres d’orientation analytique. Un psychanalyste occupe une position clinique sans demi-mot.
Le CMP, qu’il soit à Paris ou en Guadeloupe, est une institution dépassée. La raison en est que celles et ceux qui y pratiquent ne peuvent pas déployer leurs ailes cliniques. Ils sont devenus des fonctionnaires du psychisme.
Proposition : que l’État laisse aux cliniciens les clés des CMP. Que ces derniers louent la salle de consultation pour qu’ils puissent recevoir selon leur désir. Ce qui suppose une formation psychanalytique à la française : psychanalyse personnelle sans fin, études théoriques, supervisions, contrôles. S’ils travaillent bien, ils auront des résultats de cliniciens et ils seront rémunérés à la hauteur de leurs compétences.
Assez de ces consultations gratuites qui nourrissent les organisations intramoïques, organisations qui à leur tour esclavagisent le Moi, Moi qui cherche vengeance.
Lisez le discours de l’assassin de Jean‑Michel : « il voulait se venger de tous les traitements médicaux et de la psychiatrie en général ». Je l’affirme : il faut revoir la copie de la médecine humaine en général et de la psychiatrie en particulier. La psychanalyse est un bijou pour ceux qui savent le porter. Ce bijou, je le porte dans mon cœur. La psychanalyse m’a fait homme, père, grand-père, clinicien, docteur, sensible à la détresse de mon frère, non un frère d’arme comme chez les soldats, mais un frère en désir.
Je viens d’apprendre, la semaine dernière, l’existence de rencontres nommées Francopsies. Je souhaite m’inscrire à celles qui auront lieu en Guadeloupe l’année prochaine. Il y a une inscription prévue pour le « médecin » et le « non médecin ». Il n’y a pas de place pour le psychanalyste.
Je suis psychanalyste et je suis obligé, à défaut de case correspondante, de m’inscrire sur la case « médecin ». J’aimerais voir la case « psychothérapeute » et la case « psychanalyste », puisqu’elles correspondent à des positions cliniques articulées au transfert et non à des diplômes universitaires.
Il n’y a pas de case pour un désir que je porte depuis plus de quarante-cinq ans. Je m’accroche donc au signifiant de mes maîtres : Hippocrate, Freud et Lacan.
La psychanalyse est un bijou. Il faut des épaules pour le porter et du cœur pour porter le désir.
Ces agressions verbales et physiques – et non pas « physiques et verbales », comme il est écrit dans l’article – sont toujours colportées par des signes avant-coureurs d’une telle violence. Pour apprendre à les lire, il faut – c’est une injonction, sauf si la mort d’un homme ne suffit pas à votre indifférence ou à votre soif de sang, au choix – apprendre avec les psychanalystes français, les freudo-lacaniens, avec les cliniciens du terrain, les braves qui exercent en France, en Navarre et à Pointe-à-Pitre.
Sur une centaine de réponses à un sondage de l’URPS, 84 mettaient en évidence les agressions verbales et 48 les agressions physiques. Et personne n’a signalé aux adhérents qu’il ne faut laisser passer aucune menace à leur intégrité corporelle ou subjective, qu’elle soit d’ordre verbale et surtout corporelle ? Cette absence de formation clinique des médecins à la dimension psychique, humaine, de leur métier doit être corrigée le plus rapidement possible, mais ce n’est pas de la compétence des bureaucrates des ministères. Les médecins doivent compter avec les psychanalystes qui, comme eux, sont sur le terrain.
À la CPP, la moindre grimace, le moindre mot désobligeant adressé au clinicien est traité cliniquement. Si cela persiste, la consigne est que le clinicien doit mettre un terme à la consultation et indiquer au malade que, s’il souhaite rencontrer quelqu’un d’autre, il pourra l’y aider, mais qu’il n’est pas question qu’il agresse le clinicien. Jusqu’à présent, toutes les affaires de ce type ont été réglées grâce à cette technique articulée à la castration symbolique.
Ce que le clinicien met en place ici, c’est la présence du Surmoi, ce qui évite aux organisations intramoïques (l’agression verbale) et la résistance du Surmoi (violence musculaire) de s’accomplir.
Cette théorisation est de mon cru. Elle fonctionne jusqu’à présent. Elle est le résultat d’un travail de recherche et de la reconnaissance effective de la clinique psychiatrique européenne en général, française en particulier (Séglas, Esquirol, Ey…), ainsi que de la psychanalyse, celle de Freud, de Lacan et de leurs élèves…
Il n’y a pas d’« ironie du sort », comme il est écrit dans l’article : sans psychanalyste, la « réunion entre les services de police, de justice et du CHU » n’est qu’une réunion entre fonctionnaires qui apportera, peut-être, des solutions momentanées, mais pas dans la durée.
En revanche, la visée de la rencontre d’un psychanalyste avec un malade ou un patient est que ce dernier puisse devenir psychanalysant, puis sujet. Hors de cette ambition, il faut s’attendre à des tragédies.
La constante augmentation des agressions de médecins n’est pas uniquement une question des « moyens alloués à la psychiatrie à la Guadeloupe ». Il y a de cela, bien évidemment. Mais l’objectif est de protéger d’abord le personnel soignant et que ce dernier ne se sente pas obligé d’aller au-delà de ce qui lui est proposé par les autorités incompétentes qui nous dirigent. Ma révolte est immense.
Je demande depuis septembre 1991 que le ministère de la Santé me mette à disposition un local à Paris pour travailler avec des étudiants désireux de devenir psychanalystes, indépendamment du fait d’être en école de psychologie ou de psychiatrie, et que les autorités évaluent le résultat de cette clinique au bout de six mois. Cette proposition n’a jamais reçu de réponse favorable. J’ai été obligé d’acheter avec mes deniers un local pour construire la première CPP. Depuis, c’est un succès.
Qu’attendent ces professionnels de la politique pour vérifier si l’expérience est scientifiquement valable et, si la réponse est positive, l’élargir à tout le territoire national ?
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