Fernando de Amorim
Paris, le 18 novembre 2025
« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. »
Ludwig Wittgenstein
Tractatus logico-philosophicus
L’Assemblée nationale a accueilli Victor Hugo. De nos jours, le Sénat retrouve dans le verbe de Claude Malhuret, la compétence, l’érudition, la verve.
La présidence de l’École de la Cause freudienne a publié hier un communiqué intitulé Action lacanienne. Il est possible d’y lire ce qui suit : « Un amendement d’une exceptionnelle virulence contre la psychanalyse va être discuté au Sénat à partir du 19 novembre, c’est-à-dire dans deux jours. ». Les analystes devraient s’organiser pour défendre la psychanalyse sans avoir à attendre les amendements des uns ou des autres. Ce matin, les psychologues freudiens veulent lancer une pétition. Mais quand il faut signer, ça ne marche pas. Les psys sont comme quelques sénateurs : des as de la compétence à brasser du vent pendant la tempête. Les premiers ne s’engagent pas pour de vrai avec la psychanalyse, les seconds critiquent ce qu’ils ne connaissent nullement.
En ce qui concerne les analystes et les psys de la dite orientation psychanalytique, la première opération pour rendre digne la psychanalyse aux yeux de ses détracteurs serait de retourner sur le divan. La virulence contre la psychanalyse doit beaucoup à l’incompétence des psys qui se disent inspirés par la science mise sur pied par Freud.
Ma psychanalyse, celle que j’exerce, n’a pas besoin des sous de l’État. Des comptables de formation s’attaquent aux propositions « argent jeté par la fenêtre » du gouvernement, telles que « Mon soutien Psy » et les « centres médico-psychologiques ». Ils veulent y mettre un terme ? Je suis d’accord avec eux. Mais que vont-ils mettre à la place ? C’est ici que les critiques de la psychanalyse se retrouvent tel un poisson devant une pomme : ils prennent le parti des TCC et autres règles d’éducation pour les autistes et les malades mentaux sans savoir faire la distinction entre hystérie et pithiatisme.
Ils critiquent les quatre séances de psy par an, mais ne pipent mot, ou pipent en cachette, quand le gouvernement – ministre de l’Économie, Premier ministre (gouvernements Attal et Barnier), ainsi que le président de la République – dérapent de 60 milliards d’euros dans les comptes publiques.
Ma visée ici est d’indiquer que je forme des psychanalystes qui font un travail excellent, qui sont jeunes et qui ne dépendent pas de l’argent public. Ils ont leur compétence clinique comme garantie d’une opération psychothérapeutique et psychanalytique de qualité.
C’est avec cette génération que je vise contester, clinique à l’appui, les intrigants du Sénat, celles et ceux qui n’ont aucune compétence pour examiner la puissance de la clinique psychanalytique, pour déterminer si la psychanalyse est, ou non, une science et si elle mérite, ou non, les sous de l’État.
Qui attaque la psychanalyse ? Jocelyne Guidez, artiste ; Sylvie Vermeillet, comptable ; Michel Canévet, diplômé d’école de commerce ; Annick Jacquemet, vétérinaire. En résumé, aucune de ces personnes n’a l’habilitation requise pour discuter clinique, même si la médecin vétérinaire est la plus scientifique de tous. Mais, pour l’instant, la clinique humaine, grâce à la psychanalyse, n’est pas encore tout-à-fait une pratique animalière ou de dressage du Moi.
Pourtant, pendant que les psychanalystes sont dans le silence de leur cabinet, le discours nuisible nourrit la Maison de Claude Malhuret, le bienheureux, celui que, dans l’intimité domestique, j’associe à Cicéron. Qu’il soit ici salué en homme de verbe, de Loi et de science.
Je ne demande pas la charité, je demande qu’une confrontation soit mise en place pour que des psychanalystes puissent présenter aux membres du Sénat ce qu’est la psychanalyse française et son importance pour la santé des Français ainsi que pour de vraies économies sociales.
En 2004, au moment de la publication du document de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur la scientificité de la psychanalyse, j’avais réagi en signalant que la méthode et les agents de la méthode n’avaient pas la compétence pour en juger. Comment des médecins, des psychiatres, des psychologues peuvent-ils juger d’une psychanalyse s’ils ne sont pas psychanalystes ou ne le sont qu’à moitié – c’est ainsi qu’ils se présentent : « psychiatre-psychanalyste » ou « psychologue-psychanalyste » ou encore « psy d’orientation analytique » ? D’ailleurs, celui qui peut juger d’une psychanalyse est celui qui est entré et sorti d’une telle expérience eschylienne. Non à partir de commérages ou de l’argument d’experts qui ont analysé « environ 1 000 articles issus de la littérature scientifique internationale », comme l’avaient osé prétendre, au nom de la science, ceux qui ont pondu Psychothérapie, trois approches évaluées pour l’Inserm. Ces arrangements de type « approche psychodynamique » s’appuient sur la théorie psychanalytique de manière claudicante. La psychanalyse, ce n’est pas cela, le psychanalyste en institution, donc dans la position de psychothérapeute, non plus (cf. Cartographie du RPH). La psychothérapie est l’antichambre d’une psychanalyse et cette dernière n’est pas pour tout le monde. Pas pour des questions financières, mais parce que tout le monde n’est pas disposé à construire son désir.
Ainsi, les inexpérimentés du Sénat s’en donnent à cœur joie pour accabler des cliniciens. Pourtant, ces derniers, dans leur coin, dans le silence de la pièce de consultation, assurent une clinique qui pousse les Français vers le travail, vers l’amour et qui les pousse à ne pas céder sur leur désir. Une telle clinique, psychanalytique jusqu’au bout des ongles, fait faire des économies à la Sécurité sociale sans demander de deniers publics. Ces cliniciens sont membres du RPH – École de psychanalyse.
Je me demande de quel côté sont ces représentants – à l’Assemblée Nationale et au Sénat – de la population. D’où le titre de ma missive.
Sans demander un centime au gouvernement, les cliniciens du RPH – Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital, participent de 2 006 396 euros par an à l’économie du pays et assurent 76 969 consultations annuelles. Autrement dit, les cliniciens du RPH ne mendient pas aux portes de l’État en réclamant des subvention ; ils apportent de l’argent aux caisses du pays et remettent sur la route du désir des êtres perdus.
Ce matin, il est possible de lire en première page du journal Le Figaro : « Les jeunes musulmans de plus en plus rigoristes en France ». Le Point emboîte le pas en écrivant : « Attention sujet sensible », à propos de l’état des lieux du rapport des musulmans de France à l’islam et à l’islamisme. Plus tartufe, ce n’est pas possible. Que Molière me vienne en aide.
Ces jeunes ne sont pas rigoristes, comme l’écrivent ces quotidiens : leur Moi est rigide. De là l’allure paumée. Le Moi de certains jeunes est inculte et sans perspective d’avenir pulsionnel. Le Moi est né en France, mais il est écartelé par une idéologie aliénante, un leader violent et un dieu méchant. Quand quelqu’un est jeune et normal, sa vie est prise dans les interrogations sur l’amour et le sexe, non sur la destruction et la mort. La majorité des prisons françaises ne sont pas remplies de noirs et d’arabes, comme disent quelques-uns, mais de jeunes soumis à des injonctions idéologiques d’une cruauté déshumanisante. Face à la rencontre avec la pulsion et sa répression du désir au nom du livre, la misère sexuelle s’installe, ainsi que l’absence de l’enseignement républicain. Ici, la voie s’ouvre à la drogue, au trafic, à la prostitution et au crime. C’est ce que témoigne ma clinique, clinique psychanalytique toujours. Pendant que ma salle d’attente est remplie, je dois m’arrêter d’écouter la misère des Français parce qu’une poignée d’acharnés au Sénat ont décidé de continuer à attaquer ceux – les psychanalystes – qui luttent contre l’ignorance et la médiocrité moïque dans ce pays. Quid de l’excellence française quand, à l’Assemblée et au Sénat, des représentants se comportent de la manière la plus vile ? Je dois arrêter ma clinique pour me battre, par la plume, contre le Moi des gens qui devraient représenter le pays et nous tirer tous vers le haut. Au lieu de cela, le Moi de Ces gens-là, comme écrit Brel, taclent la psychanalyse, la science du désir civilisé, celle qui écoute des jeunes paumés qui pensent ne pas avoir d’avenir dans le pays. Un jeune Mohammed me paye 15 centimes d’euros pour quatre séances par semaine. Il faut détruire une telle expérience, mesdames et messieurs du Sénat en êtes-vous sûrs ? Je ne fais pas dans la charité, je rends aux Français ce qu’ils ont fait pour moi. Mon regretté ami, le docteur Philippe Saffar m’a dit un jour : « Les Français ont payé ma médecine ! »
La psychanalyse française est vivante grâce à Jacques Lacan. J’assure avec mon équipe un travail qui se veut et qui est sérieux et honnête, grâce à son enseignement. J’aimerais que la psychanalyse soit discutée par des débatteurs possédant un minimum de compétences pour le faire.
Ainsi, je m’adresse directement à vous, Monsieur le Sénateur Claude Malhuret. Demandez à vos collègues de mettre en place des dispositifs de contre-argument, en invitant par exemple des contradicteurs du DSM et des techniques de dressage du Moi humain, ce qui se rapprochera sans aucun doute des connaissances vétérinaires de madame la sénatrice Annick Jaquemet.
Quant aux sénateurs qui mettent en cause la psychanalyse, qui s’acharnent sur elle mais n’apportent pas de solution, qui veulent faire des économies de bouts de chandelles – je leur rappelle que certains sont membres de la Commission des affaires économiques – j’aimerais qu’ils puissent s’acharner sur la manière glorieuse avec laquelle le ministre de l’Économie a fait flamber le pognon national avec la même détermination.
De mon côté, je vous fais une proposition, proposition que je réitère depuis 1991 : utilisez votre influence pour améliorer le système français de santé mentale tout en faisant des économies et en nourrissant le désir, unique force capable de faire grandir un pays. Confiez-moi un local public et permettez-moi de travailler avec mon équipe pendant six mois. Après cette période, je vous montrerai que la psychanalyse fonctionne, qu’elle a bien la carrure d’une science.
Vous voulez savoir ce qu’est la psychanalyse, celle qui fonctionne et qui ne coûte pas à la société ? Venez au 33 rue Jean‑Baptiste Pigalle à Paris, rencontrez les jeunes psychanalystes et jeunes cliniciens du RPH.
Ne nourrissez pas la médisance et la méchanceté sur une clinique qui rapporte de l’argent et de la paix sociale et qui ne balance pas des milliards à la poubelle.
Ayez, tant soit peu, l’esprit scientifique.
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