Accueil > Les brèves > Le parti prix de la renonciation

Le parti prix de la renonciation


Le parti prix de la renonciation
Ire brève

 

Fernando de Amorim
Paris, le 10 mars 2021

 

Il est su que, pour être en vie, il faut respirer, se nourrir, excréter. C’est la logique de base pour les mammifères humains. Pour ceux qui veulent exister, il faut davantage. Ils ne doivent pas se contenter des fonctions physiologiques. Ils doivent tresser leur organisme avec l’inconscient structuré comme un langage, selon la formule de Jacques Lacan.
 
Vivoter c’est ce que fait l’immense majorité des mammifères humains. Vivre c’est ce que fait la majorité des mammifères parlants. Construire son existence c’est l’affaire des êtres parlants.
 
La locution nominale « parti pris », désigne une opinion préconçue. Le lecteur remarquera ici la distinction qui existe déjà chez Aristote entre donner son opinion et faire science. La période qui est la nôtre a déchaîné les donneurs d’opinion. La populace internautique fait et défait la longévité des statues à déboulonner. Le Moi, son corps, doit se modeler au désir de l’Autre (A).
 
Dans le documentaire « Petite fille », un monsieur dit : « Sacha, qui est né garçon et qui depuis l’âge de ses trois ans se vit comme une petite fille. ».
 
Il est garçon. C’est son anatomie. À entendre : c’est son organisme. En revanche, le fait de se vivre « comme une petite fille », nous transporte dans le champ du corps et dans ce qui concerne le corps ; ici, le clinicien est appelé à prendre en compte la présence massive de l’imaginaire, du symbolique propre au désir de l’Autre sans barre (A), que j’avais installé comme le bras verbal – tel un bras armé – de la résistance du Surmoi. Le lecteur reconnaîtra l’usage que je fais des deux concepts freudo-lacaniens.
 
Ainsi, quand le monsieur du documentaire évoque le fait que depuis l’âge de ses trois ans un garçon se vit, à lire « sévit » comme une petite fille, il met en évidence, sans savoir ce qui sort de sa bouche, que depuis la fin du XIVe siècle le mot « sévit » porte dans son cœur le tourment et la colère de l’être.
 
Si je continue sur cette lecture, « comme une petite fille » implique que le Moi sait que ce n’est pas vrai qu’il est une petite fille. Il est su par l’être enfant, par les parents, par toutes les personnes qui vivent avec l’être. Mais le Moi sévit et s’acquitte de ses obligations envers son supérieur, à savoir l’Autre (A).
 
Cependant, l’être ce n’est pas le Moi. Le Moi, aliéné par structure, subit, sert le désir de l’Autre non barré lorsqu’il prétend être une petite fille alors qu’il est un garçon ou quand il se dit petite fille alors qu’il est porteur d’un pénis.
 
Loin de moi l’idée de dire que la faute revient aux parents. Je sais de quoi sont capables les Médée de Corneille et des réseaux SS, pour sossiaux. Surtout parce qu’il ne s’agit pas de faute, mais du désir des organisations intramoïques qui n’ont rien à faire de l’enfant et de son organisme. La fonction des adultes, parents, éducateurs, la société toute entière, est de donner corps à l’organisme de l’enfant de manière paisible. Et cela passe par la castration.
 
Un enfant qui n’est pas d’accord avec le corps qui est le sien indique, selon mon expérience, la présence de l’Autre non barré parental pesant sur l’organisme de l’être, modelant ainsi ce dernier, selon son bon vouloir, tout en faisant fi de l’anatomie. Ce processus est inconscient et se déroule entre la partie inconsciente et celle consciente du Moi et que j’appelle les organisations intramoïques.
 
Avant de mettre en évidence la dénégation (Verneignung), la forclusion (Verwerfung) ou le déni (Verleugnung), il faut un examen clinique du désir de l’Autre parental sur l’enfant, la volonté du Moi de l’enfant de servir les organisations intramoïques des parents.
 
Évoquer les structures freudiennes serait vain dans un débat public. En revanche, il m’est possible de mettre en évidence la renonciation des êtres à devenir adultes, se contentant de vivre en tant que majeurs, et ainsi s’abandonnant d’eux-mêmes, premier sens du mot renonciation, celui du milieu du XVIe siècle.
 
Éduquer un enfant c’est renoncer à ce qu’il soit ce que veulent les organisations intramoïques (la résistance du Surmoi et l’Autre non barré). La castration, propre à l’Autre barré (Ⱥ), produit la renonciation du Moi des parents à jouir de créer le Moi de l’enfant et donc son corps, selon leur image et ressemblance (Genesis. 1 ; 26). Ce Dieu-là c’est l’Autre. C’est à cet Autre que le Moi, telle la grenouille de Monsieur de la Fontaine, se gonfle, à mort.
 
Un majeur, je veux dire celui qui a acquis la majorité civile, au contraire d’un adulte, n’est pas apte à supporter que l’enfant devienne un être à part entière. Et si le Moi de l’enfant n’est pas d’accord de porter son sexe qui lui était assigné, l’autre sens du mot renonciation, de l’aider à supporter ce qui, depuis le milieu du XIIe siècle, est le bien attribué à quelqu’un pour sa part.
 
Les majeurs qui composent notre société, parents, journalistes, psys, médecins, éducateurs, politiciens, contribuent à l’effilochement du tissu social en portant des discours ambigus.
 
C’est au moment de l’enfance qu’il est possible d’aider une fille comme un garçon à porter l’organe qui lui a été attribué par le Réel.
 
C’est comme ça et nous ne pouvons rien y faire, enfin rien d’autre que le bon usage.
 
Nous écrire
Les champs indiqués par un astérisque (*) sont obligatoires