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La rectification subjective


Fernando de Amorim
Paris, le 15 juillet 2022

A Mme la doctorante FN

 

La rectification, dite subjective, est une précipitation théorique car dans la clinique, l’être n’est pas encore dans la position de sujet. Je n’ai pas trouvé la formule chez Lacan, mais cela n’empêche pas ses suiveurs de l’utiliser comme si l’affaire – l’expression – était dans la poche, vulgairement parlant. La rectification est une opération de correction de trajectoire, au sens maritime, de la conduite de la cure par le clinicien, quand le Moi écoute et accepte de se dégonfler et de se castrer de l’imaginaire, ou encore une rectification, par l’Autre barré, qui propose le dégonflement du Moi, la castration imaginaire, castration à laquelle acquiesce l’être. La première rectification a lieu généralement en psychothérapie, la seconde en psychanalyse. Toute rectification acceptée par le Moi et par l’être, produisent, petit à petit et selon l’avancée de la cure, la construction de la position de sujet. C’est pour cette raison que j’avais affirmé plus haut que la rectification subjective était une précipitation théorique ou une ignorance clinique de la part du théoricien.
 
Il est possible de trouver l’expression « rectification » chez Lacan dans son article « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » (Écrits, p. 598). « Rectification » donc et non « Rectification subjective ». Il ne s’agit donc pas de Lacan clinicien mais de Lacan critique de la dérive des analystes de son époque, les postfreudiens. Ces dérives sont présentes encore aujourd’hui. Pour rectifier cette absence de repère clinique, j’avais invité l’analyste à devenir psychanalyste, en d’autres termes à ne pas quitter la position de psychanalysant, même après sa sortie de psychanalyse.
 
Il est bien plus commode de s’occuper, comme l’avait fait Lacan dans le remarquable article cité plus haut, de la situation à l’extérieur de son désir, lui – Lacan – qui avait ouvert la voie au renoncement du désir de psychanalysant –  caractérisé par le désir de savoir sur le désir de l’Autre et par la construction du désir de l’Autre barré –, en abandonnant sa propre psychanalyse et en bricolant des solutions dignes d’un charmeur de ver de terre. Évoquer la position d’un Lacan-analysant dans son séminaire, ou encore d’un Lacan, toujours dans son séminaire, qui occupe la position de sujet divisé mis au travail par l’objet a agent du discours analytique sont des exemples de ces tentatives de passe-passe. Même si son enseignement est essentiel, la véritable position de psychanalysant consiste à se déplacer chez le psychanalyste, à associer librement ses pensées sur le divan, à régler la séance et à revenir et cela même après être sorti, preuve à l’appui, de sa psychanalyse. Ce dispositif, du champ de la rectification, je l’avais récupéré chez Freud, mais en l’installant à sa bonne place, à savoir, sans concession.
 
Les élèves sur ce point ont suivi la dérobade de leur maître. Ils n’ont pas suivi le Lacan clinicien : pour devenir clinicien il faut faire de la clinique matin, midi et soir, jusqu’à être prêt ; ils n’ont pas suivi le Lacan cultivé : le niveau de culture des psys frôle la médiocrité, celui des analystes est, quant à lui, au ras de pâquerettes.
 
Tout en m’étant autoproclamé élève de Lacan, tout comme celui de Freud, j’utilise la clinique et non la rhétorique, ou le récit des textes, transformés en herméneutiques, pour opérer avec ce qui revigore la psychanalyse, à savoir, le désir : la construction du désir du psychanalysant, la manutention quotidienne de la position de psychanalyste pour le clinicien.
 
La « rectification des rapports du sujet avec le réel », n’est pas une rectification subjective. C’est une rectification des rapports du sujet avec le réel qui s’opère quand l’être est sorti de psychanalyse. En attendant, c’est-à-dire, pendant que l’être est en psychanalyse, donc dans la position de psychanalysant, la position de sujet est en construction, de cum, accompagnement et manière d’être ; et struere, d’assembler : la position de sujet est un assemblage fruit de la castration de l'imaginaire et du dégonflement du Moi de l’être lambda et la castration de l’imaginaire et du Moi de l’être psychanalyste.
 
Une rectification subjective est un alignement entre la reconnaissance et l’acceptation par l’être de son désir inconscient naissant. La rectification commence quand le Moi (ⱥ) accepte la castration de l'imaginaire, et l’être (ɇ) reconnaît et accepte son désir naissant.
 
Le lecteur remarquera qu’ici le Moi accepte la castration de l'imaginaire, mais il n’est pas castré. Une telle opération n’est pas exigée d’un psychanalysant lambda, mais uniquement d’un candidat à devenir psychanalyste ; que l’être accepte la naissance de son désir naissant (Ⱥ), signifie qu’il a été castré du désir de l’Autre (A), Autre qui tirait les ficelles de sa vie jusqu’à présent. Ainsi, la rectification n’a rien à voir avec le « début d’une analyse », mais avec un processus qui se déroule pendant la cure : grâce à l’intervention du clinicien dans le cadre d’une psychothérapie, grâce à l’intervention de l’Autre barré, dans le cadre d’une psychanalyse.
 
Le début d’une psychanalyse commence avec la question à l’Autre barré et dans cette opération, le Moi de l’analyste n’entre pas en ligne de compte. D’ailleurs, j’avais mis en place ce procédé pour dégager le Moi dudit personnage.
 
La rectification subjective, qui ne se trouve pas dans le texte de Lacan, ce qui exclue jusqu’au terme d’hapax, est un alignement dans le cadre d’une psychanalyse entre l’être et son désir naissant et le rapport de l’être au Réel.
 
Voici deux situations issues de la clinique de Mme FN :
 
« Une patiente psychotique s’est retrouvée seule avec son fils. Son compagnon est en vacances. Elle angoisse, appelle la clinicienne, se demande si elle est capable d'être mère. Ici, le Moi est angoissé et refuse le Réel. Le Réel c’est qu’elle est mère. ». La rectification subjective vient de la formule : « mais vous êtes déjà mère ! ». Le Moi ne veut pas reconnaître cette vérité évidente. Donc, le Réel est quelle est déjà mère. C’est dans le « déjà » qu’il faut mettre l’accent ainsi que sur l’impossible d’une position intenable pour un être humain, à savoir d’être mère, ou père, d’un tiers. S’il s’agit d’une angoisse extrême, le clinicien peut ajouter : « Si ça ne va pas, vous pouvez compter avec votre psychothérapie », voire « avec votre psychothérapeute », si la détresse risque l’effondrement dans l’alignement du Moi avec l’être, la forclusion et l’objet a.
 
Voici une autre situation :
 
« Une psychanalysante a travaillé sur le divan la question de quitter son compagnon. Elle fait finalement le choix de le quitter. Il y a là un travail de rectification subjective. L’être est en train de s’aligner avec son désir. Elle travaille une question importante pour son être (la relation avec cet homme) et elle est dans la position de psychanalysante. Il y a un alignement entre son être et son désir. ». Il faut entendre ici désir naissant. La rectification signifie qu’un choix est fait à partir de son désir. Le grand Autre barré fait le travail de rectification subjective. L’être s’aligne avec son désir sur le divan. Ainsi, la rectification subjective se passe sur le divan lorsque l’être occupe la position de psychanalysant. En psychothérapie, le désir de savoir n’est pas engagé. Le Moi n’est pas prêt à entendre ce que l’être est en train d’accepter.
 
Il n’y a pas de rectification subjective lorsque l’être occupe la position de patient ou de malade, mais uniquement quand il est dans la position de psychanalysant et de sujet.
 
La clinicienne continue : « Par la suite, cette psychanalysante appelle angoissée pour dire qu’elle a peut-être fait une erreur lorsqu’elle a quitté cet homme ». À ce moment-là, ce n’est pas l'être qui parle, c’est le Moi. Le Moi est angoissé parce qu’il n’assume pas la rectification subjective de l’être, c’est-à-dire l’engagement de l'être avec le désir naissant. C’est pour cette raison que le Moi panique. Une vraie rectification subjective est l’alignement de l’être avec le désir, accepté par le Moi. Ce n’est pas – encore – le cas de cette psychanalysante car ce n’est pas accepté par son Moi. Ici, le clinicien invite à associer librement pour calmer l’angoisse et que le Moi puisse perdre du terrain imaginaire.
 
Le travail de rectification subjective ne commence pas pendant les entretiens préliminaires. La rectification subjective est l’action du clinicien dans la position de l’Autre barré prime (Ⱥ’) au moment de la psychothérapie, ou de l’Autre barré (Ⱥ) quand il s’agit d’une psychanalyse. Il n’y a pas de rectification subjective pendant les entretiens préliminaires puisque le Moi ne reconnaît pas qu’il souffre et que l’être n’accepte pas sa présence dans l’appareil psychique, raison pour laquelle il laisse le Moi diriger sa vie et les principes de son pouvoir. Quelqu’un qui ne veut rien savoir ne vient pas chez le clinicien. Il y a ceux qui ne savent pas ce qui les fait souffrir mais s’accrochent au transfert et restent dans les entretiens préliminaires, il y a ceux qui ne veulent rien savoir mais veulent arrêter de souffrir et peuvent donc entrer en psychothérapie. Ceux qui veulent savoir ce qui les fait souffrir entrent en psychanalyse.
 
Les questions adressées au clinicien n’ont aucune valeur clinique. Les vraies questions sont adressées à l’Autre barré. Le travail du psychanalyste n’est pas du champ de l’impossible, ce qui est une preuve d’incompétence clinique est de ne pas savoir opérer cliniquement, avec l’impossible. Pour sortir le Moi de l’analyste de l’embarras, j’ai concocté, pour eux, une « cartographie » et une « carte » tout à fait utilisable, à condition de savoir s’en servir (Cf. https://www.rphweb.fr). Évoquer des entretiens préliminaires au nom de Lacan – en utilisant, de plus, la formulation « rectification subjective » – en institution et au nom de la psychanalyse, c’est vouloir tuer Bucéphale parce que le cavalier n’est pas compétent pour débourrer l’animal. En d’autres termes, la rectification, Lacan, la psychanalyse, sont utilisées pour psychologiser le rapport avec l’être en institution ou sur le divan car ce n’est pas parce que l’analyste écrit vouloir éviter de renforcer le Moi que, dans la rencontre avec l’appareil psychique il ne tombe pas dans le piège de sa propre aliénation.
 
Le savoir n’est pas du côté du sujet, le savoir est du côté de l’Autre barré. L’être devient sujet parce qu’il prend le courant – au sens d’un mouvement d’un liquide, la libido, qui s’écoule suivant la pente, le frayage freudien, du terrain – appelé Autre barré. Pour quelle raison fais-je usage du courant comme référence et non du vent ? Parce que l’Autre barré est la libido civilisée, quant au vent, il est externe à l’appareil psychique.
 
Un désir ne s’interroge pas, sauf si l’analyste se prend pour un policier. Un désir se construit à partir de la libido et non à partir du vent. Pour les psys et les analystes la psychanalyse c’est du vent. Quoi qu’ils en disent. Mon argument pour une affirmation si lapidaire ? Ils donnent des indications aux patients – Faite ce que je dis … – mais ils ne respectent pas les indications du désir de l’Autre barré.
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