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HARGNE, QUAND TU NOUS TIENS !

Fernando de Amorim

Paris, le 8 avril 2019

 

 

Michel Onfray, qui avait tiré les oreilles de Freud il y a quelques années avec un ouvrage fort sympathique, vise maintenant les médecins. Et cela parce que ces derniers sont passés à côté de son diagnostic.

 

Onfray n’a pas encore compris que son désir de taper avec tellement d’ardeur sur l’autorité ne se résout pas uniquement avec des rhétoriques médiatiques enflammées ou des livres à profusion. Il y a des choses qui se règlent d’abord sur le divan.

 

Dans « Le Généraliste » du 6. IV. 2019, il revient sur un document écrit l’automne dernier, et intitulé « Le deuil de la mélancolie », ce qui m’avait fait penser à l’article de Freud Trauer und Melancholie, de 1915. Durant un quart de seconde, je pensais qu’Onfray commentait le texte freudien. C’est à ma deuxième lecture que j’ai bien lu le titre de son document.

 

Il faut dire à Onfray que les mots ne tuent pas, le mauvais usage du bistouri oui. N’exagérons rien. Ils peuvent faire mal à l’ego, mais ils ne tuent pas, j’insiste. Si j’ai bien suivi son affaire, c’est une femme – Audrey Crespo-Mara – qui avait encouragé Onfray à aller voir un autre médecin puisque les précédents étaient passés à côté. Il faut dire que la sensation de mort s’adresse au moi noyé déjà dans la tristesse autour, voire dans la mélancolie en soi.

 

Je suis mille fois d’accord avec Michel Onfray lorsqu’il dit qu’il faut penser la pratique médicale autrement. Lui qui a vécu les ravages de la formation vétérinaire, anglosaxonne de la médecine dans sa chair. Et c’est pour cette raison que je lui demande de réconsidérer son rapport avec la psychanalyse car, la psychanalyse ce ne sont pas les analystes. La médecine ce ne sont pas les médecins. Mais ce n’est pas en qualifiant les praticiens incompétents de « chiens galeux » qu’il fera avancer l’affaire.

 

Le médecin n’a plus le temps de philosopher. C’est fini l’époque des médecins qui fréquentaient les salons, les théâtres, qui lisaient les philosophes grecs et romains dans l’original. C’est en prenant cette donnée en considération, à savoir que le médecin-philosophe est devenu médecin-paperasse, que j’avais mis en place la clinique du partenariat, où le médecin soigne l’organisme malade et adresse dans la foulée, le malade au psychanalyse, pour que ce dernier puisse prendre le relais clinique. Cette opération clinique existe depuis 1991 et est née à l’Hôpital Avicenne (AP-HP).

 

Beaucoup de patients ne vivent pas, d’autres ne vivent pas encore, d’autres ne vivront jamais. Ils sont morts depuis fort longtemps. Ce que fait le psychanalyste c’est mettre son désir sur la table d’opération clinique – avec sa méthode, ses techniques – pour réanimer un désir qui est latent mais voilé par la haine, voire éteint. Les médecins ne sont pas responsables d’une telle situation existentielle. Mais il est vrai, les médecins, les policiers, les politiciens doivent de répondre à la demande avide et de plus en plus urgente de ces non-adultes qui veulent tout : argent, sexe, félicité et santé tout de suite. Sinon, ils vont détruire des réputations et des honneurs, quand ce n’est pas menace de mort sur le royaume de la populace internautique : facebook, instragram et tant d’autres moyens modernes de communication que l’intelligentsia a nommé « réseaux sociaux » et que j’écris « resô sossiaux ». L’ignorance, comme la haine, n’est pas dissociée des attaques dont souffrent les médecins. Il faut faire des propositions et non dénoncer car le sadisme existe chez le médecin, mais surtout chez le patient. Sadisme envers lui-même, son corps, sa vie. Dans la clinique psychanalytique du patient défavorisé, comme de celui qui a de l’argent, le même dénominateur commun : la volonté de faire chier l’autre. J’utilise ce mot dans le sens de Rabelais où parler et déféquer n’étaient pas dissociés.

 

Or, le médecin n’est pas formé à repérer les enjeux inconscients de la souffrance. Son travail est de poser le bon diagnostic et de proposer la bonne thérapeutique. Cependant, il y a des malades qui ne veulent pas guérir. Bien entendu cela n’est pas forcément conscient. Dans la majorité des cas, cette décision logique se passe dans un registre psychique que j’appelle « organisations intramoïques », représentées par la résistance du surmoi et l’Autre non barré. Ce sont ces deux organisations, la première qui fait le moi, donc le patient, agir, et la deuxième qui dicte des injonctions. Ces sont ces organisations que j’appelle la populace intramoïque. Le lecteur remarquera que j’enlève la lecture sociologique ou de lutte des classes du mot pour lui donner une lecture intrapsychique : « Que tu sois médecin ou SDF, gilet jaune ou que tu t’appelles Carlos, tu es ha-bité par cette populace intramoïque qui dicte la manière misérable dont tu mènes ton existence ! ».

 

Les médecins sont formés dans une perspective zoologique car, si j’ose dire, après quinze ans dans un service de médecine interne, je n’ai jamais entendu un pronostic, du type : « Monsieur votre épouse décédera dans trois jours » s’accomplir. Cette identification imaginaire de l’ego du médecin à un Dieu non barré, l’autre définition d’un tyran, a été battue en brèche avec la psychanalyse. Pas étonnant qu’elle ne puisse pas trouver grâce aux yeux de quelques-uns.

 

Personne ne peut faire le deuil d’un vivant, à condition, inconsciemment, de désirer sa mort. Reconnaître ce désir inconscient sera probablement douloureux, voire affreux pour le moi. Mais cette vérité sur ce désir haineux, Onfray, ne tue pas. J’insiste là encore.

 

Il est vrai que « La culture ne fait rien à l’affaire pour construire une belle personne avec un sujet gâché par son enfance. », mais ce n’est pas l’éthique médicale qui réglera l’affaire. En revanche, un médecin qui désire et a le courage de rencontrer le désir qui l’anime à vivre avec la douleur et la mort toute la journée, lorsqu’il vient en psychanalyse, s’étonne de voir que le premier malade à soigner est lui-même. Un médecin en psychanalyse est moins sujet aux oublis de ciseaux à l’intérieur des malades opérés, aux prescriptions en trop ou en moins, et aux paroles blessantes et non tueuses, parce qu’il a un endroit pour parler de la haine qu’il a de lui-même et de l’autre.

 

La médecine de ce siècle, pour revenir à l’humain, devrait, redevenir française, proche de la psychanalyse française et de la philosophie gréco romaine.

 

Dans toute l’interview, le désir inconscient passe entre les lignes. Et pourtant personne fait le pas de le nommer. Et c’est normal parce que les analystes, ceux qui ont vécu une psychanalyse personnelle, ne témoignent pas de l’importance et l’effet de la construction du désir révélé dans leur vie.

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