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PROPOSITION

Fernando de Amorim

Paris, le 5 décembre 2019

 

 

Je compare le psychanalyste à un marin. Dans l’océan, le marin doit savoir sa position, de même le psychanalyste dans la conduite de la cure doit savoir, grâce au discours sorti par l’enclos des dents de l’être ou par son symptôme, corporel ou organique, où celui-ci se trouve. Le marin doit savoir où il va. Il doit connaître sa direction. Lacan parlait de direction de la cure. Le marin doit connaître sa vitesse, pour savoir le temps que durera la navigation. Et c’est ici que je quitte le bateau des comparaisons. Un psychanalyste n’est nullement maître quand il conduit une cure. Et pourtant, cette condition structurelle ne rend pas son action moins rigoureuse, moins sérieuse, moins scientifique.

 

En reconnaissant la psychanalyse comme une « méthode de traitement » en 1922, Freud indique où, pour lui, elle se trouve, et où il vise à l’amener, à savoir : « une discipline scientifique nouvelle »[1]. Presque cent ans après, il me semble qu’avec la création de nouvelles techniques psychanalytiques, la solidité de la méthode et l’affinage de la formation des cliniciens, il est possible de dire que la psychanalyse fait partie du champ scientifique.

 

Il ne s’agit pas, ici, de l’expression d’une vanité mais bien plutôt de l’acceptation d’une responsabilité. Porter la charge de tenir la psychanalyse dans le rang des sciences est de la responsabilité de tous ceux qui, grâce à l’invention de Freud, ont construit un nom, une place sociale et même un apaisement psychique.

 

Il s’agit de payer une dette, dette qui « n’est pas plus lourde que la main d’un enfant ».

 

Dans une telle perspective, il me semble important de faire quelques réflexions.

 

La méthode « est un ensemble de démarches raisonnées, vérifiées et vérifiables à chaque moment de la cure, qu’il s’agisse d’une psychothérapie avec psychanalyste ou d’une psychanalyse (Cf. « Cartographie ») »[2]. La technique de la psychanalyse est cet ensemble de procédés méthodiques, fondés sur les connaissances scientifiques acquises par les psychanalystes qui ont précédé le psychanalyste d’aujourd’hui. La technique de l’association libre de Freud et les séances lacaniennes sont des exemples de « la technique psychanalytique. »[3].

 

Il nous faut cette méthode, comme une carte maritime, et des techniques, comme un compas de route ou un chronomètre de marine, pour trouver le nord clinique et qu’ainsi l’être puisse construire, à partir de l’Autre barré, son désir.

 

D’aucuns pensent que l’objet de la psychanalyse est l’inconscient. Je ne partage pas cette idée. Je pense que l’objet de la psychanalyse est le désir. Et il nous faut une théorie, un bateau, pour faire la traversée de l’océan inconscient. Mais avant de naviguer, il faut le désir, l’expérience, la technique, la mise en méthode de la technique, pour enfin construire une théorie.

 

Si un marin doit faire des études avant de prendre le large, le futur clinicien doit faire de même. Comme tous les apprentis navigateurs polynésiens, Tupaia a appris à lire les étoiles dans le sable avant de devenir un élément essentiel à l’équipage de James Cook. L’université enseigne les bases de la théorie psychanalytique ; le RPH approfondit ces études en imposant une lecture diachronique des œuvres freudienne et lacanienne afin de sensibiliser l’étudiant à l’élaboration d’une théorie. En outre, il accompagne les vrais premiers essais du jeune navigateur en lui confiant, avec supervision, son premier patient car, il est impossible de faire clinique dans un stage universitaire ou dans une institution hospitalière. En revanche, depuis 1991, je prouve, contre vents et marées, qu’il est possible de tisser l’enseignement universitaire à la clinique assurée dans le cadre de la CPP (Consultation Publique de Psychanalyse).

 

Une science commence par le désir. Depuis un certain temps, on assiste à une véritable récurrence de dénonciations signalant des tricheries de scientifiques. C’est ici, me semble-t-il, que la psychanalyse a son mot à dire. La science est portée par le désir, et parfois, les scientifiques n’ont pas le désir de nourrir leur science, de lire le réel en le rendant plus compréhensible pour leurs frères humains. Le commencement de la science est donc le désir, et le désir est manque. Ce qui signifie qu’il est impossible de toucher le but visé par le moi du scientifique, de l’administration, de l’université, du praticien.

 

La psychanalyse est un discours scientifique si sa méthode et ses techniques sont respectées.

 

Tout d’abord le psychanalysant ne les respecte pas. Cela va de soi. Mais cela devient embarrassant lorsque celui qui doit veiller à la conduite de la cure ne les respecte pas lui non plus. D’où, sans doute, la foule des « psys », des « analystes », des « psychiatres-psychanalystes », des « psychologues d’orientation psychanalytique », et si peu de psychanalystes. Pour ce qui est du psychanalyste… prière de revenir demain.

 

Le trait d’humour ici porte aussi une logique impossible. Un clinicien, même en suivant les indications freudo-lacaniennes, ne saura jamais s’il l’est, psychanalyste. C’est à sa mort que quelqu’un, probablement qui aura fréquenté son divan, pourra dire : « il était psychanalyste ! ».

 

Il me semble important que les universitaires et cliniciens français, mettent en place un laboratoire pour étudier les manifestations du désir sur le corps et l’organisme de l’être. Cette étude je l’ai commencée en 1981 quand un gamin m’a été adressé car il avait peur des chiens. Pas plus tard qu’hier, un monsieur qui donne du fil à retordre à un nombre conséquent de chirurgiens parisiens, parmi lesquels de bons collègues, m’apprend que son père avait des gestes qui correspondent exactement aux points musculaires paralysés et douloureux qui ne correspondent pas à l’anatomie enseignée aux chirurgiens. Que le lecteur ne tire ici aucune conclusion diagnostique hâtive. Je signale simplement un fait clinique issu de ses associations libres. Si je peux travailler avec des chirurgiens de manière informelle, pour quelle raison les universitaires ne m’aident-ils pas à construire un pôle d’enseignement clinique où médecins, psychanalystes et universitaires s’emploieraient à montrer que l’inconscient structuré comme un langage n’est pas une formule creuse et que le désir de l’Autre peut être ravageur pour une vie ?

 

Je ne me suis jamais inquiété des ennemis de la psychanalyse, mon inquiétude naît à partir de ceux qui disent l’aimer. Aimer la psychanalyse c’est aimer construire son propre désir. Or, une telle opération ne court pas les rues.

 

La méthode psychanalytique est à la disposition depuis Emmy et implique le style, ce qu’avait Freud et Lacan. C’est le respect de la méthodologie, ce qui implique obéissance par tous les psychanalystes, qui fait défaut. Cette absence de rigueur est compréhensible car ils, les analystes, ont abandonnés le divan et ils se sont éloignés des universitaires. Le gaspillage de désir pour nous tous – patients, cliniciens, universitaires, société – est colossal.

 

Comment étudier, harmoniser, critiquer la méthode si chacun n’en fait qu’à sa tête ? Et dès que quelqu’un – l’auteur de ses lignes –, tâche – au nom de son désir de psychanalysant –, de mettre de l’ordre, il est qualifié de gourou, de maître, de charlatan, d’imposteur et de tant d’autres adjectifs sympathiques témoignant de la créativité de ces adversaires.

 

L’objectivité en psychanalyse doit éliminer le jugement de l’analyste car le jugement de l’analyste est le jugement de son moi. Le clinicien n’est pas en clinique pour juger mais pour faire respecter la méthode et la règle fondamentale. Cependant, quand il y a tempête clinique, le clinicien, épaulé par sa psychanalyse sans fin, pourra juger de la meilleure conduite à tenir.

 

C’est pour cette raison que je propose la formule :

 

$ →Ⱥ ⇒ Science

 

C’est le sujet barré (ensemble de départ), c’est-à-dire, sorti de sa psychanalyse, qui pourra – en relation avec le A barré (ensemble d’arrivée) – alors, construire une lecture scientifique du réel.

 

Une telle proposition, loin d’être un idéal, vise à construire une éthique exigée de tous ceux qui désirent opérer avec le champ du désir.

[1] Freud, S. (1923). « Psychanalyse » et « Théorie de la libido », in Œuvres complètes, Vol. XVI, PUF, Paris, 1991, p. 183.

[2] Amorim (de), F. De la clinique, RPH, Paris, 2012, p. 45.

[3] Ibid., p. 46.

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