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REPONSE A MONSIEUR RAMUS "Le Quotidien du médecin"

Fernando de Amorim

Paris, le 13 mai 2019

 

Dans un article paru dans « Le Quotidien du médecin », Monsieur Ramus, qui est psychologue, fait quelques remarques sur la psychanalyse qui méritent une réponse de quelqu’un qui a l’expérience de la psychanalyse en tant que psychanalysant et en tant que clinicien pratiquant la psychanalyse.

 

La psychanalyse n’est pas une fausse médecine. Elle est même parmi les plus vraies. Elle opère dans le champ de la souffrance psychique, corporelle et organique. Le plus important, c’est qu’elle n’a pas négligé ce qui a justifié la naissance de la médecine, à savoir, la clinique. Le fait de se pencher – κλινικο ́ς – vers le corps souffrant, a donné à Hippocrate l’autorité pour quitter l’interprétation religieuse de la maladie. La psychanalyse est une de plus vraies parce que, celui qui fait la médecine c’est le médecin, ce n’est pas l’épistémologue, le psychanalyste ou le psychologue. Un médecin qui écoute le patient et prescrit le médicament qui apaise ses symptômes est un vrai médecin, le médecin qui prescrit un médicament qui ne produit pas des effets n’est plus médecin, ce qui ne fait pas de lui un charlatan. Le psychanalyste n’a jamais cédé du rapport conflictuel avec le patient. Cette relation que, techniquement, nous appelons transfert est au cœur de la clinique médicale et, par leur songe bernardien de scientificité, s’est vu négligée par les médecins. Ce qui sauve la psychanalyse c’est son engagement sans faille avec le malade, le patient, le psychanalysant qui deviendra, c’est notre pari, sujet.

 

Pour tirer le médecin d’aujourd’hui de l’embarras clinique, j’avais proposé la mise en place de la clinique du partenariat. Cette clinique consiste en ce que le médecin, dès qu’il remarque que la personne face à lui, ne souffre pas d’une maladie organique, l’adresse au psychanalyste de sa confiance. Cette démarche évite énormément d’hospitalisations, d’examens médicaux inutiles et de prescriptions. La clinique du partenariat a commencé à l’Hôpital Avicenne (AP-HP) en 1991. Je la mets à l’épreuve encore aujourd’hui.

 

Il ne faut pas rembourser l’homéopathie, ni la psychanalyse, ni les psychothérapies. Et la raison est clinique : le patient doit mettre du sien dans l’opération. Et quand il n’a pas les moyens ? J’avais créé, toujours à l’hôpital Avicenne, la CPP. La consultation publique de psychanalyse est ma réponse à la crise des CMPs : la CPP reçoit des personnes qui payent selon leurs moyens. Monsieur Ramus, en s’adressant à la psychanalyse, parle de curiosité bien française ce que j’appelle de préciosité française car la CPP fait rencontrer des étudiants en premier année de psychologie et médecine qui désirent devenir psychanalystes, et des personnes en détresse et qui n’ont pas les moyens de payer une consultation privée. Après la rencontre avec ces cliniciens, ces personnes trouvent du travail, leurs médecins diminuent leurs traitements psychopharmacologiques et les hospitalisations se raréfient.

 

La psychanalyse a des prétentions scientifiques, c’est vrai. Faut-il lui reprocher cela aussi ? On repprochait à Freud d’être juif, à Lacan d’être baroque, c’est une psy de la mairie de Créteil qui me reprochait mon accent. Et quoi encore ?

 

Bien sûr que c’est une prétention. Encore heureux. Si j’affirmais que la psychanalyse est scientifique sans preuve, Monsieur serait le premier à traiter le psychanalyste de délirant.

La psychanalyse a la prétention d’expliquer certains mécanismes du psychisme et des maladies, et elle a aussi la prétention d’avoir la capacité de soigner. Jusqu’à preuve du contraire.

 

Il faut signaler que depuis cent ans, des personnes qui seraient condamnées à mourir dans les asiles – je pense surtout aux psychotiques – construisent, grâce à la rencontre avec un psychanalyste, la voie pour aller travailler, de réussir à faire couple ou construire une famille.

 

Monsieur, me semble-t-il, s’engage dans une voie d’exclusion de la construction du sujet, à savoir, l’être qui réussit à être responsable de son travail, de son amour, de l’autre.

 

La logique scientifique des physiciens écrase la médecine qui se veut scientifique selon les critères – justifiés – de Claude Bernard. Or, la médecine n’est pas uniquement physiopathologie. Peu importe : en imitant cette volonté d’être considérés comme scientifiques, les psychiatres ont copié les médecins et les psychologues, comme Ramus, ont copié les psychiatres.

 

Dans cette java d’imitateurs, aucune originalité. Dieu merci, Jacques Lacan, au nom de l’autorité du transfert, a ordonné à ses élèves de ne pas se dérober de la rencontre avec la psychose. Ce que d’aucuns appellent une curiosité française, je le nomme un objet précieux. Objet précieux que quelques-uns salissent au nom de leur haine, et d’autres qui dédient leur vie à lui donner un vrai statut scientifique au service de l’humain qui souffre. Le lecteur pourra se dire que je suis ici rempli de charité chrétienne. Que nenni.  Si je m’engage à défendre la psychanalyse c’est pour satisfaire ma pulsion de savoir et par gratitude envers une psychanalyse qui m’a sorti de la misère existentielle qu’était ma vie.

 

Les hypothèses psychanalytiques sur l’autisme, la schizophrénie, les psychoses maniaco-dépressives, qui par lâcheté de quelques-uns s’appellent troubles bipolaires – comme si en changeant le nom de la structure on changeait la structure elle-même –, la névrose obsessionnelle, qui est devenu trouble obsessionnel – comme si en changeant le nom de la structure on changeait la structure elle-même – (que le lecteur me pardonne, je suis obligé de m’aligner sur le niveau de mon interlocuteur) – et sur l’homosexualité, ne doivent pas être jetées avec l’eau du bain. Il faut les examiner et les actualiser. La physique d’Einstein n’était pas celle de Newton, tout comme celle de Galilée n’était pas celle d’Aristarque de Samos. Et pourtant, c’est parce qu’il y a eu Aristarque qu’Einstein est devenu possible. La science est une construction quotidienne.

 

En lisant cet article, j’avais l’impression que Monsieur était plus proche de la propagande contre le désir que d’une logique scientifique, celle qui n’exclue aucune hypothèse, comme écrit mon estimé Popper dans « Le réalisme et la science ». Comme Monsieur n’a pas l’air d’être un clinicien – s’il l’est qu’il le prouve –, il affirme que « les concepts spécifiques de la psychanalyse (complexe d’Œdipe, refoulement, stades psychosexuels oral-anal-génital, interprétation symbolique des mots, des rêves et des comportements) se sont révélés sans aucun pouvoir explicatif ». S’il était clinicien – je pense à un jeune homme ce matin qui hurlait sa haine envers sa mère, et à la dame qui, samedi dernier, a vomi dans mes escaliers après avoir parlé des huit années de viol par son beau-père – il baisserait d’un ton quand il parle de Complexe d’Œdipe et des concepts issus de la clinique avec des êtres humains en détresse. Mais comme disait ma grand-mère en citant Matthieu (5; 3) : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! ». Je ne peux plus me payer le luxe de l’innocence. J’ai traversé une psychanalyse. Ainsi, et je suis sincère : longue vie à sa « psychologie scientifique moderne ».

 

La scientificité que je tâche de construire pour la psychanalyse m’anime depuis 1981. Peut-être suis-je zinzin de m’atteler à montrer la scientificité d’une praxis qui m’a servi existentiellement et dont d’autres personnes témoignent à chaque sortie de psychanalyse ? Je n’ai aucune difficulté à mettre ma peau sur la table pour examiner la scientificité de la psychanalyse. Mais pour cela il faut des examinateurs compétents et une épistémologie adaptée. Je ne sais pas si Monsieur est platonicien, mais incontestablement, je suis aristotélicien. Et, en outre, lecteur affable de Popper. Popper qui critiquait la psychanalyse, sans savoir de quoi il causait. La preuve ? Il mélange Freud de 1919 (donc d’avant le virage de ’20), avec Adler et Jung. Le moi des détracteurs de la psychanalyse ne remarque pas que celle-ci évolue tout le temps, et qu’elle s’invente au quotidien, à chaque séance. Mais pour suivre cette danse, il faut avoir beaucoup, beaucoup de swingue.

 

Ce qui est bon et admis, à savoir « la notion d’inconscient », Monsieur écrit que « faisant aujourd’hui consensus est antérieure à Freud ». Ça alors !  Et bien évidemment, cette notion, « a été scientifiquement validée par la psychologie cognitive au cours des 40 dernières années ». Voilà ! Freud c’est caca et la psychologie scientifique c’est du Nutella !

 

Sur le plan médical, écrit Monsieur, « la cure psychanalytique ne montre pas d’efficacité supérieure au placebo pour la quasi-totalité des troubles mentaux. ». Si Monsieur voulait se comporter vraiment en scientifique, il devrait examiner pour quelle raison cette satanée psychanalyse fonctionne sur quelques personnes. Une seule personne qui réussie à construire son existence grâce à la psychanalyse mériterait, de la part des vrais scientifiques, une étude approfondie sur ce qui se passe avant, pendant et après une psychanalyse. Mais pour cela, il ne faut pas passer par des tests bidons. Sans dénigrer les autres disciplines, j’ai voulu montrer qu’il y a des sciences qui utilisent la méthode horizontale – un groupe de contrôle ou témoin et un groupe expérimental ou groupe traité et ainsi évaluer les effets d’un traitement par exemple – mais que, concernant la psychanalyse, il faut utiliser ce que j’appelle la méthode verticale – le résultat doit être examiné, par le psychanalysant, en prenant appui au moment de la sortie de la cure, sur comment il se trouvait à l’entrée. Ainsi, argumenter contre la psychanalyse en s’appuyant sur « l’Expertise collective de l’Inserm » qui compare la psychanalyse avec les TCC, c’est à pleurer. Si c’est pour être scientifique comme ça, j’aimerais aussi avoir des financements publics pour évaluer qui des deux arrivera en premier : l’âne battu en traversant l’Atlantique ou la baleine en faisant le tour du pâté de maison.

 

Selon l’auteur « Les conséquences néfastes de la prédominance de la psychanalyse en France sont innombrables : refus de diagnostics ou diagnostics fantaisistes fondés sur une classification unique au monde ». Si à chaque fois qu’un médecin faisait un diagnostic erroné, maladroit ou stupide, nous détruisions la médecine, nous ne pourrions pas avancer dans la vie. Il faut se calmer un peu. Les « prises en charge inadaptées et/ou retardées » dénonce-t-il : la CPP (Consultation Publique de Psychanalyse), a assurée en 2018, 47 135 consultations (quarante sept mille cent trente cinq consultations), et cela sans aucun financement public et sans liste d’attente parce qu’une souffrance psychique n’a pas le même statut qu’une maladie organique. Les ennemis de la psychanalyse pensent qu’en fermant la porte à la souffrance celle-ci ne passera pas par la fenêtre. Ils se trompent amplement.

 

Quand Monsieur parle de « mise en accusation injustifiée des mères », il parle des erreurs commises par des praticiens. Et alors ? C’est grâce aux erreurs des premiers analystes qu’aujourd’hui il est possible de rectifier le tir. Sauf si la visée est d’accabler. Dans ce cas de figure, nous ne sommes plus dans une logique scientifique mais dans une chasse aux sorcières.

 

Quand je propose, inspiré par Freud et Lacan, la notion de résistance du surmoi et de l’Autre non barré, les personnes ne sont pas accusées, les victimes ne sont pas culpabilisées mais un examen de ces deux organisations intramoïques éclaircissent immensément les enjeux, pour l’être, de la position qu’il occupe dans sa vie.

 

Au contraire d’examiner intrapsychiquement, ce qui est logique puisque sa formation de psychologue ne l’habilite pas à le faire, Monsieur en position de leader, attise la foule contre une clinique et des cliniciens qui rendent l’existence possible, voire moins lourde pour un nombre important de nos concitoyens.

 

Je n’ai jamais défendu la psychanalyse, car elle n’a pas besoin d’être défendue, elle a besoin d’être bien traitée. D’abord par ceux qui vivent grâce à elle. De là ma proposition que la psychanalyse du psychanalyste soit sans fin.

 

Je pense que la psychanalyse est évaluable, mais pas n’importe comment. J’insiste : il ne faut pas demander à l’âne de traverser l’atlantique ou à la baleine de se balader à Paris car, structurellement c’est impossible. Monsieur sans gêne, et tout scientifique qu’il est, propose : « En vérité, la méthodologie consistant à évaluer l’état des patients avant et après traitement, et à comparer différents groupes bénéficiant de différents traitements est totalement neutre vis-à-vis de la nature du traitement, qu’il s’agisse de psychanalyse ou de toute autre pratique ». Pour une vérité, c’est une vérité : la sienne.

 

Toutes les psychothérapies ont la même efficacité, puisqu’elles aliènent davantage le moi. Les TCC, comme n’importe quelle technique de dressage, écrasent le moi. Si ces techniques existent, et elles existent de plus en plus, je ne les défends pas, mais je ne les blâme pas non plus. Pour quelle raison ? Parce que je pense qu’il y a des êtres qui pensent qu’ils ne méritent que cela. Voici maintenant l’argument de Monsieur : « Toutes les psychothérapies ont la même efficacité ». Il s’agit d’un mythe. De nombreuses études ayant comparé directement les thérapies cognitives et comportementales à la psychanalyse ont montré la plus grande efficacité des premières (et jamais de la seconde) pour beaucoup de troubles psychiatriques. ». En premier lieu, je fais observer que le « T » de TCC vaut pour « technique » et non pour « thérapie ». Ensuite, il faut dire que ces études sont faites à partir des études bibliographiques, basées sur des récits livresques. Il est vrai que, «  Sans la psychanalyse, les patients auraient les psychotropes pour seul recours ». Ou encore l’hospitalisation et les techniques de dressage. Et c’est pour cette raison que je ne suis pas en opposition à leur existence.

 

Un effet placebo c’est bien, mais ce n’est pas ce qui se passe dans une psychanalyse. Le transfert produit des effets solides, et quand il n’en produit pas, c’est parce que le moi était en état psychothérapeutique ou de dressage. Monsieur doit bien connaître cela puisque les personnes qui viennent à la CPP et qui ont rencontré un técéciste disent que les symptômes avaient disparu pendant la TCC et sont réapparus à la fin de la technique de dressage. Ce qui produit la réapparition des symptômes c’est la fin du transfert. Mais comme les psys ne sont pas formés pour le manier, ils finissent par s’emmêler les pinceaux. La psychanalyse que j’exerce ne s’est pas modernisée du tout. Que l’analyste s’appuie « maintenant sur les neurosciences et trouve[rait] sa place au sein « d’approches intégratives » », cela ne me concerne pas. Et ici, je suis d’accord avec Monsieur : « la neuropsychanalyse est de la poudre aux yeux et les approches intégratives ne sont qu’un paravent pour un patchwork incohérent. ». Voilà ce qui se produit lorsque les analystes abandonnent leur psychanalyse personnelle : ils gigotent partout pour ne pas retourner à l’endroit qu’ils n’auraient jamais dû quitter, à savoir, le divan.

 

Pour Monsieur, selon les analystes « La psychanalyse n’a pas pour but de guérir, la psychanalyse, c’est autre chose ». La psychanalyse a la responsabilité de guérison. Or, les gens ne me payent pas pour ne pas guérir. Le résultat de la guérison peut être modeste pour un observateur extérieur. Pour celle qui réussit à se dégager du monde fantasmagorique qui l’a guidée jusqu’à présent, c’est une voie nouvelle qu’elle construit pour sa vie. Pour Monsieur, « Conséquence des points précédents, certains psychanalystes se retranchent sur cette position excessivement modeste [La psychanalyse n’a pas pour but…]. Soit, mais il faut alors en tirer toutes les conséquences : dire clairement que la psychanalyse ne soigne pas les troubles mentaux, et l’évacuer d’urgence de tous les services hospitaliers, institutions médico-sociales et cabinets libéraux dans lesquels elle inspire encore les soins, aux frais de l’assurance-maladie. ».

 

Je suis responsable d’un service qui forme de jeunes cliniciens, de jeunes cliniciens qui exercent une psychanalyse française, qui gagnent leur vie avec leur travail, qui assurent une clinique de qualité (témoignée en privé dans les réunions cliniques du mardi, les supervisions individuelles et de groupe hebdomadaire ; et en public dans les réunions de la passe), clinique qui ne sollicite pas de subvention. Le RPH, comme j’aime à dire, est portée par les muscles de ses membres.

 

Monsieur veut éclairer les français ? Charité bien ordonnée commence …

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