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De la psychanalyse didactique et son intime avec le contrôle

De la psychanalyse didactique et son intime avec le contrôle

 

« Une mer calme n’a jamais fait un bon marin »

 

Fernando de Amorim
Paris, le 7 septembre 2022.

 

Pour le Dr. B.

 

Qu’est-ce qu’une psychanalyse didactique ? Et un contrôle ? Ou une supervision ? Des auteurs, ils se reconnaîtront, évoquent, en faisant référence au contrôle en psychanalyse, une « psychanalyse sous contrôle » ; ne s’arrêtant pas là, ils évoquent une « psychanalyse sous supervision » ou bien encore « psychanalyse supervisée ».

 

Cela, me semble-t-il, fait désordre.

 

Celui qui détermine la position du clinicien c’est l’être, l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant. Métaphoriquement, le clinicien dans la position d’objet a, n’a qu’à suivre, obéissant et en silence. Celui qui détermine la position de superviseur ou de contrôleur c’est le clinicien dans la position de supposé-psychanalyste ou de psychanalyste. C’est à celui qui occupe la position de superviseur ou de contrôleur d’être habilité à occuper cette position.

 

Quand le clinicien sollicite le superviseur ou le contrôleur, il apporte sa difficulté à conduire la cure – qu’elle soit une psychothérapie ou bien une psychanalyse – de l’être qui lui rend visite dans l’espace clinique de sa consultation. Si l’être est dans la position de malade – à l’hôpital –, ou de patient – dans l’enceinte de l’institution ou en consultation privée –, le clinicien se trouve dans la position de psychothérapeute ; en conséquence, celui qui écoute ses difficultés cliniques est dans la position de superviseur (Cf. « Cartographie du RPH). En revanche, si l’être est dans la position de psychanalysant mais sans autre prétention que celle de savoir sur le désir de l’Autre non barré, celui qui l’écoute est dans la position de supposé-psychanalyste et celui qui supervise la conduite de la psychanalyse qu’il conduit est dans la position de superviseur. Si l’être est dans la position de psychanalysant avec la prétention de devenir psychanalyste et que celui qui l’écoute a déjà assuré une psychanalyse et donc est dans la position de psychanalyste, celui qui contrôle la conduite de la psychanalyse qu’il conduit, est dans la position de contrôleur.

 

Je ne discute pas le matériel – comme écrivent quelques auteurs – avec les élèves car ces derniers ne sont pas avec l’auteur de ses lignes sur le même plan : les jeunes cliniciens m’apportent la difficulté clinique et j’affine avec eux la direction de la cure. Eux seuls décideront, dans leur clinique, si mes réponses à leurs questions méritent d’être utilisées pour que la cure des psychanalysants dont ils ont la charge, avance.
 
La régularité, je veux dire le nombre de séances de supervisions ou de contrôles, n’est pas évoquée par un certain nombre d’auteurs étudiant la supervision et le contrôle en psychothérapie et en psychanalyse, et cela est regrettable : l’action psychanalytique, je la représente comme une navigation. Sans rythme bien établi, le bateau nommé psychanalyse part à la dérive. Comme jusqu’à présent l’« analyste » – ainsi que les auteurs s’autoproclament – pense en terrien, il n’arrive pas à saisir les nuances de ce qu’est la conduite d’une psychanalyse, psychanalyse que je représente comme un bateau dans un environnement aqueux : rivière, embouchure, océan, accostage, mouillage, « arriver à droit port », comme disaient les marins au XIVe siècle, je me suis vu obligé de transposer la logique psychanalytique en milieu aquatique.
 
Si Freud a établi la libre discussion entre les analystes, cela doit être théorisé davantage car le Moi des analystes a la tendance, tendance moïque, de se croire prêt quand les éléments de son discours prouvent qu’il avance en crabe, voire même en sens opposé. Avancer en crabe concerne le voilier qui, grâce au vent de travers, est dévié de sa route, comme disent les marins.
 
Ce qui pour quelques-uns passe pour un inconvénient d’occuper la position d’analyste et superviseur, pour l’auteur de ses lignes c’est un avantage, à condition que le superviseur occupe la position de psychanalyste et non de mi-psychanalyste, l’autre nom de l’analyste.
 
Tricheur comme il est, le Moi fait son analyse avec A, sa supervision avec B, écoute des séminaires chez C, tout en faisant partie de l’école D. En agissant ainsi, il évite la castration. Pour contrer cette opération d’aliénation, et en suivant les indications de Freud et de Lacan, je préfère proposer au psychanalysant candidat à devenir psychanalyste, d’assurer ses supervisions. C’est seulement quand il entre en psychanalyse qu’il est autorisé à recevoir des patients et à être en supervision. Quant au psychanalyste, je lui propose de continuer ses contrôles et à y mettre un terme une fois que la psychanalyse qu’il assure est prouvée par une sortie, ce qui installera le psychanalysant dans la position de sujet, et par le témoignage écrit, sous forme de livre, de ladite sortie.
 

Rappel : la passe interne fait référence au moment où l’être, ayant la prétention de devenir psychanalyste, témoigne de la sortie de sa propre psychanalyse devant les membres de l’école. La passe externe concerne la première sortie de psychanalyse d’un psychanalysant, et se déroule devant les membres de l’école et des invités (psychanalystes d’autres écoles) ; si cette sortie s’avère être vraie et non fausse, alors qu’il était dans la position de supposé-psychanalyste, il devient psychanalyste effectivement puisque le psychanalysant qu’il écoutait est devenu sujet.

 

 

C’est ici que commence le contrôle pour le tout nouveau psychanalyste car il présentera à son tour la conduite de la cure des psychanalysants qui désirent devenir psychanalystes à leur tour.

 

La psychanalyse personnelle concerne le désir de savoir, la psychanalyse didactique concerne le désir de connaissance sur l’inconscient, ses formations ainsi que le système topique, les processus économique et dynamique de l’appareil psychique, connaissances indispensables pour conduire des cures pour ainsi savoir à quel moment lever la séance, comment interpréter un rêve, la manière d’examiner un symptôme, s’il faut répondre ou non à une demande, distinguer le discours du Moi du discours de l’Autre barré.

 

Dans les psychanalyses citées plus haut, la rigueur méthodologique et technique est la même, mais cela est de la responsabilité de celui qui a la charge de les conduire. Le désir de connaissance porte le contrôle et ce dernier vise une théorisation de la clinique propre à ce psychanalyste, de là l’importance du mot style. La psychanalyse didactique et les contrôles s’entrelacent mais ne se confondent pas. Le psychanalyste dans la position de contrôleur ne laisse pas le Moi du psychanalyste en séance de psychanalyse didactique prendre le pouvoir en ne respectant pas la règle fondamentale ou en commentant, sur le divan, un psychanalysant dont il a la charge d’assurer la conduite de la cure. Ici les séances lacaniennes, comme je les nomme, en hommage à son créateur, prennent tout leur sens. Le psychanalyste se doit d'être éveillé à toute volonté de contrôle du Moi pendant les séances de psychanalyse didactique.

 

Le contrôle est un examen hebdomadaire de la manière dont le psychanalyste conduit ses psychanalyses, pas ses supervisions car, s’il sait conduire des psychanalyses il n’a plus besoin des supervisions. Le psychanalyste enseigne au contrôleur ce qu’est, pour lui, le psychanalyste, la psychanalyse à partir de sa théorisation, de son expérience clinique et surtout à partir de son style. De là l’importance fondamentale du témoignage écrit. J’y reviendrai.

 

Mais avant, un peu d’histoire : la psychanalyse didactique est le résultat d’une évolution de la pensée de Freud. Dans un premier temps, étudier ses propres rêves pouvait justifier que le médecin puisse occuper la place de psychanalyste : « Quand on me demande comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves » (OC, X, 30) « durch das Studium seiner eigenen Träume. » (GW, VIII, 32). Ensuite, il remarquera que cela n’est pas suffisant. Nous sommes, lecteur, en 1910. Il exige, réclame (OC, X, 67) – « forderung zu erheben » – GW, VIII, 108), que le clinicien commence une « analyse et qu’il ne cesse jamais » – « das er seine Tätigkeit mit einer Selbstanalyse beginne, und diese, während er seine Erfahrungen an Kranken macht, fortlaufend vertiefe » GW, X, 108), ou « qu’il commence son activité par une auto-analyse et l’approfondit continuellement tout en faisant ses expériences avec les patients » (GW, VIII, 108). La traduction d’Anne Berman, dans la bibliothèque de psychanalyse, dirigée par Jean Laplanche est « C’est pourquoi nous exigeons qu’il commence par subir une analyse et qu’il ne cesse jamais, même lorsqu’il applique lui-même des traitements à autrui. » (La technique psychanalytique, 27). Le lecteur remarquera que, d’après les traductions à partir des avancées du Freud de l’époque, il fallait que je me positionne. J’ai choisi donc la voie bermanienne : la psychanalyse du psychanalyste ne s’arrête jamais, c’est-à-dire, pendant qu’il recevra des patients, il occupera lui-même la position de psychanalysant. Et cela parce que son Moi est une instance indigne de confiance : dès qu’il le peut, le Moi triche, et la triche est incompatible avec la naissance de la position de sujet et avec la construction du désir d’exister.

 

Le Moi du psychanalyste contamine de son imaginaire, toujours, le champ opératoire de l’être, le tout avec le consentement de ce dernier. Une psychanalyse didactique se doit d’avoir la même exigence de la première psychanalyse du psychanalyste, à savoir, sa psychanalyse personnelle. Le lecteur doit avoir à l’esprit que la psychanalyse sera inévitablement contaminée par le Moi : Moi du psychanalysant et désormais par le Moi du psychanalysant devenu psychanalyste. Tout mon travail de psychanalyste est de dégager le Moi du psychanalyste pendant ses séances de psychanalyse didactique pour que, au moment du contrôle, il théorise avec le minimum d’empêtrement imaginaire et puisse ainsi m’apprendre ce qu’il fait de la psychanalyse, c’est-à-dire, sa manière de conduire des psychanalyses. Il transmet au contrôleur dans un premier temps, ensuite il transmettra, avec son style, la psychanalyse à un groupe plus élargi.

 

Freud exigera donc, des garanties – d’être en psychanalyse personnelle – aux cliniciens. Des garanties qui ne sont pas exigées des patients. Quand un supposé-psychanalyste en supervision ou un psychanalyste en contrôle se plaint des résistances du malade ou du patient, je me précipite pour lui rappeler que l’être, indépendamment de sa position subjective, a le droit de résister. C’est le psychanalyste qui a perdu ce droit à la résistance moïque. Dans la position de clinicien, c’est au psychanalyste de construire des stratégies pour dénouer la résistance du psychanalysant qu’il a sur son divan et apporter au contrôleur le fruit de son ingéniosité clinique pour l’examen.

 

Rappel : le lecteur reconnaîtra que la psychanalyse du psychanalyste ne pourra pas aller jusqu’au bout, jusqu’au fond, comme l’exigent quelques auteurs. Cependant, je défends l’idée

– freudienne – d’une psychanalyse sans fin pour le psychanalyste parce que je ne fais aucune confiance à son Moi. Le Moi est capable d’accoucher de formules à cinq pattes, comme « analyste en formation » alors que lorsque quelqu’un est en formation il n’est pas analyste, ou du moins, peut-être est-il analyste mais certainement pas psychanalyste. Cette formule orgueilleuse voile la présence du Moi. Il s’agit d’un candidat qui vise à devenir psychanalyste. Mais il ne sait rien sur le résultat de l’opération. Un étudiant en médecine n’est pas un médecin en formation, c’est un étudiant. Pour quelle raison donc une telle formule pour les psychanalystes ?

 

Tout simplement elle voile la vanité : Vanitas vanitatum, et omnia vanitas.

 

Au moment où il devient psychanalyste, son contrôle devient le moment où, grâce à sa psychanalyse didactique, il construit et affine sa manière propre d’opérer dans la conduite des cures, qu’il s’agisse de psychothérapies ou de psychanalyses. Le contrôle vise à faire en sorte que le psychanalyste théorise son style.

 

Normalement le résultat du contrôle est – de manière spontanée, tel un fruit qui tombe quand il est mûr –, un document écrit, un livre, où il défendra sa manière de pratiquer la psychanalyse et ainsi pérenniser la transmission de cette dernière.

 

Des institutions, emportées dans une logique bureaucratique de l’inconscient, stipulent que deux ans est le temps de durée des contrôles. Je ne partage pas celle logique. Ce sont les dires du psychanalysant qui rend visite au psychanalyste que je reçois en contrôle qui me guident et non l’idéologie des groupes analytiques et pas davantage leur localisation géographique : l’ossature signifiante de l’Œdipe est unique et se trouve chez n’importe quel être parlant dans le monde. Le signifiant et seulement le signifiant, exprimé par l’enclos des dents comme l’écrit Homère et donc venu de l’Autre barré, indique au contrôleur où se trouve le psychanalyste dans son style à conduire des cures.

 

Une fois le document publié, le psychanalyste ne vient plus en contrôle, sauf en situation exceptionnelle ou si, pendant la psychanalyse didactique, le psychanalyste propose au psychanalyste sur le divan, donc dans la position de psychanalysant, une séance de contrôle pour une conversation où le psychanalyste qui l’écoute pourra avoir la parole libre à opérer en tant que contrôleur car, dans la position de supposé-psychanalyste, il est le semblant du rien, et le rien ne parle pas. Il n’est que rien.

 

Une psychanalyse personnelle est donc un désir de savoir, une psychanalyse didactique est une psychanalyse propre aux psychanalystes ayant comme intention de protéger les psychanalysants et la psychanalyse de leurs Moi, Moi toujours prêt à s’aliéner. Le contrôle, propre au psychanalyste récemment admis dans cette position, vise à théoriser sa clinique. Cette articulation subjective entre théorie et clinique, où le psychanalyste met sa peau sur la table, comme l’avait écrit Céline, pousse le clinicien à entrer en action – πραξις – définitivement, et sans ambages, en tant que psychanalyste.

 

Dans ma brève du 28 juillet 2011, j’avais écrit ce qui suit : « Ainsi, la psychanalyse didactique est à situer non dans la psychanalyse du psychanalysant, mais dans la psychanalyse que le psychanalysant assure avec son psychanalysant, celui-là même qui l’a placé dans la position de supposé-psychanalyste. ». Cette position est propre au psychanalysant qui demande une supervision. La psychanalyse didactique est la psychanalyse que le psychanalyste, dans la position de psychanalysant, assure pour protéger la psychanalyse et le psychanalysant de son Moi. Le contrôle c’est l’enseignement clinique qu’il, le psychanalyste, apporte au contrôleur de sa manière de conduire les psychanalyses dont il a la charge et le devoir d’amener à leurs

destinations structurelles, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une névrose, d’une psychose ou d’une perversion.

 

Rappel : un psychanalyste sera toujours dans la position de supposé-psychanalyste quand l’être sera sur son divan, mais pour l’institution psychanalytique et pour la société, contrairement à celui qui n’a pas encore assuré une sortie de psychanalyse, il est dans la position de psychanalyste. Le contrôle a la fonction de le préparer à assurer des supervisions, et par la suite des contrôles. La psychanalyse didactique, du psychanalyste, et son contrôle sont entrelacés. La psychanalyse didactique est la psychanalyse du psychanalyste, le contrôle est l’examen par le contrôleur du style et de la conduite des psychanalyses des psychanalysants qui viennent rendre visite au psychanalyste en question.

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