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De la distinction entre l’être et le Moi

De la distinction entre l’être et le Moi

Fernando de Amorim
Paris, le 4 décembre 2023

 

La distinction entre l’être et le Moi se trouve dans le discours. Il faut entendre discours ici au sens qui était le sien au début du XIVe siècle, à savoir, celui d’une annonce, d’une narration. Ce récit peut être oral, sens qui a été conservé jusqu’à nos jours, et écrit. L’écrit ici peut être un écrit sur ou dans le corps, sous forme de symptôme corporel, voire d’une maladie organique. La libido venue du Ça circule, s’écrit sur ou dans le corps et le Moi ne sait pas la déchiffrer. C’était le cas avec les expressions corporelles des hystériques pour lesquelles Charcot ne savait pas très bien où donner de la tête. Freud a su déchiffrer, dans la peine, avec la maladresse des pionniers : peu importe. Il est mon Champollion.

 

L’être est ce qui anime l’organisme. Un organisme sans l’être est un mort-né. Ce qui anime l’être c’est le désir. Ce désir est propre à la génitrice. La contribution du géniteur est physiologique. Cette contribution physiologique (donc du champ du Réel) deviendra symbolique quand la génitrice désirera devenir mère et validera la présence du géniteur dans la relation établie entre la génitrice et le fœtus. Quand l’être naît, la génitrice s’autoproclame ou est proclamée par l’Autre comme occupant la position de mère. À vrai dire personne ne sait si tel est son désir. Le géniteur sera confronté à la même situation plus tard. Celle qui reconnaît la génitrice comme mère c’est la mère elle-même, celui qui reconnaît le géniteur comme père c’est l’enfant.

L’être ne se reconnaît pas lui-même. Pour que cette reconnaissance se mette en place, il faut inventer une instance pour établir des relations entre l’être et le monde. Cette instance est le Moi. C’est l’être qui inventera le Moi à partir des bribes de sensations, perceptions et expressions offertes par les êtres qui entourent l’être nouveau-né ; à savoir, la mère, le père ou quelqu’un ayant la charge (pas forcément la responsabilité) de prendre soin de la vie de l’être récemment venu parmi nous.

Le discours de l’être, sa parole, son corps, témoigne qu’il est engagé avec le Moi ou qu’il est engagé avec l’Autre barré.

 

L’être et le Moi sont inséparables. Cette distinction entre l’être et le Moi est une dissection qui a une fonction pédagogique. Au quotidien, l’être s’exprime par le Moi ou l’être s’exprime par l’Autre barré. Dans le premier cas, l’être est aliéné quand il s’exprime de manière maladroite, donc fausse, quand il parle ; dans le deuxième cas, il est vrai dans le désir qu’il exprime par son corps, ou qu’il parle.

Cliniquement, quand l’être parle par la bouche du Moi, le discours est plat, insignifiant, trompeur. Puis, il y a un lapsus. Cette formation de l’inconscient structuré comme un langage, est la preuve que l’être parle vrai, donc qu’il a pris la voie de l’Autre barré pour dire. Cette parole ne sort pas de la bouche du Moi, mais par l’enclos des dents, pour reprendre la formule homérienne.

Le Moi est une instance d’aliénation inventée par l’être pour assumer ce que ce dernier ne fait pas, à savoir, la relation à l’autre, le rapport avec le Réel. L’être dans un premier temps est caché sous les jupes du Moi, instance à qui il a confié les clés de la maison (l’appareil psychique) pour ainsi ne pas construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.

 

Le désir de s’approcher de l’Autre barré n’est pas poussé par un quelconque intérêt. Celui qui a de l’intérêt c’est le Moi. Le Moi est un intéressé. L’être en se dirigeant vers l’Autre barré, s’engage à se faire castrer. L’être a tout pour être désirant. C’est par choix que l’être se pousse à devenir sujet.

Si la castration est vécue par le Moi comme une perte de l’objet, ce qu’il expérimente comme un vide, la castration est vécue par l’être comme un manque, un manque parce que l’objet n’a jamais été là. C’est pour cette raison que le rien est l’objet par excellence de la condition de l’être humain. C’est à partir du rien qu’il peut, si tel est son désir, devenir sujet.

 

Objet

Locus

Castration vécue

par le Moi

Perte

Vide

Castration vécue par l’être

Manque

rien

Le Moi manœuvre, fait des manigances et des commérages pour ne pas perdre, quand il y a perte, il n’y a pas manque puisque la perte a été élaborée par le Moi et non par un désir de l’être.

S’approcher de l’Autre barré signifie que l’être choisit – il ne décide pas – de se faire castrer. C’est castré de l’objet et avec cette sensation de rien dans la bouche, que l’être s’approche de l’Autre. Il s’approche castré et sans rien puisqu’il est dans le manque. L’Autre barré sera le locus où il pourra se restaurer – au sens culinaire – en signifiants et ainsi, quand il adressera la parole, il sera possible de saisir le vrai de son discours.

Le lecteur pourra argumenter : « Il y a des gens qui sont d’excellents orateurs. Depuis la majestueuse triade grecque, Socrate, Platon Aristote, est mis en évidence le discours des bons hâbleurs. Comment faire la distinction ? »

Je vise ici l’être dans son rapport à l’Autre barré. Si l’être ment à l’autre c’est son affaire. Si je rentre dans cette discussion, je serais aspiré par le discours moralisateur et donc je quitterais ma position de psychanalyste.

La parole vraie est donc celle qui sort par l’enclos des dents, les paroles fausses sont celles qui visent à se tromper ou tromper l’autre. Ce sont des paroles qui sortent par la bouche du Moi.

L’association libre matérialise la castration car, entre deux signifiants, il n’y a rien. Ce manque indique à celui qui parle qu’il est castré. S’il continue à parler c’est parce qu’il accepte d’être manquant.

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