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LA CLINIQUE DU PSYCHANALYSTE AUJOURD'HUI PARIS 9EME

La clinique du psychanalyste
 
Fernando de Amorim
Paris, le 21 septembre 2020
 
Pour Madame N.
 
 
La distinction entre corps et organisme n’était pas présente dans la littérature hippocratique. Il est possible, à titre d’exemple, de lire : « Chez la femme de Polémarque, atteinte d’angine en hiver, il y eut gonflement à la base du cou ; fièvre forte. »[1]. Quand par la suite, il écrit : « Elle fut saignée. »[2], nous passons du registre du corps à celui d’organisme. Je pense que, quand il y a lésion, provoquée par une maladie ou par l’intervention du médecin comme le cas ci-dessus, le Moi n’a plus accès au corps, donc nous sommes dans le champ de l’organisme. L’opération avec le signifiant pourrait sembler dérisoire au médecin. Pourtant, je tiens à affirmer que le psychanalyste a de quoi faire en médecine tout comme en chirurgie.
 
Il est vrai que, du point du vue clinique, quand il y a du sang, le psychanalyste ne peut plus intervenir directement, ainsi, effectivement, il est nécessaire, dans un premier temps, une intervention médico-chirurgicale. Mais que le chirurgien garde à l’esprit la possibilité de faire usage du savoir-y-faire du psychanalyste. En un mot, qu’il le garde sous le coude.
 
La responsabilité de la prise en charge du corps était partagée, chez Aristote, entre le médecin et le philosophe. Avec Galien, le médecin prend en charge aussi ce qui concerne la morale[3].
 
Les psychistes, aujourd’hui appelés vulgairement « psys » – psychiatres, psychologues, psychothérapeutes –, ont abandonné le registre du psychisme et du corps et s’ils pensent prendre soin, ils prennent soin maladroitement, version pachyderme dans une boutique de porcelaine. Les médecins d’aujourd’hui, eux-aussi, n’arrivent pas à porter, au sens de soigner, le champ de l’organisme, leur champ opératoire de droit, parce qu’ils pensent encore être aptes à opérer aussi dans le champ des souffrances qui s’expriment dans le corps et le psychisme de l’être souffrant.
 
La scientificité recherchée par Claude Bernard a donné à la médecine une autorité anatomo-physiologique légitime, mais, en s’éloignant de l’être, elle – la médecine – a transformé le patient en animal atteint d’une maladie organique qu’il faut soigner, voire guérir, sans prendre en compte l’être qui vit ça dans sa chair. La conséquence en est que le médecin, par son discours et son acte, s’approche chaque jour davantage de la médecine vétérinaire.
 
Freud, en écoutant la souffrance des hystériques, a mis en évidence une intention de faire science, dans le sens de connaissance observée, expérimentée, répétée et rigoureusement transmise de l’objet étudié. Il a suivi Hippocrate dans l’éloignement de la mystification religieuse de la souffrance corporelle et psychique de l’être – la « métapsychologie de Freud » est pour l’auteur de ses lignes la réponse de Freud à la « Métaphysique » d’Aristote – et, en construisant un appareil psychique humain – est-ce nécessaire de rappeler que Freud était neurologue et homme de laboratoire, un scientifique dans la plus grande tradition européenne ? –, il a ouvert un champ scientifique qui a éloigné la psychanalyse de la psychologie et des bricolages qui s’y rapportent, à savoir, la psychosomatique, la psycholinguistique, et les nouvelles tendances neuroscientistes.
 
Il faut imaginer, lecteur ami, l’inconscient comme un océan, la psychanalyse comme un bateau. Ma métaphore se limite aux premiers navigateurs du XVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Jusqu’à ce que, au début du XIXe siècle, l’homme fasse une embarcation se mouvoir avec une autre force que celle de son corps et du Réel, le vent.
 
La psychanalyse a donné la parole à l’hystérique et par la suite, les psychanalystes ont découvert qu’il fallait généraliser cette opération de la parole à l’obsessionnel. Lacan, faisant usage de l’autorité du transfert, a poussé les psychanalystes à écouter aussi les psychotiques.
 
Vu la formation médicale des premiers psychanalystes, les maladies organiques ont été un champ d’investigation et donc de l’élargissement du champ psychanalytique. Félix Deutsch, Pierre Marty, mon regretté ami Jean Guir.
 
Aujourd’hui, il me semble qu’il faille revoir notre copie clinique. Nous devons faire entrer sur le bateau de la cure l’être malade dans son organisme ou souffrant dans son corps, tout en désillusionnant son Moi qu’il partira en croisade sur les tropiques. Une psychothérapie avec un psychanalyste, ou une psychanalyse, est loin d’être un voyage touristique[4]. Le psychanalyste est sur le radeau avec le psychanalysant, même si c’est ce dernier qui rame, pendant que le premier veille, grâce aux associations libres, que la route de fond, l’autre nom de la structure, est respectée, à la lettre.
 
Le Moi du malade, aliéné par structure, a saisi la perche tendue historiquement par les médecins pour être maîtres de la situation clinique et ainsi le Moi n’en fout pas une – il ne rame pas – du point de vue thérapeutique, voire il fait le minimum syndical. Les malades ne respectent pas l’observance thérapeutique ou bien ils ne prennent que la moitié de l’ordonnance, se plaignent les médecins. Ni l’un, ni l’autre n’a la possibilité de faire autrement qu’abandonner la partie clinique. La détresse du patient, tout comme la frustration du médecin, sont des évidences. C’est ici qu’entre la clinique du partenariat. Dans cette clinique, deux éléments font défauts : le psychanalyste et l’inconscient structuré comme un langage.
 
Dans ma clinique, le malade souffre-t-il d’une phobie ? Ma question est : « quelle est sa part dans cette affaire ? ». Il a une paralysie hystérique ? Ma question ? « Quelle est sa part de responsabilité ? ». Il y a le déclenchement d’une maladie organique, un cancer, un AVC ? Je vous le donne en mille, lecteur, ma question sera toujours : « Quelle est sa part de responsabilité ? ».
 
J’ai appris à affiner cette question à partir de ma rencontre avec les malades de médecine en oncologie. Pendant que les psys interprètent les angoisses, j’engage l’être malade dans son organisme à être pour quelque chose dans ce qui se passe dans son appareil psychique. Cela révèle des haines monumentales et des désirs inavouables que le Moi, tel un beau diable, veut gommer en y mettant toute la gomme. Et pourtant, le clinicien ne peut pas faire l’économie. Associer librement ses pensées est essentiel pour l’avancée de la cure. Pendant que des praticiens se donnent comme projet thérapeutique d’« accompagner le cancéreux dans cette épreuve » – preuve selon moi de leur haine –, je remarque que les psychanalysants qui ont un cancer construisent des projets pour de vrai, comme aimer et travailler. Cela quand le désir d’être parmi nous est plus favorable que le désir de rendre la vie. Cette clinique psychanalytique d’aujourd’hui est riche et honore les aïeux, la médecine et l’université française. Elle est le résultat de mon orientation freudo-lacanienne.
 
Ma proposition d’étude et d’orientation de la conduite de la cure des malades organiques trouve appui dans l’appareil psychique freudo-lacanien – j’entends par là l’appareil psychique de 1923 et 1932 couverts par le poinçon lacanien avec une ouverture inférieure (Cf. Schéma joint à l'article).
 
 
 
 
Reconnaître sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive dans la vie facilite, pour le Moi, non la guérison, mais le savoir sur le désir de l’Autre (A) qui anime l’être. La maladie, psychique, corporelle ou organique, est une expression d’un excès de libido concentré sur un locus psychique. Cette hypothèse se trouve déjà chez Freud dans la « Psychologie à l’usage des neurologues », l’Entwurf[5]. En faisant un tour de 180°, le Moi rencontrera les organisations intramoïques (La résistance du surmoi freudien, l’Autre non barré lacanien). Ainsi, au contraire de continuer à viser (a’), ce que Lacan avait appelé la relation imaginaire[6], le Moi (a) construira, et le transfert ici est fondamental, un chemin vers l’Autre barré (Ⱥ). Comme un bateau, la psychanalyse partira (tirés espacés), et au retour, chargera l’être des signifiants castrés (tirés continus). Les associations libres issues de cette opération auront le statut de parole vraie.
 
Les conséquences cliniques d’une telle opération sont que, quand un patient entre en psychanalyse, devenant ainsi psychanalysant, il tombe moins malade, formule du regretté Serge Cottet qui, pour l’auteur de ces lignes, résumait les dires de Lacan ci-dessous :

« Je voudrais faire remarquer ici un certain côté qu’on ne voit pas de l’analyse, son côté assurance-accident, assurance-maladie. C’est très drôle, quand même, combien – au moins à partir du moment où un analyste a pris ce qu’on appelle de l’expérience, c’est-à-dire tout ce que, dans sa propre attitude à lui, bien souvent il ignore –, combien les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses, combien dans une analyse qui se prolonge un peu, les rhumes, les grippes, tout ça s’efface, et même quant aux maladies de longue durée, s’il y avait plus d’analyses dans la société, on irait mieux. Je pense que les assurances sociales comme les assurances sur la vie devraient tenir compte de la proportion d’analyses dans la population pour modifier leur tarif. »[7].
 
Ce que facilite le chemin de la castration c’est que le Moi supporte d’être castré par les signifiants qui sortent par l’enclos des dents de l’être[8]. Même si le Moi ne sait pas d’où sort le mot, s’il le reconnaît comme vrai, cela produira un effet de castration. Cet effet dégonfle le Moi, ce qui fait qu’il se met à aider la thérapeutique à ex-sister, selon la formule de Lacan, formule que j’interprète comme vivre castré. Le poète dit cela mieux : L’être vit sa vie, «: L’être vit sa vie, « Rien que la vie, sans mystification »[9].
 
Personne n’est victime d’une maladie. En partant de cette position, imaginaire, le discours social renforce les organisations intramoïques et écrase le Moi. La position passive du Moi du malade, du patient ou du psychanalysant sont des formes de jouissances, preuve que la résistance du surmoi, et non le Surmoi comme croyait encore Lacan dans son dernier enseignement, jouit. L’action du psychanalyste est de construire des stratégies cliniques pour désamorcer cette lecture aliénante, donc moïque, du Réel. Si le Moi pense qu’il est victime, qu’il n’y est pour rien dans ce qui lui arrive, qu’il ne peut rien faire pour s’en sortir, c’est que ce discours voile la haine mortifère qui l’habite. Il s’agit sur le retour libidinal contre lui-même, déjà repéré par Freud[10]. Ceci est le temps 1. Si le clinicien arrive à faire le Moi associer librement la haine envers le l’autre (90°), il fera une avancée clinique importante. Ceci est le temps 2. Ensuite, l’opération consiste à ce que, grâce à l’intervention du clinicien (Ⱥ’) au 135°, puisse, au nom du transfert, faire le Moi se retourner sur lui-même, ce qui le fera partir vers l’Ouest, (270°). Cette opération constituera la preuve du voyage maritime sur « par mers jamais sillonnées »[11], et que la psychanalyse avance.
 
Le Moi n’a pas tort quand il dit être « victime d’un AVC ». Il est victime des organisations intramoïques, dans ce cas : la résistance du Surmoi. L’AVC est la conséquence matérielle de la bahnung, la facilitation trouvée par l’appareil psychique pour signaler au Moi que son aliénation pourra le pousser vers une aliénation à exister, voire à réaliser un plan longuement élaboré, à savoir, mettre fin à sa vie. Ce n’est pas se suicider, c’est plus insidieux, c’est céder à la pulsion anorganique.
 
Si les médecins n’écoutent pas ce que les psychanalystes disent, dire qu’ils écoutent, eux-mêmes, de la bouche des psychanalysants, ils rateront ce qui justifie, depuis Hippocrate, leur raison d’être, à savoir, la clinique.
 
[1] Hippocrate, Œuvres complètes, Tome IV, 3e partie, Épidémies V et VII, Livre VII, Les belles lettres, Paris, 2003, p. 69.
[2] Ibid.
[3] Nutton, V. (2016), La médecine antique, Les belles lettres, Paris, 2016, p. 266.
[4] La psychothérapie avec psychanalyste vise faire une distinction de la psychothérapie avec psychothérapeute (psychologue ou psychiatre de formation). Le psychanalyste sait repèrer la sortie de psychothérapie et l’entrée en psychanalyse (Cf. Cartographie du RPH : https://www.rphweb.fr/details-proposition+d+une+cartographie+de+la+clinique+avec+le+malade+le+patient+et+le+psychanalysant+a+l+usage+des+medecins+psychistes+et+psychanalystes+en+institution+et+en+ville-140.html).
[5] Freud, S. (1895), Esquisse d’une psychologie scientifique, La naissance de la psychanalyse, puf, Paris, 1956, p. 316.
[6] Lacan, J. (1958-59), Le séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Éditions de la Martinière, Paris, 2013, p. 145.
[7] Lacan, J. (1962-63), Le séminaire, Livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p. 150.
[8] Homère (VIIIe av. J.-C.), Iliade, IX, 380-419, Gallimard, Paris, 1955, p. 243.
[9] Drummond de Andrade, C. (1940), Les épaules soulèvent le monde, La poésie brésilienne contemporaine, Seghers, Pari, 1966, p. 191.
[10] Freud, S. (1915), Pulsions et destins de pulsions, Œuvres complètes, Volume XIII, puf, Paris, 1988, p. 172.
[11] Camões, L. de (1572), Les Lusiades, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 3
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