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Le principe de jouissance en psychanalyse

Au-delà du principe de la jouissance

 

Fernando de Amorim

Paris, le 8 avril 2020

 

 

Le désir est une aspiration. Le plaisir, le déplaisir, l’horreur ainsi que la jouissance, possèdent un objet. Pas le désir.

 

Désirer, du latin desiderare, est, pour Bloch et Wartburg, regretter l’absence de quelqu’un ou de quelque chose. Il ne faut donc pas exclure, la haine et la vengeance qui habitent le désir et la quête de ne plus jamais accéder à l’objet et la frustration de trouver l’objet qui ne fait pas l’affaire.

 

α) Le plaisir est une aspiration agréable réussie du moi.

 

β) Le déplaisir est l’insatisfaction désagréable réussie du moi.

 

γ) L’horreur, horror qui en latin est traduit par hérissement, frissonnement, frisson, est la satisfaction réussie des organisations intramoïques (résistance du surmoi et Autre non barré). C’est ce que Freud remarque dans l’expression de « L’homme aux rats ». Il remarque  dans l’expression de l’analysant l’expression de l’horreur d’un plaisir (Lust). Quelques-uns ont traduit Lust par plaisir. Il me semble que le mot plus adéquat en français serait « Luxure », « surabondance », en d’autres termes, le mot jouissance. Le mot plus juste pour le plaisir serait donc celui de Genuss. Ainsi, l’homme aux rats est dans l’horreur de la luxure, de la surabondance, donc de la jouissance. Le mot « jouissance » est utilisé dans la version « Cinq psychanalyses » : « À chaque moment important du récit [récit qui décrit une technique de torture consistant à asseoir un supplié sur un seau contenant un rat, pour ensuite chauffer la partie inférieure du sceau, ce qui, par instinct de survie, poussera le rongeur à s'échapper de la chaleur en creusant avec ses crocs et griffes, un passage par l’anus du supplié], on remarque sur son visage [sur le visage de l’analysant de Freud, le juriste Ernst Lanzer] une expression complexe et bizarre, expression que je ne pourrais traduire autrement que comme étant l’horreur d’une jouissance par lui-même ignorée. » (p. 207). Dans la version « Œuvres complètes », il est possible de lire « plaisir » : « Aux moments les plus importants du récit, on remarque sur son visage une expression très singulièrement composite, dans laquelle, si je l’analyse, je ne puis voir que de l’horreur devant son plaisir à lui-même inconnu. » (Volume IX, pp. 145-6). Lacan, lecteur de Freud en allemand, met en évidence, dans une conférence/débat du Collège de Médecine à La Salpêtrière en 1966 que : « Il y a incontestablement jouissance au niveau où commence d’apparaître la douleur, et nous savons que c’est seulement à ce niveau de la douleur que peut s’éprouver toute une dimension de l’organisme qui autrement reste voilée. ».

 

δ) La jouissance comme l’insatisfaction – pour le moi – agréable – pour les organisations intramoïques – réussie.

 

Je propose ainsi au lecteur de lire le texte de Freud « Jenseits des Lustprinzips », comme un « Au-delà du principe de la jouissance ».

 

Freud écrit que « Dans la théorie psychanalytique, nous admettons sans hésiter que le cours des processus animiques est automatiquement régulé par le principe de plaisir (Œuvres complètes, XV, p. 277 – Gesammelte Werke, XIII, p. 3).

 

Dans mon interprétation, la visée automatique de l’appareil psychique, c’est-à-dire, des organisations intramoïques (la résistance du surmoi freudienne et l’Autre non barré lacanien), est de chercher l’abondance, la jouissance. Ce qui deviendra « l’abaissement de cette tension » (Ibid.), est l’action psychanalytique provoquée par la castration. En d’autres termes que la grenouille – l’autre nom du moi – qui se veut faire aussi grosse que le bœuf – l’autre nom de l’Autre barré et du Réel – construise, en psychanalyse, sa position subjective vraie.

 

Le plaisir chez Freud, correspond à la diminution du gonflement jouissif du moi, et le déplaisir, au gonflement des organisations intramoïques. Cette phrase vient signaler au lecteur que le plaisir est de la responsabilité du moi castré et que le déplaisir est une injonction des organisations intramoïques à l’endroit du moi. Cette phrase vise aussi à signaler que le moi du malade ou du patient n’est pas encore responsable de sa souffrance. Il sera apte à reconnaître sa responsabilité quand il se trouvera dans la position de psychanalysant. Il ne sera responsable qu’une fois parvenu à la position de sujet (Cf. « Cartographie RPH).

 

Le principe de jouissance des organisations intramoïques comme l’évolution des organismes (Fechner cité par Freud) est basé sur la tentative de gagner du terrain et de détruire l’autre. Cette quête du moi, au pouvoir et à la destruction, est une constante qu’il veut ignorer. En d’autres termes, le moi fait semblant de ne pas savoir que, à l’intérieur de l’appareil psychique, la jouissance fait rage. La psychanalyse, en proposant à l’être de castrer les organisations intramoïques et de dégonfler le moi – ce qui pousse ce dernier à reconnaître à l’autre le droit d’exister aussi –, construit une voie vivable pour l’être.

 

En se « déduisant du principe de constance » (OC, p. 279) la lecture clinique du principe de plaisir tombe inévitablement sur une mécanique, physiologique, douloureuse de l’être. Il n’y a pas de conduite « vers le plaisir » parce que l’appareil psychique est possédé par le principe de jouissance. Aller au-delà de ce principe de jouissance pour construire le plaisir, est l’effet de la castration, pendant et après une psychanalyse. Cependant, il existe dans l’âme une forte tendance au « Lustprinzip » (GW, p. 5). En d’autres termes, la tendance de l’âme est la luxure, la surabondance, et non la recherche ni du plaisir, ni du retour à la mort, mais à la jouissance aveugle. La mort est simplement une solution pour mettre fin à l’enfer qu’est la quête pour jouir de tout et n’importe quoi, voire n’importe qui, matin, midi et soir. Il faut entendre ici que c’est le moi qui cherche à mourir pour éviter d’être sous l’emprise des organisations intramoïques. Pour le moi, l’enfer c’est l’Autre. Ce n’est pas l’huis clos, ce n’est qu’un confinement.

 

Le principe de plaisir est un vœu pieux du moi. Le principe de jouissance est propre aux organisations intramoïques.

 

L’absence de suicide au sein du RPH est due au fait que le clinicien dans sa visée opératoire – en ce qui concerne la tactique du maniement technique et la stratégie de la direction de la cure –, perce, avec délicatesse et bienveillance, les organisations intramoïques avec l’aiguille signifiante qui sort de la bouche de celui qui lui parle. Une telle visée produit une baisse de pression sur le moi. Concernant ce dernier, le clinicien vise à le dégonfler, avec le fil de soi des associations libres.

Dès le principe de la vie humaine, l’être pris par les organisations intramoïques des parents, vise à jouir. L’au-delà de la jouissance est la castration. C’est comme cela que j’interprète cet article de Freud.

 

Loin de moi l’idée de mettre en doute la valeur de la traduction française, puisque s’il est impossible de bien dire dans sa propre langue, traduire la langue de l’autre est une tâche qui mérite uniquement des remerciements. Evidemment, dans le texte de Freud, il est possible de traduire Lust par « plaisir », mais il est possible de trouver dans le texte, les mots qui signent la présence de la jouissance : luxure, convoitise, insatisfaction, danger, guerre, angoisse, vengeance, hostilité, passivité, domination, obscurité, plainte, jalousie, désillusion, sévérité, interruption de la cure encore inachevée, trait démonique, ressentiment, trahison, ennemi, blessure, obstination du moi, contrainte, déplaisir, douleur.

 

Le principe de jouissance « terrasse le principe de réalité au détriment de l’ensemble de l’organisme » (OC, p. 280) parce que la lecture de la réalité est faite par le moi et que le moi ne connait pas ou ne reconnaît pas l’existence de l’organisme. La difficulté des médecins à comprendre pour quelle raison les personnes ne respectent pas le confinement, au risque de mourir ou faire mourir l’autre, est la démonstration de toute l’actualité de l’enseignement de Freud.

 

Freud écrit :

 « … im Seelenleben wirklich einen Wiederholungszwang gibt, der sich über das Lustprinzip » (GW, p. 21).

 

La traduction donne :

« … dans la vie d’âme une contrainte de répétition qui passe outre au principe de plaisir » (OC, p. 293).

 

Ma proposition est de ne pas traduire « der sich über das » par « passe outre », par « qui est basée », « qui concerne » car, avec mon interprétation, la contrainte de répétition – de ce que j’appelle, à partir de mon interprétation de l’œuvre freudo-lacanienne, les organisations intramoïques (la résistance du surmoi et l’Autre non barré) – est basée sur le principe de jouissance. L’au-delà du principe de jouissance est la visée d’une psychanalyse, ou à tout le moins d’une rencontre avec un psychanalyste, à savoir la castration.

 

Ce que Freud nomme « Contrainte de répétition et satisfaction directe » (OC., p. 294), je nomme satisfaction jouissive, directe donc, des organisations intramoïques.

 

Quand la traduction française propose : « Toujours la nouveauté sera la condition de la jouissance » (OC, p. 307), je tiens, en m’appuyant sur le texte freudien (GW, p. 37), à signaler qu’il est plus pertinent, avec Freud, de dire que la nouveauté produit « des Genusses », du plaisir.

 

 

Conclusion

 

Pour Freud, « Das Lustprinzip » (GW, p. 69), semble « être tout simplement au service des pulsions de mort » (OC, p. 337). L’Au-delà du principe de la jouissance est la proposition de Freud pour une psychanalyse réussie. Dans une psychanalyse réussie, il est possible de reconnaître la castration des organisations intramoïques, le dégonflement du moi, la Durcharbeitung du sujet dans son rapport avec le réel.

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