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L’Aurore de l’Œdipe (II)


Fernando de Amorim
Paris, le 24 octobre 2022


Les praticiens de la Société psychanalytique de Paris nient encore l’enseignement de Lacan mais ne se gênent pas pour faire usage du mot « symbolique », mot qui est au cœur de la triade lacanienne, avec l’imaginaire et le Réel. Ils font cet usage sans tirer les conséquences de ce registre fondamental pour la condition de l’être humain. Le fait que l’enfant expérimente l’absence doit être nommé par un adulte car, effectivement, la mère ne peut pas être à la merci ou au service du Moi infantile matin, midi et soir. Le fait même de parler de l’absence, du manque, de la perte avec l’enfant, l’aide à s’autonomiser. Le psychanalyste peut aider le nourrisson, à condition que les parents aident le psychanalyste et que la société tout entière veuille bien accueillir les nouveau-nés, les nouveaux arrivants parmi nous. Cependant ce que nous voyons dans notre histoire humaine c’est que ces nouveaux arrivants sont accueillis par des méchants, donc par des majeurs et non par des adultes castrés : la peau de leur prépuce est coupée, les lèvres de leur sexe suturées, les uns sont battus, les autres humiliés. Cette méchanceté des majeurs transforme une vie vivable, vivante, en expérience où les mots d’ordre sont larmes et douleurs. La volonté de vengeance est la suite logique d’une telle animosité.
 
Après ce n’est pas si difficile de comprendre pourquoi les enfants sont difficiles ou pourquoi les jeunes se droguent, volent, agressent, se prostituent. La réponse est simple : c’est parce qu’ils n’ont pas affaire à des adultes mais à des majeurs et qu’ils vivent dans une société nourrie à ras bord par un discours sociétal.
 
Comme il n’y a pas d’adulte pour éduquer les pulsions, et vu ce que les majeurs laissent comme héritage pour les générations à venir, effectivement, l’issue est de s’aliéner, de se droguer, de boire jusqu’au coma. Je signale ici ma colère, ma révolte contre ces majeurs qui déposent les enfants chez les psychanalystes comme si ces derniers étaient une nounou. Si l’enfant souffre, la responsabilité des parents est engagée d’emblée. Et tant pis pour le réveil de la culpabilité. Ma priorité ce n’est pas les parents, c’est l’enfant. En revanche, si les parents souffrent et qu’ils sont suffisamment mûrs pour le reconnaître, ils sont invités à rencontrer le psychanalyste car la souffrance du nourrisson, du bébé, de l’enfant, du pubère, a le statut d’héraut.
 
Les majeurs qui se disent parents ne sont pas, pour autant, des adultes. Le discours sociétal nourrit des parents, des éducateurs, des responsables politiques en place de majeurs et non dans la position d’adultes.
 
Quand Freud disait que « éduquer, gouverner et psychanalyser » étaient des métiers impossibles, il indiquait le rapport qu’ont l’éducateur, celui qui gouverne et le psychanalyste avec le Réel. La difficulté est que le Moi, profite de la formule pour se dérober, pour prendre la voie de la lâcheté : « Bon, comme c’est impossible je laisse tomber ! ».
 
C’est parce que c’est impossible que le désir est appelé au cœur de l’opération, de l’opération d’éduquer, gouverner, psychanalyser. Et l’Œdipe est ce passage obligatoire.
 
Monsieur Smadja évoque la responsabilité du père ou, je le cite, « tout autre adulte occupant symboliquement cette fonction, dont le rôle sera de favoriser progressivement la séparation psychique du duo pour que le tout-petit s’individualise et s’autonomise ». Comme indiqué précédemment, la fonction d’adulte pour un être humain commence dès le début, dès l’entrée de cet être dans le monde, et ça, la fonction d’adulte, se fait avec des paroles, des paroles chaleureuses et de préférence vraie. Françoise Dolto disait qu’il est préférable de passer 5 minutes avec un enfant pour de vrai que de passer toute la journée à l’ignorer. Monsieur Smadja dit que, je le cite, « « sous l’autorité de ses parents, l’enfant va renoncer à la satisfaction de ses désirs et intégrer les interdits, mais aussi la double différence, des sexes et de générations ». Sur le papier ça sonne beau, mais ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Quand il s’agit des parents adultes, il n’y a pas une autorité des parents. Personne ne sait comme aider un enfant. Il n’y a pas de manuel pour cela. Il faut y aller avec son désir, son désir et son désir trois fois. C’est ne nageant qu’on apprend à bien nager. Quand il s’agit des parents dans la position de majeurs, c’est une autre affaire car, les parents majeurs abandonnent leurs enfants, ils ne sont pas du tout fiables, ce sont des paumés, ils se disent perdus. Déjà ces parents ne s’aiment plus, ils divorcent et c’est du chacun pour soi. Ces parents mettent des enfants au monde, se séparent et après il faut que l’enfant se déplace du nord de Paris, où habite sa mère, pour aller au sud de Paris, quand ce n’est pas en banlieue ou en province, où habite le père.  Tous les enfants que je rencontre sont révoltés par ces abrutis qui les mettent au monde et qui n’assurent pas derrière.
 
Récemment un enfant de 3 ans a demandé à ses parents : « Est-ce que je peux changer de famille ? ». Beaucoup d’enfants, avec l’innocence infantile, demande ça. Il y a des mères qui fument du shit avec leur enfant de 15 ans, des pères qui sniffent de la cocaïne avec leur fils de 22 ans. Donc tout est confus pour ces enfants. Il y a des garçons qui pensent qu’ils sont des filles. Ils ne sont pas filles, ils sont perdus parce que personne ne vient leur dire que quand on naît avec un zizi on s’appelle garçon et quand on naît avec une zézette on s’appelle une fille. C’est leur anatomie mais avec le désir de l’Autre, cela peut devenir complexe, voire compliqué. En d’autres termes, pour l’être parlant, c’est compliqué parce qu’il est aussi être de langage. Ils voient bien que papa et maman ne baisent plus, que papa court derrière la secrétaire et qui ne saute pas sa grosse, qui d’ailleurs le devient de plus en plus parce qu’elle ne prend plus soin de son corps, parce qu’elle bouffe pour voiler ses angoisses et son anxiété.
 
Comment parler de génération si les grands-parents ne veulent pas accueillir leurs petits-enfants. Et pour quelle raison ne veulent-ils pas ? Parce qu’ils ne s’aiment pas, ils n’aimaient pas non plus leur rejeton et pas davantage les rejetons de leurs enfants. Une société qui ne porte pas un discours social sombre dans le mépris de l’autre. Le discours social ici signifie travailler et aimer, ce n’est pas aider l’autre pour qu’il puisse bouffer gratos et sans dignité. C’est construire sa dignité avec le fruit de son travail.
 
La société actuelle ne porte pas un discours social, elle porte un discours sociétal. La preuve sont tous ces individus que, en occupant la place du juge dans les réseaux « sossiaux », délivrent des punitions, peines et châtiments.
 
L’absence d’autorité commence à la maison, parce qu’il n’y a ni père, ni mère pour dire que ça suffit à l’enfant paumé, ou une main et une écoute amoureuse pour la détresse juvénile. C’est parce que les parents sont paumés que les enfants, les jeunes et même des majeurs viennent de confronter avec l’autorité représentée par le policier, le juge, l’enseignant.
 
Quand il n’y a pas autorité symbolique, quand il n’y a pas d’amour à la maison, l’enfant va la chercher ailleurs. L’autorité est symbolique, elle n’est pas un bâton prêt à frapper. L’autorité c’est le « Ça suffit ! » que l’enfant entend quand il est pris dans le déchainement de ses pulsions agressives, sexuelles, d’autodestruction.
 
Comme la société est malade, le complexe d’Œdipe c’est l’impossibilité pour l’enfant de savoir qu’il faut traverser une difficulté avec ses parents pour entrer dans la société comme quelqu’un de bien.
 
 
 
 
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