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La clinique du psychanalyste en médecine

La clinique du psychanalyste en médecine

 

Fernando de Amorim

À Paris, le 16 janvier 2024

 

Un médecin est toujours confronté à la situation où le « diagnostic précis ne peut être établi ». Cette situation a été évoquée dans l’article paru dans la Revue médicale suisse, numéro 156 du 7 mai 2008.

Ce document, fort intéressant, mérite quelques remarques et réflexions.

En évoquant les théories freudiennes, les auteurs mettent en évidence « une transformation de conflits psychiques en symptômes physiques ». Il me semble préférable de parler de symptômes corporels, car un symptôme physique ne concerne plus un être humain. Ainsi est‑il important de mettre en évidence la dimension érogène de l’expression et de l’élection d’une partie du corps – et non de l’organisme ou du physique – chez le patient souffrant d’hystérie.

L’hystérie est bien vivante. Cependant, la formation déficiente des psychistes (psychiatres, psychologues, psychothérapeutes) les éloigne du quotidien du clinicien et surtout de la résolution des difficultés cliniques. Ces dernières sont le pain quotidien du clinicien, indépendamment de son expérience clinique. C’est l’enseignement de Freud à une époque où il avait déjà une expérience solide de la clinique de l’hystérie.

Il faut distinguer l’hystérie en tant que symptôme de l’hystérie en tant que structure. La partie symptôme était évoquée par les collègues. Je me permets de les nommer ainsi, plus de 15 ans après la publication de leur article, puisque ce n’est qu’hier que j’en ai pris connaissance.

L’hystérie est bien vivante, j’en veux pour preuve ma rencontre dans un service de neurologie avec une jeune femme en fauteuil roulant qui, alors, était entourée du chef de service d’un hôpital parisien, de son père médecin et de son ami médecin aussi. C’est ce dernier qui m’avait demandé de me joindre à cette réunion. Première chose à faire : inviter ces messieurs à quitter la pièce. Ce qui fut fait, même si je récoltais quelques mines patibulaires.

Seul avec la jeune dame, elle me parla de ses symptômes : difficulté à marcher, angoisse, anxiété, nausées.

En sortant de sa chambre à l’issue d’une séance, je rejoignis les sieurs médecins qui me demandèrent un diagnostic, ce à quoi je répondis que je devais venir lui rendre visite le lendemain. Ce "lendemain" a duré deux semaines, tous les jours, après ma journée clinique.

Cette technique est appelée "technique de l’écarteur". Je propose plusieurs séances par semaine et, dans des situations d’urgence, plusieurs séances par jour. Deux semaines après, elle rentre chez elle, en marchant. Je continue à lui rendre visite chez elle, car elle ne sent pas encore apte à prendre le métro pour venir à ma consultation.

Dès la première consultation chez elle, j’apprends que son père, rhumatologue de formation, assure les prescriptions médicales de toute la famille : la grand-mère, l’épouse, les deux filles, dont la jeune dame en question, et les trois fils sont examinés, auscultés, conseillés par le médecin‑père. La pratique médicale paternelle passe aussi par des examens gynécologiques des femmes et des jeunes filles de la famille.

En entendant cela, je demande à la jeune dame de se refuser catégoriquement à une telle pratique et de chercher un gynécologue de son choix.

Elle m’appelle le lendemain tôt pour dire qu’elle souhaite venir à ma consultation. Elle arrive et dit qu’elle parvient à marcher normalement et qu’elle n’a plus besoin de la psychothérapie. J’ai accepté sans contester.

Le psychanalyste peut occuper la position de psychothérapeute, mais un psychothérapeute ne peut pas occuper la position de psychanalyste. L’habitude de penser qu’un diplôme universitaire autorise quelqu’un à occuper la position de psychanalyste est une position trompeuse qui porte atteinte au dévoilement de la souffrance enrobée dans le symptôme.

Noyer l’hystérie sous l’appellation de trouble « somatoforme » ne sortira pas le clinicien de la difficulté, voire de l’impasse clinique. Et il en est de même pour ceux qui confondent hypocondrie avec nosophobie.

Il me semble fondamental que les cliniciens, qu’ils soient neurologues, psychiatres ou psychologues, puissent soulever la discussion clinique et ne pas accepter passivement des propositions douteuses. Douteuses, parce que portées par des idéologies. Le DSM a refusé la participation de la psychanalyse dans son manuel, mais en faisant cela, il a ouvert toutes les vannes à des propositions qui ne répondent plus aux difficultés des cliniciens.

Il est impossible, jusqu’à présent, de pouvoir compter en clinique avec un « marqueur biologique » pour se débarrasser de la difficulté qui amène la souffrance hystérique à venir frapper à la porte du clinicien. L’impossibilité de répondre par un marqueur biologique repose sur le fait que la souffrance hystérique, jusqu’à preuve du contraire, est du champ du psychique. Toute tentative de lire le psychisme, ou le corporel, avec une lecture organique constitue une erreur épistémologique majeure.

Un marqueur biologique est utile pour les maladies organiques et non pour les souffrances psychiques ou corporelles, « fonctionnelles », comme il est écrit dans l’article.

La question de l’Œdipe est toujours d’actualité dans la clinique. Ne pas aimer Freud, un psychanalyste ou Vienne ne sont pas des arguments scientifiques pour refuser la psychanalyse, comme c’est le cas encore aujourd’hui. J’ai été jeune et déjà engagé avec les études freudiennes. Un jour, j’ai rencontré l’enseignement de Lacan et plus de quarante-trois ans plus tard je suis toujours engagé avec la clinique psychanalytique en médecine, pour étudier, répondre, questionner, apprendre avec les personnes qui déambulent dans les services spécialisés à la recherche d’une solution à leurs souffrances sans nom.

Pour conclure, les auteurs écrivent : « Un certain nombre de critères positifs ont récemment été élaborés permettant d’affirmer la nature fonctionnelle de ces symptômes avec une meilleure fiabilité. » La fiabilité naît de la position que l’être est désireux d’occuper, à savoir la position de psychanalysant ; la fiabilité ne se décrète pas ni n’obéit aux injonctions ou autres demandes des parents, des médecins ou des patients eux-mêmes.

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