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Libido, pulsion, désir, et retour


Libido, pulsion, désir, et retour

Fernando de Amorim
Monmartin-le-Haut, le 19 mars 2022

En 1936, le chirurgien René Leriche défendait l’idée que la santé était la vie dans le silence des organes. Il me semble important de mettre en évidence que, depuis Aristote, l’intention est mise en évidence pour justifier tantôt la santé, tantôt la maladie.

Rien de plus suspect qu’un organe silencieux. Les bruits corporels sont les indicateurs que la vie est au rendez-vous organique. Et cette vie va jusqu’à l’accumulation, grâce à la gravité ou aux empêchements de circulation du sang, des résidus. L’expression est aristotélicienne.

Pour expliquer la cause de la maladie, la tentation des religieux est d’invoquer la volonté des Dieux grecs, ensuite du Dieu monothéiste. Ensuite les hommes de science ont transposé à la nature l’intentionnalité de la maladie des êtres. Freud avait évoqué la libido dans son sens érogène, c’est-à-dire à la fois imaginaire et symbolique.

Dans ma clinique, mon choix était de lire la libido à partir de son cheminement réel, donc impossible à saisir car, la libido de l’être prend des voies qui échappent aux médecins, par leur formation de plus en plus éloignée du Symbolique, mais qui échappent également aux psychanalystes en raison de leur refus catégorique d’être amis de la médecine.

La libido, il me semble possible de la saisir métaphoriquement comme un liquide, comme un liquide qui circule dans l’organisme, dans le corps comme une sensation ou une perception ; dans le psychisme sous forme de pensée. La libido sert à la pulsion dans sa forme répétitive jusqu’à constitution d’un amas d’idées répétitives, de tensions musculaires ou accumulation de résidus au niveau de la prostate comme l’évoque Aristote (ce qui demande l’intervention médicale), jusqu’à la rupture cellulaire que provoque la lésion organique (ce qui exige l’intervention chirurgicale). Qu’il s’agisse de l’opération du psychanalyste, du médecin ou du chirurgien – dans le champ du psychisme, du corps ou de l’organisme –, l’affaire est
libidinale : libido pure dans la maladie organique, libido au service de l’imaginaire dans la souffrance corporelle, libido au service de l’aliénation du Moi dans le fantasme, le délire, l’hallucination, libido au service de la thérapeutique par le symbolique dans le cas de la clinique psychanalytique.

Quand le Moi fait usage du désir de l’Autre non barré, il construit des fantasmes, des délires ou des hallucinations pour construire sa réalité, à savoir, sa lecture du Réel. Quand le Moi ne supporte plus la pression et si la structure psychique le lui permet, c’est la résistance du Surmoi qui prend le dessus sous forme de passages à l’acte suicidaires, psychopathiques, psychotiques.

Par son intervention, le clinicien vise à introduire l’Autre barré, celui qui permet le dégonflement imaginaire et la castration du Moi ; c’est ce qui s’est passé dans le cas clinique suivant : une psychotique dit que la remarque de la clinicienne – « Vous pensez vraiment être toute-puissante ? » –, a introduit le dégonflement imaginaire accepté par la psychanalysante grâce à l’autorité du transfert et a énoncé : « Votre question met en doute ma certitude ! ». Il ne s’agit pas d’opérer avec une psychotique comme si elle était une névrosée, mais de constater que la libido ne s’accumule pas dans le Moi, comme pour la grenouille de Monsieur de la Fontaine, mais qu’elle circule vers une condition subjective, vivable, comme celle de n’importe quel Moi de névrosé qui se plaint du métro, boulot, dodo. Le rêve du psychotique est de tenir une routine existentielle. Le névrosé a cela structurellement, mais son Moi fantasme un plus grand rêve, d’aventures et de folies. Son fantasme chéri.

Le désir n’est pas une acquisition, c’est une construction de l’être. Ainsi, quand le désir n’est pas construit à partir de la castration, l’être peut céder de l’éthique et laisser à la pulsion la responsabilité de faire tourner la boutique psychique, à savoir, en tournant en rond jusqu’à ce qu’un déclenchement psychique, corporel ou organique fasse en sorte que la libido coule librement psychiquement (attachée au Symbolique au service de l’Imaginaire, ce qui produit la parole vide), qu’elle coule librement dans le corps (sous forme de symptôme), ou en se détachant du signifiant (dans le cas de la maladie organique).

Le cheminement de la libido est au cœur de la clinique psychanalytique et il doit être lu avec attention par le clinicien ayant affaire aux êtres souffrants de symptômes psychiques ou corporels, ainsi que dans le cas des malades de médecine et de chirurgie.

Penser que la maladie n’est pas un hasard m’amène à penser que le praticien fait un retour à l’interprétation d’avant Hippocrate, à l’intention donnée à la nature, lecture à laquelle les naturalistes nous ont habitué dès la fin du XVII e jusqu’à nos jours.

Mon choix est de ne pas interpréter mais de préparer le terrain pour que l’interprétation venue de l’Autre barré traverse l’enclos des dents comme a écrit Homère et tombe des lèvres de l’être comme un fruit mûr. L’autre nom de la parole pleine.
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