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LE DIFFICILE PASSAGE DE L'ADOLESCENCE A L'AGE ADULTE

Le grand dadais

 

Fernando de Amorim

Paris, le 17 avril  2020

 

 

A Mr J.

 

 

Freud utilise le mot « adolescence » ou « adolescente » de manière très limitée dans son œuvre. Il ne s’agit pas, selon mon interprétation, ni de parcimonie, ni de modération, mais d’un choix de rigueur clinique. Ce qui me fait penser cela c’est que le mot « adolescence », dès la fin du XIIIème siècle, fait référence à l’âge de la vie qui suit l’enfance et qui s’étend jusqu’à l’âge adulte. Enfance qui s’arrête ? Age adulte qui commence quand ? Le lecteur constatera la présence pressante du discours de la psychanalyse dans les questions où avant il n’y avait qu’un discours économique (travail), social (mariage), moral (sexualité), religieux (absence du désir).

 

Du point de vue médical, lecture vétérinaire de la médecine humaine, l’adolescence se situe entre 11 et 18 ans pour les femmes et entre 11 à 20 ans pour les hommes. En un mot, le mot adolescences est porté par l’Imaginaire.

 

En revanche, le clinicien peut se trouver sur un terrain plus solide s’il s’appuie sur le mot puberté. La raison en est que la puberté est l’interprétation du Réel, de l’organisme chez l’être parlant par ce dernier, dans ce qu’il y a d’impossible. Cette solidité clinique vient du fait qu’il s’appuiera sur le Réel de l’organisme – dès la fin du XVIème siècle, la puberté est l’âge où le jeune homme ou la jeune fille sont formés – et sur le Symbolique du discours – dans le droit, et cela dès le milieu du XIVème siècle, la puberté est l’époque de la vie qui succède à l’enfance.

 

En d’autres termes, une fois quittée l’enfance, l’être parlant entre dans la puberté. L’adolescence devient ainsi, une lecture imaginaire où l’être se trimbale entre son enfance perdue et sa maturité à construire. Ce frotti-frotta peut durer des années. La difficulté dans cette opération est que le temps d’une vie passe et quelques-uns continuent à se comporter dans la vie comme s’ils étaient encore des ados. En d’autres termes, sans marques qui l’aident à se repérer, le Moi peut trainer la patte sans que l’être construise sa vie.

 

Le mot adolescence est une manière que la langue offre pour reconnaître que le majeur – donc pas encore adulte – est dans la position du grand dadais. Ce dernier est, généralement, de sexe masculin et occupe la position d’objet de l’Autre non barré. Les femmes, généralement, échappent à cette position. Il n’y a pas de grande dadaise. Quelques-unes, font fi de l’Autre barré en s’identifiant au phallus. Ainsi, elles occuperont la position plus avantageuse, plus imaginaire car plus avantageuse, de porter le grand dadais, faisant ainsi fonction de mère du mari et construisant ainsi la position de celle qui porte un enfant baisable.

 

Parce que le mot adolescent confond le Moi dans la perspective de la construction possible de la castration symbolique, je ne l’utilise jamais, ou à contrecœur.

 

Dans les cures avec les jeunes gens, je mets l’accent, pendant leur travail d’association libre, sur la construction de la position de sujet. La construction de cette position de sujet est envisagée pour les trois structures, à savoir, la névrose, psychose ou perversion.

 

Une psychotique en psychothérapie met en évidence son incapacité de travailler, « parce que je suis schizophrène ! » ; une jeune avec une petite voix et les pieds en « position métatarsus varus » (il ne s’agit pas du Réel, mais d’un « donner à voir » une inhibition, histoire de séduire l’autre) ; une autre « fait sa timide », jusqu’à ce que, une fois dévoilée son jeu imaginaire, une bête féroce, puisque humaine, montre son mépris envers l’homme. Dans les trois situations, le Moi donne à voir une position faible, forte ou enragée, pour ne pas grandir, comme il est dit populairement, pour ne pas devenir sujet, c’est-à-dire, responsable de la direction que prendra son existence.

 

Ces comportements sont les fruits de la manière dont les enfants et les jeunes sont préparés à la vie. En d’autres mots, ils sont formés à ne pas être responsables de leur existence, de vivre en mauvais locataire de leur corps, de vivre comme un crétin obtus dans leur rapport à l’autre, leur semblable. Ceci est la conséquence, me semble-t-il, de l’absence de l’Autre barré, l’Autre de la castration.

 

J’ai commencé ma clinique en maternité et j’ai eu Rosine Lefort comme contrôleur. Je pense que c’est grâce à elle, à Dolto et à Lacan, que j’ai toujours visé à travailler avec l’être dans la position de sujet, dès sa naissance parmi nous.

 

Un tel engagement de subjectivation ne pourrait pas être différent avec les pubères.

 

Je pense que le mot adolescent, comme argumenté ci-dessus, aliène le jeune de la construction de son désir. Les cures – psychothérapies et très rares psychanalyses – avec les jeunes, se déroulent pendant une période indépendante du temps : période d’hésitation subjective (la raison d’être et pourquoi être dans le monde), période de difficulté à reconnaître sa position sexuelle (suis-je un homme, une femme, bi, trans, etc. ?). Ces questions se construisent avec dans le temps clinique et non par décret idéologique partisan, associatif ou syndical.

 

Ici, il est fondamental que le majeur, dans la position de père ou mère, se limite à payer la consultation sans utiliser son pouvoir de nuisance en coupant les vivres des séances dès qu’ils estimeront que la cure ne va pas dans leur sens (ce qu’ils avouent rarement) ou que la cure ne marche pas (ce qu’ils avouent fréquemment).

 

Une cure avance quand le pubère est au rendez-vous.

 

Pour les psychotiques, les cures se déroulent avec la stratégie de les aider d’abord, à construire une vie professionnelle. L’autonomie du psychotique est fondamentale. Les autres exigences d’une vie sociale seront traitées au fur et à mesure de ses associations. Cette stratégie clinique s’appuie sur la libido qui est disponible et disposée, au nom du transfert, de s’engager à construire son désir. Les nombres des séances varient mais, comme évoqué ci-dessus, la libido du jeune est là et ne demande qu’à être dite.

 

Quant au nombre de séances, les jeunes gens viennent me rencontrer tous les jours. Parfois plusieurs fois par jours, au moment des crises psychotiques ou des mauvaises rencontres ou encore quand le chagrin d’amour bouleverse l’organisation du Moi.

 

Quand je travaille avec un jeune, ma visée première est le respect de la règle fondamentale, la mise en place de la technique de l’écarteur. La visée dans la durée de la cure est la construction d’une vie professionnelle, une autonomie financière. J’insiste.

 

Je pense que les majeurs, les parents, tirent un bénéfice à ce que les jeunes soient dépendants d’eux, de là, la manipulation de la cure à partir du règlement des séances. Maintenir le jeune dans une position de dépendance est un calcul où tous les êtres engagés dans cette opération, le jeune et les parents, seront perdants. Je pense que les majeurs soignants, les psychiatres, psychologues et psychothérapeutes, ont besoin quant à eux, de nourrir leur désir d’emprise et que le jeune soit dans une mi-relation avec eux, d’où cette stratégie clinique du pipi de chat, c’est-à-dire, d’une séance hebdomadaire. Une telle stratégie clinique indique, toujours selon mon interprétation, qu’ils ne savent pas sur leur propre désir, et pour cela, ils ne peuvent pas supporter le désir juvénile, ou simplement le désir de l’autre. Ainsi, ils s’engagent à moitié, en demi-teinte.

 

L’enjeu clinique du psychanalyste avec l’être parlant en général, et le jeune en particulier, c’est qu’il construise sa vie dans une danse possible avec le Réel.

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