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L'arrêté


L’arrêté

 

Fernando de Amorim
Paris, le 8 avril 2021

 

L’arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues mentionnée à l’article R. 2135-2 du code de santé publique n’est une bonne décision ni pour la société, ni pour les familles, ni, surtout, pour les enfants.
 
Voici mes arguments.
 
Mettre en place des plateformes diagnostiques et de prise en charge précoce des enfants relevant du spectre de l’autisme et des troubles envahissants du développement avec ou sans hyperactivité n’est pas suffisant pour les aider eux et leurs parents, car un diagnostic psychique n’est pas un diagnostic de radiologie. Les enjeux inconscients sont au rendez-vous et, qu’on le veuille ou non, n’importe quelle personne, à n’importe quel âge, est soumise à l’inconscient structuré comme un langage. Pour accéder à ce registre, le supporter, le déchiffrer, il faut une formation propre : une psychanalyse personnelle, savoir descendre dans l’arène clinique, supporter le transfert. Cette formation est portée par le désir de chacun, il faut nourrir, épauler ce désir. Il ne naît pas par décret ministériel. Hélas !
 
Ces plateformes visent-elles à remplacer les CMP pour enfants et adolescents et les CMPP ? Je serais d’accord pour un tel remplacement car ces institutions sont soit plus mortes que vives, soit à moitié vivantes, les plus vaillantes sont comateuses. Les remplacer, à condition qu’elles deviennent des Consultations publiques de psychanalyse (CPP), le modèle que j’ai mis en place à partir de l’idée de Freud, Ferenczi, Eitingon et Abraham mise en place à Berlin en 1920.
 
Suis-je en train de proposer l’exclusion des psychologues habilités aux techniques de dressage appelés TCC ? Pas du tout. Je pense qu’il y a des personnes dans notre société qui ne peuvent qu’envisager le dressage pour leur vie. Et pour cela, la psychologie et ces techniques sont tout à fait aptes à assurer cette charge.
 
Cependant, nous vendre les TCC en tant que « thérapies » quand le « T » vaut pour « technique », et même technique du dressage du Moi, ressemble fort aux grosses ficelles des marchands de tapis. Malgré cela, la manœuvre fonctionne parfaitement puisque l’arrêté publié le 4 avril 2021 dans le Journal Officiel explicite la façon dont les psychologues pourront adhérer et travailler.
 
Ma question est la suivante : travailleront-ils pour les français ou pour servir l’idéologie des détenteurs des grosses ficelles au sein du Ministère ?
 
Une réponse possible à cette question soupçonneuse serait que chaque psychologue puisse indiquer clairement – publiquement – son orientation clinique et qu’à la fin de chaque année, il puisse présenter sa manière clinique de conduire la cure, sa manière de poser le diagnostic et sa prise en charge parentale. De même, pour les psychanalystes ou técécistes.
 
Ainsi, il serait possible de créer une biennale des orientations cliniques permettant d’examiner quelles prises en charges seraient les plus favorables aux familles.
 
Faire appel au respect par les psychologues des recommandations de bonnes pratiques professionnelles est trompeur car ces recommandations ne sont pas bonnes : « Les approches recommandées tendent à soutenir le développement de l’enfant dans plusieurs domaines, en priorité ceux des interactions sociales, des émotions, des comportements adaptatifs, de la communication et du langage. Elles s’appuient sur des thérapies cognitivo-comportementales, de la remédiation neuropsychologique et cognitive et de la psychoéducation ». Cette stratégie, digne des hypnotiseurs de foires, vise à endormir les psychologues – le soutient au développement de l’enfant – pour ensuite les réveiller avec les recommandations devenues bonnes avec le temps afin que, sans discuter, ils pratiquent des techniques de dressage sur les enfants. Bien entendu, cette stratégie va dans le sens des parents car elle n’examine pas le désir parental. C’est malin. Mais ce n’est pas clinique.
 
Quand le texte énonce que : «  Une liste non exhaustive de programmes se référant à ces approches est établie en annexe. Cette liste sera réactualisée périodiquement en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques, des recommandations et des outils. », je tiens à mettre en doute les connaissances scientifiques des TCC. Une science au service de l’homme vise son autonomie, son indépendance, sa subjectivité. Une telle opération passe par la construction de son existence et non par l’imposition des outils propres au Moi du technicien en comportement et cognition humaine.
 
L’ambition de cet arrêté est taillée pour des nains de jardin. Elle est indigne de la France. C’est l’officialisation de l’américanisation de la société.
 
Mettons en place un projet-pilote avec un groupe de 5 personnes (parents, enfants, psychanalystes) et le même avec des técécistes (parents, enfants, técécistes). Le résultat de l’opération exigé par l’arrêté (« interactions sociales, des émotions, des comportements adaptatifs, de la communication et du langage »), sera évalué et nous pourrons examiner la situation subjectivement et non avec une fausse objectivité, comme la médiocre analyse bibliographique des articles qui ont servi à montrer que les TCC étaient plus efficaces que la psychanalyse (Rapport de l’Inserm publié en 2004 et intitulé : Psychothérapie. Trois approches évaluées).
 
Comment l’expertise du psychologue pourra « proposer une approche personnalisée et réajustée, en fonction des compétences de l’enfant et des besoins identifiés lors des bilans établis en partenariat avec la famille », s’il ne peut proposer que les TCC comme perspective ?
 
Quant à la formation du psychologue en soi, il faut signaler que depuis quarante ans que je fréquente les étudiants de psychologie je ne peux que constater que leur formation est largement insuffisante pour poser un diagnostic et pour conduire une cure.
 
Les auteurs de cette proposition sont complétement éloignés de la clinique de l’humain ou de la clinique tout court. S’ils ne sont pas d’accord avec moi, qu’ils montrent où se trouve le défaut de mon raisonnement.
 
C’est pour pallier cette défaillance énorme que j’avais proposé que les étudiants de première et deuxième année de psychologie ainsi que de médecine, souhaitant devenir psychothérapeute ou psychanalyste, commencent leur psychanalyse personnelle dès la faculté, et qu’ils puissent commencer à recevoir des patients, si tel est leur désir, avec le soutient d’un superviseur.
 
Pour ceux qui sont déjà diplômés je leur propose de continuer leurs études au moins jusqu’au doctorat et de continuer leur psychanalyse même après avoir construit une première sortie de psychanalyse. C’est ce qui justifie ma formule « la psychanalyse du psychanalyste est sans fin. ».
 
L’arrêté, regorgeant « d’évaluation » et de « contrat type », traitera le psychologue comme il l’a toujours été, en cerbère du maître qui, ici, est médecin coordonnateur, là, apprenti évaluateur.
 
Dans cet arrêté, pas un mot sur le désir à construire, sur la volonté de maîtrise, de mort et de destruction du Moi, de l’enfant, des parents. En un mot, des technocrates de l’humain qui font du parlant un muet mammifère.
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