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Officialiser la médiocrité

Officialiser la médiocrité

 

Fernando de Amorim
Paris, le 10 décembre 2023

À Mme M. B.

 

Il est dimanche. Une lumière étonnante fond du ciel de Paris ce midi. L’heure de l’apéro a sonné que j’accompagne de la lecture d’un courriel de M. à propos d’un nouveau livre.

Il s’agit d’une annonce de « deux lacaniens » selon le texte de présentation : « En rompant avec la classification héritée de Freud selon la tripartition névrose, psychoses, perversions, cet ouvrage fait le point sur la notion controversée des cas limites et permet une approche nouvelle de la clinique. ». Pour quelle raison « névrose » au singulier et « psychoses » et « perversions » au pluriel ?

Mais cette prise de liberté orthographique n’est pas le cœur de ma réflexion.

 

Nouvelle approche ? Ont-ils inventé la poudre ? Il y a des propositions chez les analystes qui m’indiquent, c’est mon interprétation, un essoufflement théorique, une absence d’endurance clinique qui, inévitablement, pousse vers la médiocrité. Ce mot est à entendre au sens de maître Henri de Mondeville comme on disait au XIVe siècle. Dans ses deux volumes de « La chirurgie », le chirurgien de Philippe le Bel et de Louis le Hutin, évoque la médiocrité de la duresce ou de la dureur. J’utilise l’édition de la fin du XIXe siècle. Médiocrité donc au sens de la première édition et non dans le sens actuel car je ne me permettrai pas de dénigrer les auteurs. D’ailleurs, je ne vise pas ici l’un, l’autre ou les deux. Je les vise tous. Tous ceux qui, au nom de la psychanalyse, cèdent sur leur désir de devenir véritablement psychanalyste, c’est-à-dire, de continuer, après leur première sortie de psychanalyse, à occuper la position de psychanalysant. La lâcheté de l’analyste d’abandonner le divan gicle inévitablement sur son interprétation du λόγος et tout aussi inévitablement sur la conduite de la cure.

Ces deux registres, celui de l’interprétation trompeuse et de la conduite de la cure sans repères, sont la conséquence de la lâcheté du praticien envers son désir.

Parce que α) il n’a pas construit son désir à partir de l’Autre non barré (traversée du complexe d’Œdipe) ; β) en tant que psychanalysant il n’a pas compté avec l’Autre barré jusqu’à la sortie de sa psychanalyse (construction de sa subjectivité) ; γ) à la sortie de sa psychanalyse (position de sujet), il n’a pas nourri cette position en ayant le désir de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée (construction de la position de sujet) ; δ) il n’a pas construit son désir d’être responsable de son existence (position de psychanalyste), à savoir, 1) en conduisant une psychanalyse, 2) en sortant de psychanalyse et 3) en continuant à occuper la position de psychanalysant. La conclusion est qu’il se retrouve à proposer des arrangements : la psychosomatique en est un ; les états-limites en sont un autre.

 

J’en profite pour mettre en évidence, très rapidement, que l’autisme n’est pas un problème du clinicien, mais de l’être : l’autisme est une position qui se caractérise par le refus de l’être de s’engager de manière tranchée avec sa structure psychique, à savoir, névrose, psychose, perversion.

 

Les propositions de Freud sont toujours d’actualité, jusqu’à preuve du contraire. La preuve du contraire ne vient pas car le diagnostic nosologique freudien sert toujours au clinicien pour conduire la cure. Or, les praticiens lâchent la barre de la cure dès le premier orage. En lâchant la barre, ils quittent le courant maritime indiqué par Freud : névrose, psychose, perversion. Perdus en plein océan sans savoir où se trouve le Nord clinique – celui de la traversée de l’Œdipe et de l’arrivée à bon port (pour la névrose et la psychose) ou à bon mouillage (pour la perversion) –, ils inventent : « psychosomatique ! », « état-limite ! », « personnalité borderline ! », « personnalité multiple », et j’en passe et des meilleurs. Pour un catalogue d’éloquence à écrire pour ne rien dire, je renvoie le lecteur à la plus récente impression du DSM. Un régal de médiocrité clinique, au sens actuel du mot.

Une lecture botaniste ou zoologique, qui a été utilisée pour classifier les êtres non parlant (zoologie) et le vivant immobile (botanique), a été transposée à la lecture de l’humain. Conséquence du point de vue général : une classification de l’homme discriminatoire car elle exclue le désir. Conséquence du point de vue restreint : une médecine humaine de plus en plus vétérinisée. La médecine opère avec l’organisme et non avec le corps souffrant, donc érotique et jouissant, domaine propre à la psychanalyse. La médecine n’opère pas non plus avec le psychisme, domaine lui aussi propre à la psychanalyse. Cela exclue-t-il la médecine ? Absolument pas. Mais cela limite le champ opératoire et exige une logique de partenariat et non de soumission idéologique.

À ce jour, l’appareil psychique freudo-lacanien est ce qu’il y a de plus performant pour connaître l’avidité à la destruction ainsi que la volonté d’aider l’autre ou de s’aimer chez l’être humain.

L’invention de la psychosomatique est une imprudence. Le diagnostic d’état-limite est une impatience. Estampiller un être d’autiste est une précipitation.

 

Comme je l’ai évoqué plus haut, le diagnostic sert au clinicien pour conduire la cure. En outre, le diagnostic de la souffrance corporelle ou psychique n’est pas figé, il suit le cours de la libido. Ma visée dans la conduite d’une psychanalyse n’est pas d’améliorer la vie de l’être, ce n’est pas non plus de prendre en compte le hasard ou la chance. Je remarque que quelques êtres saisissent l’opportunité qui se présente à eux, quand d’autres la refusent ou la méconnaissent. Ma visée est que l’être qui souffre puisse, avec l’avancée de la psychanalyse, savoir dans quel courant il navigue : celui de la névrose, de la psychose ou de la perversion.

C’est le fait de ne pas savoir sur le désir de l’Autre, de ne pas avoir son désir construit et donc de naviguer n’importe comment, n’importe où et avec n’importe qui, qui fait souffrir.

Le symptôme est ce qui fait souffrir l’être. L’expression psychosomatique, l’expression limite des états de l’être, l’expression autistique sont des interprétations fausses de l’être. Pour le praticien, s’accommoder de ces mots creux est une faute clinique.

Quand le diagnostic structurel tombe comme un fruit mûr, l’être barré s’aligne à l’Autre barré, ce qui castre l’Imaginaire et barre le Moi. Cet alignement pose le diagnostic structurel et l’être pourra construire son savoir dans les eaux qui sont les siennes : de la névrose, de la psychose ou de la perversion. À ce moment, il est possible de constater que « psychosomatique », « état-limite », « autiste » sont des inventions qui ont un dénominateur commun : ce clinicien qui n’était pas prêt pour assurer la clinique psychanalytique.

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