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La meilleure défense est le refus

La meilleure défense est le refus

 

Fernando de Amorim

À Paris, le 18 janvier 2024

 

À Mmes L.-L. R. ; S. V. ; E. de A.

 

 

La question au grand Autre est la preuve que l’être est prêt à commencer à construire sa subjectivité, mais parfois le Moi s’y refuse. Il refuse parce qu’il ne désire pas.

 

Avant l’entrée en psychanalyse, l’être est dans la vie au sens le plus biologique qui soit, à savoir : il mange, parle, chie, travaille, paye ses factures, s’accouple, met des enfants au monde, ne s’occupe pas de ces derniers. En un mot, il est un être humain.

 

La position de psychanalysant ne fait pas qu’installer uniquement l’être sur le divan. Le divan n’est pas une pièce du folklore freudien. S’allonger sur le divan marque d’une pierre blanche ce fait que l’être est prêt à construire sa subjectivité. Quelques-uns, pour des raisons qui leur sont propres et qui se règleront dans la clinique, pensent pouvoir – le mot ici est majeur – se dérober de cette responsabilité de ramer. Le Moi s’y refuse et pour cela les mécanismes de défense sont à sa disposition selon la structure, à savoir névrose, psychose, perversion, pour empêcher tout retour du refoulé.

 

Le Moi se défend du retour du refoulé en faisant usage de la négation (Verneinung), en déniant comme dans le cas de la dénégation (Verleugnung), en rejetant comme dans le cas de la forclusion (Verwerfung). Dans les trois formes de défense, c’est le refus qui est brandi comme arme défensive.

 

Il faut mettre en évidence ici que le refoulement (Verdrängung) n’est pas une défense (Abwerh). La défense est un dispositif de protection propre au Moi et non au sujet comme le pensait Jean Laplanche. Le refoulement est un acte involontaire. Quand le refoulé essaye de retourner pour se représenter (le propre de l’être barré est de bien dire), le Moi se chargera de refuser le signifiant par négation, par dénégation, par forclusion.

 

Selon la figure ci-dessus, ce qui est inconvenant au Moi est nié, dénié, forclos pour sa partie inconsciente (β), vers l’inconscient (γ) ou vers l’Inconscient (δ), créant ainsi un premier refoulement (α).

 

Ce sont les organisations intramoïques qui s’occupent de pousser les inconvenants, selon le Moi, vers la partie inconsciente du Moi, vers l’inconscient ou vers l’Inconscient.

 

Je me justifie à propos de l’usage du mot « involontaire » : il n’y a pas d’automatisme chez l’être humain, ni mental ni corporel ni organique. Les processus chez l’être humain sont involontaires, conscients ou inconscients. Le tout dynamisé par la libido. L’être humain n’est pas un automate.

 

Les organisations intramoïques ont la fonction de refouler tout ce qui est exclu du champ du Moi vers les parties inconscientes du Moi, car il s’agit de la libido teintée de pensées et de paroles. Comme il s’agit de libido, cette dernière revient sans cesse. La libido est poussée vers l’inconscient si la libido est teintée de signifiants, comme dans le cas des symptômes corporels. Elle sera poussée vers l’Inconscient dans le cas de la libido sans teinture signifiante, comme dans le cas des maladies avec lésion, avec ou sans déversement de sang ou dans le cas de l’obstruction d’une artère.

 

Dans le retour du refoulé, l’être, en allant vers l’Autre barré s’éloigne du Moi, ce qui indique qu’il accepte la castration. En passant par l’Autre barré (Ⱥ), il est barré à son tour (e barré, ɇ). En quittant l’Autre barré, il est possible de dire qu’il a chargé sa barque de signifiants pour dire ce qui est vrai. C’est le retour du refoulé.

 

Dans la négation, Verneinung, le Moi nie l’être qui passe par l’Autre barré et devient barré, ce qui justifie la barre (ɇ). Cet être formule un désir sous forme de pensées, avec l’affect qui vient avec. Le Moi se défend en niant qu’un tel désir lui appartienne. À vrai dire, le Moi voit juste, parce que le désir n’est pas à lui. Le Moi n’a pas de désir, il a de la volonté.

 

En déniant, Verleugnung, le Moi ne se contente pas de nier, il nie formellement en exerçant une force contraire à ce que l’être barré lui propose, et cette force est verbale ou corporelle. Il s’agit d’un refus actif de reconnaître ou d’admettre comme sienne cette parole qui vient de sortir de sa bouche. La puissance de cette défense est saisissante par la force émise par le Moi à refuser catégoriquement. Le Moi obsessionnel peut se comporter avec ces traits mais, en cédant, le clinicien constate qu’il ne s’agit pas d’un déni mais d’une négation. Le Moi pervers peut dénier le temps que le transfert n’est pas solide et qu’il ne se décide pas à être castré. Quand il accepte la castration selon ses moyens structuraux, il accepte de reconnaître la castration le temps de la cure et peut faire un arrangement avec la Loi symbolique et ainsi mener sa barque. Le Moi psychopathe ne cède que s’il est contraint, par la police, par la justice. Le psychotique peut être dans le déni quand le transfert n’est pas solide, quand il est solide, il cède pour aller dans le sens de la castration et ainsi construire une voie possible pour lui. Quand le transfert est solide et qu’il ne cède en rien du déni, il sera question de forclusion.

 

La langue française, dans son infinie beauté, offre au rejet, Verwerfung, une articulation fort jolie. Elle passe par la teinture. Le rejet peut être l’action de plonger plusieurs fois une étoffe dans un bain teinté en bleu pour qu’ainsi ce dernier puisse avoir la nuance plus foncée. Le choix sexuel et structurel de l’être est dans cette logique de répétition : il faut plusieurs essais, plusieurs bains, pour que l’être puisse occuper sa position en conformité avec son réel organique, comme il faut plusieurs essais, plusieurs bains, pour que l’être puisse construire sa lecture du Réel et que le Moi invente sa lecture, sous forme de réalité psychique.

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