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De la recherche et du mur


De la recherche et du mur

 

Fernando de Amorim
Paris, le 13 septembre 2023

À M. E. G.
Au Pr M.
À Mme S.

« De fait ces gens-là, quand ils commettent une erreur en pilotant par temps calme, le font sans que l’on s’en aperçoive ; mais quand ils sont pris par une forte tempête et un vent qui fait dériver, désormais il est bien clair aux yeux de tous que c’est par leur ignorance et leur erreur qu’ils ont perdu le navire. »

Hippocrate, L’ancienne médecine

 

Le syndrome de Cotard est un syndrome délirant mis en évidence par le neurologue Jules Cotard en 1880. Il se caractérise par des syndromes mélancoliques. Le psychiatre Emmanuel Régis évoquera un « groupement de symptômes », le psychiatre Jules Séglas écrit une observation détaillée dans les « Archives de neurologie » en 1884 dans laquelle il passera en revue, point par point, ce qu’il nommera « simple groupement de symptômes », faisant preuve d’une rigueur clinique et méthodologique saisissantes. Il s’agissait d’un problème clinique dans les années 1880 qui reviendra à la surface avec, entre autres, la discussion du congrès de Blois en 1892, aujourd’hui encore accessible grâce au compte-rendu de Louis Camuset.

En un mot, l’affaire est complexe car ce syndrome – idées délirantes de négation d’organes, certitude de châtiment sans fin, d’être immortel, de négation de soi, du monde, de damnation – n’est pas reconnu par celles et ceux qui étudient la psychopathologie de manière rigoureuse.

Mais peu importe ! C’est de la recherche, et la recherche, c’est chercher avec le désir de construire une connaissance – à condition que le chercheur ne soit pas interrompu par des préjugés.

 

Aussi avais-je rédigé une requête pour que je puisse faire des présentations cliniques avec des personnes qui ont tenté de se suicider par immolation. Il s’agit d’une piste qui m’a été soufflée à la fois par un patient et par le rapport de Camuset. Voici une réponse d’un chef de service de chirurgie à ma sollicitation :

« Bonjour Monsieur,

Je suis d’accord bien que je reste réservé sur cette hypothèse. Cela ne pourra se faire sans l’accord de notre psychologue Madame S. en copie. Je vous conseille donc de rentrer en contact avec elle.

Cordialement, »

Comment démarrer une recherche s’il y a d’emblée des réserves ? Une hypothèse est un point de départ obscur pour un voyage dont personne ne sait où il mènera. Je pense à Magellan, à Gama et à Colomb. Cela ne signifie pas être irresponsable ou mettre en péril la relation de l’équipe médicale avec le patient. Mais il me semble qu’il faut garder à l’esprit l’ouverture exigée par la science – s’il est encore possible d’évoquer ce mot dans une telle configuration. Telle était ma réflexion immédiate et première après réception de la réponse.

Puis, le pompon sur la Garonne arrive quelques trois heures plus tard dans un second courriel de la même personne :

« Cher Monsieur,

Après en avoir parlé au staff, j’ai le regret de vous informer que nous ne souhaitons pas effectuer cette étude. En effet, d’une part nous ne croyons pas à cette hypothèse et d’autre part, globalement les patients ne pourront pas être revus pour des raisons diverses.

Cordialement,

Pr M. »

En d’autres termes, la discussion retourne à avant Hippocrate – j’écris cela en pensant à son document De l’ancienne médecine. J’aime tout particulièrement ce texte puisqu’il m’a poussé à dégager métaphoriquement toute lecture – jusqu’à présent terrienne – de la psychanalyse pour l’engager vers le milieu aquatique. Or, c’est dans ce texte précisément qu’Hippocrate évoque le bon médecin et le bon pilote [de navire].

 

Comment faire de la recherche avec des réserves ? Des croyances ?

Le Moi empêche l’examen psychanalytique du désir de l’être. C’est regrettable qu’il en soit ainsi mais c’est ainsi.

 

J’irai mendier dans d’autres services la possibilité d’étudier la clinique et d’actualiser le rabâchage de connaissances acquises sur Cotard, sur l’immolation.

Comme je suis en train de corriger mon séminaire, voici sur quoi je suis tombé dimanche : l’interprétation symbolique porte en son cœur l’hypothèse. Voici ce qu’écrit le naturaliste Humboldt : « Une faible lueur se répandra sur l’histoire des peuples barbares, sur ces rochers escarpés qui nous disent que des régions, désertes aujourd’hui, furent jadis peuplées par des races d’hommes plus actifs et plus intelligents. ». Cette hypothèse (qui n’est pas exprimée clairement) penche, ou non, vers une lecture symbolique, c’est-à-dire, travaillée, étudiée, du Réel. Ce qui me pousse à faire cette proposition c’est le fait qu’au milieu du XVIe siècle l’hypothèse, du grec ὑπόθεσις, se traduit par argument. Sans oublier le préfixe « manque » (ὑπό), au cœur de l’hypothèse.

Comment faire de la recherche si, dès le départ, le Moi est « réservé » ou pire s’il « ne croit pas » ? La recherche, surtout clinique, se fait avec désir de savoir, voire volonté de connaissance et non avec des préjugés. Il est frappant de voir qu’un chirurgien soit apte à juger d’un syndrome psychiatrique et que son staff – je suppose que la psychologue est incluse dans sa réponse – soit aussi apte à apporter une réponse quand des cliniciens spécialistes, de Séglas à Lacan, sur une telle question de souffrance psychique se sont arrachés les cheveux pour en saisir la logique.

Si le chirurgien et la psychologue se permettent modestement de donner leur avis sur l’immolation et le syndrome de Cotard, il ne reste qu’au psychanalyste d’aller vendre des popcorns au saucisson sur le marché de Pétaouchnock.

 

Le Manuel clinique de psychanalyse du RPH a été publié avec l’intention de faire naître une collaboration entre médecins, psychistes et psychanalystes. Mon intention est de mettre en évidence la finesse de la clinique médico-chirurgicale et de la psychanalyse française.

Cela ne se fait pas en solo, chacun dans son coin, mais en groupe, en discussion rationnelle.

Sans a priori !


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