Fernando de Amorim 
Paris, le 24 octobre 2025
 Pour R.
Un analyste n’est pas en capacité d’accueillir une position féminine parce qu’il n’est pas sorti de psychanalyse. Ce qui m’autorise à écrire cela, c’est qu’il se présente, se comporte et opère en tant qu’analyste et non en tant que psychanalyste. De là l’importance qu’à la sortie de sa psychanalyse le clinicien continue – comme indiqué par Freud en 1910 (cf. « De la différence entre les tranches d’analyse et la psychanalyse sans fin du psychanalyste ») – sa psychanalyse personnelle, histoire de protéger la psychanalyse et surtout le psychanalysant du Moi du clinicien. Aujourd’hui, je fais évoluer la formule, à savoir : histoire de protéger le psychanalysant, lui-même et surtout la psychanalyse du Moi du clinicien.
Le féminin du psychanalyste n’est pas encore au rendez-vous dans l’accueil de la détresse de son compatriote humain, qu’il s’agisse de la souffrance organique, corporelle ou psychique de celui-ci. Si la psychanalyse existe, le psychanalyste, lui, n’y est pas encore. Il faut qu’il fasse des efforts subjectifs, en continuant sa psychanalyse, pour être au rendez-vous psychanalytique. Le fait que le Moi abandonne sa psychanalyse dès qu’il trouve une brèche pour sa dérobade, le fait de faire des psychanalyses par tranches, comme si celle-ci était un saucisson, m’indiquent que l’analyste n’est pas encore éveillé aux enjeux de la découverte et de la mise à l’eau du bateau freudien que je nomme psychanalyse. L’auteur de ces lignes n’est pas psychanalyste mais psychanalysant. Autrement dit, j’estime que l’analyste n’est pas encore digne de la psychanalyse. S’il se présente en tant qu’analyste et non psychanalyste, cela m’indique qu’il refuse – puisqu’il occupe la moitié de la position – d’occuper la position de sujet et d’assumer une position féminine, position de celui qui porte la castration, qu’il s’agisse d’un psychanalyste homme ou femme.
Les limites de la féminité, ce sont les limites de la transmission du phallus imaginaire (φ). Cette transmission ne peut qu’accoucher de nouveaux phallus imaginaires. Que lesdits phallus s’expriment bien, puissent être bardés de diplômes, être séduisants ou bons hâbleurs, cela indique que c’est toujours le Moi qui est maître chez lui et que c’est lui qui mène la danse dans l’appareil psychique. Or une psychanalyse, indépendamment de la génitalité du clinicien, est portée par le sujet dans la position féminine car, en sortant de psychanalyse, le sujet se caractérise par sa position féminine. Hors de ce registre féminin, il est possible de repérer des positions phalliques, telles que la place du « psy », du psychothérapeute, du psychologue, du psychiatre, du psychosomaticien d’orientation analytique ou d’orientation psychanalytique.
Quid de la position de psychanalyste ? Elle n’est pas encore. S’il n’y a pas de position de psychanalyste, il n’y a pas de position féminine possible pour le psychanalyste et cela parce qu’il n’y a pas eu de sortie de psychanalyse, preuve à l’appui, à savoir la passe lacanienne comme je l’entends, ni surtout continuation de la psychanalyse personnelle, histoire de ne pas laisser le Moi se regonfler.
La transmission en psychanalyse est possible quand l’être se désengage de sa relation avec le Moi et s’engage dans un rapport possible avec l’Autre barré (Ⱥ). Une telle opération est possible parce que l’être barré (ɇ), castre le Moi (a). Dans le cas du psychanalysant lambda, l’Imaginaire est castré (Ï) ; dans le cas du psychanalyste, son Moi est barré (ⱥ).
C’est par son dégonflement que l’être pourra, comme l’écrit Wittmann, sortir de son « trou » – position lâche par excellence et qui le caractérise – pour se mettre au travail de construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Dans la position de sujet, qu’il désire devenir psychanalyste ou non, le sujet n’est plus attaché aux idéologies familiales, religieuses ou autres. Ici, il est reconnaissable par ce qui le caractérise et cette caractéristique est féminine.
Cette caractéristique – au contraire de la place imaginaire de la femelle, de la femme ou de la position phallique caractérisée par la féminité – indique, comme je l’ai écrit plus haut, que le sujet a accepté de se castrer de son phallus imaginaire (φ). À la sortie de psychanalyse, l’être est prêt à construire, à partir de l’objet rien (Γ), sa position de sujet. La position féminine est la caractéristique qui atteste que l’être occupe cette position. La position de sujet ainsi que la caractéristique féminine de ce dernier ne sont pas dépourvues de pouvoir. Elles n’ont pas un pouvoir, mais elles sont portées par un pouvoir symbolique et barré (Ⱥ), ce qui rend leur lecture du Réel proche du vrai.
La féminité se transmet par identification imaginaire, du Moi au Moi. Quant à la position féminine, elle est ce qui caractérise l’être dans la position de sujet. C’est en devenant sujet qu’il occupe la position féminine. La position féminine est la marque de l’être dans la position de sujet. En acceptant de se faire castrer par l’Autre barré, l’être devient un être barré (ɇ). Ce n’est pas au Moi de décider de priver l’être naissant d’un bout de sa chair. C’est à l’être de choisir de se faire castrer par une instance qui a – car reconnue par lui – une autorité. Ici se situe la distinction entre autorité et autoritarisme, entre civilisation et barbarie vengeresse.
L’être barré, devenu sujet (s) s’il ne désire pas devenir psychanalyste ou devenu sujet barré ($) s’il désire devenir psychanalyste, qu’il soit du côté homme ou femme, est de taille humaine (s) et barrée ($), reconnait ne pas être complet, reconnait qu’il désire faire appel à autrui (a’’’ ≠ a) pour s’apaiser.
C’est cette opération de castration qui résulte de la construction de la barre, qui autorise le sujet à l’amour et au désir, car il reconnaît son manque et donc désire autrui pour quelques instants de satisfaction dans la rencontre amoureuse et génitale puisque, sans rencontre génitale, sans rencontre des corps, pas de rencontre sexuelle, pas d’amour vrai.
La difficulté n’est pas que la fille admette ne pas avoir de pénis, mais que le Moi humain n’est pas complet. La fille n’a pas de pénis et le garçon n’a pas de vulve. Devenir castré, c’est admettre qu’en tant que femme elle désire le sexe de l’homme en érection (cet ajout est important, car une femme n’a rien à faire avec un homme qui ne bande pas, paroles de femmes), qu’un homme désire la pénétration pour l’orgasme et que les deux, d’un commun accord, désirent continuer ensemble. C’est ici la naissance de l’amour. Le Moi d’une femme, comme d’un homme, cherche le leurre. Quand le leurre prend le dessus, il est question de conflit, de séparation, de meurtre de l’un des d’eux, des deux.
Le Moi est capable de dire : « Je sais bien que je ne l’ai pas, mais quand même… » Cette formulation indique que le Moi est réfractaire à la castration, donc qu’il n’y a pas d’effet psychanalytique.
La construction en psychanalyse forge un être dans la position de sujet ; la transmission en psychanalyse forge un sujet habilité à occuper la position de psychothérapeute et de psychanalyste.
Un homme comme une femme peuvent transmettre la féminité (A). Cependant, l’unique instance à pouvoir construire la position féminine est l’Autre barré (Ⱥ).
C’est le Moi de l’homme, du père, de la mère, qui invente la féminité, chez la fille comme chez le garçon. C’est l’Autre barré, épaulé par le père, par la mère ou par un autrui castré, qui épaule l’être du garçon, ainsi que de la fille, à construire une position féminine.
Ce qui caractérise la position féminine, portée par l’être dans la position de sujet, c’est sa capacité à déjouer la relation imaginaire.
Quand le Moi du père ou de la mère exprime dans l’enfance ou la puberté de leur progéniture que cette dernière sera mère ou putain mais pas femme, la fonction du clinicien est de mettre en évidence que l’être ne doit pas se sentir obligé de suivre la volonté du Moi parental ou le désir de l’Autre non barré (A). C’est ici que l’autorité du transfert apporte son poids à la voie que prendra la construction de la subjectivité de l’être dans la position de psychanalysant, position qui résultera de la position de sujet, position qui se caractérise par la position féminine. J’insiste lourdement sur l’usage du mot position pour mettre en évidence la fugacité de la condition de l’être, par opposition au semblant imposé par le Moi à imaginer qu’il existe des places concernant l’humain.
Un être devient femme quand elle aime la bite et l’amour de celui qu’elle a choisi comme homme, de la même manière que l’être devient homme quand il bande pour celle qu’il a choisie comme femme.
La masculinité et la féminité sont des inventions phalliques du Moi et non des constructions subjectives de l’être en psychanalyse. L’unique construction pour l’être, indépendamment du fait qu’il soit du côté femme ou homme, est celle d’occuper la position de sujet, position qui se caractérise par le féminin.
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