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QUELLE PLACE POUR L'ENFANT DANS LA FAMILLE ?

L’héraut

 

Fernando de Amorim

Paris, 10 avril 2020

 

A Mme   R.

Paris, le 18 septembre 2015

 

Au sens figuré, l’héraut est celui qui annonce la venue de quelqu’un, de quelque chose ou qui en chante les louanges. Dans l’antiquité, l’héraut était un officier chargé de faire des publications solennelles et de remplir certaines fonctions dans les cérémonies publiques.

 

Le symptôme d’un enfant est-il un héraut ?

 

Un enfant est le fruit de trois désirs : du désir de sa génitrice, de son géniteur et du désir du nouveau-né. C’est aux adultes de reconnaître ce dernier en tant qu’enfant. Cette reconnaissance se fait en lui donnant un prénom. Quant à son nom, il sera la preuve de la reconnaissance du désir d’un adulte envers lui. La génitrice pourra être d’accord de devenir sa mère. Dans ce cas, elle le chérira. Elle pourra, s’il s’agit d’une mère castrée, être d’accord que l’enfant porte le nom du géniteur puisqu’elle reconnaît elle-même cet homme comme étant digne d’être le père de son infans.

 

C’est le désir de la mère (A non barré) qui mène la barque : elle désigne si l’homme sera, ou non, reconnu comme père de l’enfant. L’homme qui accepte de donner son nom à l’enfant, reconnaît ce dernier comme son fils.

 

C’est par la suite que l’enfant reconnaîtra à son tour : d’abord il reconnaîtra celle qui le nourrit. La satisfaction de l’enfant donnera au Moi de la mère l’honneur et la flatterie nécessaires pour qu’elle puisse continuer à le chérir, comme il se disait au début du XIIe siècle. En regardant la satisfaction de la mère, il verra à travers ses yeux à elle, son image inversée. Le narcissisme commence à prendre forme. Le Moi sera plus tard sa cristallisation.

 

La reconnaissance du fils se fera au moment où il nommera père celui dont il porte le nom. Pour ne pas reconnaître le père, ou pour faire semblant de le reconnaître, le Moi appelle son père d’une autre manière : par son prénom (« Pierre »), par son titre (« Colonel »), par un nom de père étranger : « Dad », « Vater », « Pai ».

 

La satisfaction portée au Moi de la mère par son pouvoir de maintenir en vie un nourrisson, et le regard de la mère flattée de son acte, produit chez l’enfant la mise en évidence que, pour se maintenir en vie, il faut être serviable, voire servile à ce Moi. Le nourrisson ne sait pas encore que le moi n’est pas maître chez lui et que, comme disait ma belle-mère, « Qui mange le diable [le moi], mange ses cornes [les organisations intramoïques] ».

 

C’est le Moi de la mère qui décidera si elle partagera ou non son objet, son jouet même, avec un autre, autre dont elle a voulu comme époux, compagnon, amant, du même ou d’un autre sexe. Ici, peu importe le couple, c’est l’objet, érigé au statut de phallus imaginaire, qui servira au désir parental : objet de troc, d’échange, de partage. Il ne faut pas aller trop loin pour entendre la matérialisation de ce que j’avance dans les luttes pour la garde de l’enfant qui deviennent vite intestines ; quand le conflit se concentre sur la question de savoir avec qui l’enfant passera ses week-end, un mercredi sur. Balloté d’un coin à l’autre, l’enfant peut être dans la position de phallus imaginaire, parfois d’objet, voire de chose dans sa relation au désir de l’Autre. Pour ce qui est de l’aider à devenir sujet…

 

Comme le désir n’est pas l’objet – le désir c’est ce qui parle en visant l’objet chez l’être, l’objet est une position sans désir – l’enfant se rebellera. La rébellion se fera sous forme de symptômes, à savoir, quelque chose qui cloche chez l’enfant ou chez les parents à propos de l’enfant : cela peut être psychiquement, corporellement et même organiquement.

 

C’est à ce moment que quelqu’un amène l’enfant en consultation chez le psychanalyste.

 

Un enfant qui fait une maladie organique doit être soigné par la médecine, bien évidemment. Cependant, le traiter médico-chirurgicalement uniquement, c’est le traiter en mammifère dépourvu de désir et donc de parole. C’est faire de la médecine vétérinaire avec des êtres humains. Et ceci est la tradition médicale jusqu’à présent. Pour cette raison j’avais construit le concept de cônification du transfert. Ce concept vise à inciter les professionnels de médecine à introduire le psychanalyste dans la consultation médicale dès le premier rendez-vous avec le médecin.

 

Je pars du principe que les expressions corporelles et organiques chez l’être humain, doivent être traitées cliniquement avec le statut de signifiant corporel. En 1988, j’avais appelé signifiant corporel les expressions du corps du patient ou psychanalysant pendant la séance. Comme les lacaniens ignoraient le corps à cette époque – ce qui n’a jamais été le cas de Lacan –, j’avais voulu justifier par un concept que le clinicien a le droit, tout en étant lacanien, de solliciter le moi d’interpréter son corps pendant la séance. Depuis, j’ai élargi ce concept à toute expression dans le corps de l’être. Cela signifie que, quand un être arrive à l’hôpital avec une maladie organique, que cette maladie soit un cancer pour le médecin, elle sera un signifiant corporel pour le psychanalyste. Cela implique que ce dernier se doit de partir du principe que la libido est dans l’incapacité de devenir désir et qu’elle s’exprime par la physiologie. À partir de là, le psychanalyste est libre de mettre en place les dispositifs psychanalytiques (transfert, autorité du transfert, cônification du transfert) pour assurer et opérer la cure, qu’il s’agisse d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse.

 

Quand le nourrisson, le bébé ou l’enfant arrive dans ma consultation, je vise toujours l’adulte qui l’y amène. L’enfant est le symptôme des organisations intramoïques de ses parents. Je nomme « organisations intramoïques » la résistance du surmoi décrite par Freud et l’Autre non barré, que je prélève de l’enseignement de Lacan.

 

Quand un enfant arrive en consultation, je lui demande ce qui le fait souffrir. S’il souffre, je l’écoute, s’il ne souffre pas, je le rends à ses parents et invite ces derniers à venir me parler de leur souffrance à eux. Je propose aux deux. Parfois un parent accepte, l’autre non. Parfois les deux acceptent. Dans ce cas, je les reçois séparément.

 

Un enfant n’a rien à faire chez le psychiste (psychologue, psychiatre, psychothérapeute). Il y a d’ailleurs des psys qui se spécialisent à travailler uniquement avec des enfants. Je pense que cette démarche nourrit davantage leurs symptômes – (désir de pouvoir et d’emprise de l’autre) et leurs résistances (à la castration) pour ainsi éviter leur désir de savoir – que la fonction pour laquelle ils sont rémunérés, à savoir, d’occuper la position de clinicien. En se spécialisant à recevoir uniquement des enfants, les psys remettent l’enfant dans la position qu’ils occupent auprès de leurs parents, c’est-à-dire, la position d’objet du désir de l’Autre (A).

 

La place de l’enfant est à l’école, auprès de ses jeux, de ses livres ou de ses camarades, et non dans la consultation d’un psychiste. Bien évidement, quand il veut m’en parler, je l’écoute et je me laisse à sa disposition pendant toute sa minorité. En revanche, j’invite et même insiste à recevoir les parents, quand ces derniers insistent à m’envoyer l’enfant à leur place. L’enfant est l’héraut des organisations intramoïques parentales. C’est cette stratégie qui me guide cliniquement.

 

La souffrance ou la maladie de l’enfant qui est amené en consultation par les parents matérialise les organisations intramoïques (résistance du surmoi et Autre non barré) des parents. Le symptôme de l’enfant est sa manière à lui de signaler au clinicien où se trouve ce qui le fait souffrir. En ce sens, c’est l’enfant qui amène son parent en consultation. Le fait que le parent amène l’enfant, c’est-à-dire qu’il accepte de l’amener et donc d’être amené en consultation, est un indicateur que le parent n’est pas radicalement fermé à examiner ses propres organisations intramoïques avec le clinicien.

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