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De la différence entre règle et loi

De la différence entre règle et loi

Réponse au Moi méchant à propos de la scientificité de la psychanalyse

Fernando de Amorim
Paris, le 4 novembre 2022

Le but de l’étude scientifique et ses objectifs globaux depuis la Renaissance c’est obtenir une formule mathématique pour définir un phénomène. Cela peut être exigé pour l’étude des objets sans vie. Exiger le même procédé de la clinique de l’organisme vivant et traversé par le désir de l’Autre (A), comme c’est le cas de l’être parlant, est une absurdité épistémologique.

Aristote voulait comprendre la nature et le changement des choses. Il est possible de savoir sur ce qui change, toujours selon Aristote, à partir des règles.

Une règle c’est un procédé qui a comme objectif d’obtenir un résultat. Galilée, Kepler, Pascal, Newton, avaient cette visée. Avec la règle d’association libre, Freud, inspiré par les psychanalysantes, avait institué ce procédé avec l’intention, c’est mon interprétation, que le bateau de la cure, arrive à bon port, selon la structure en jeu, à savoir, névrose, psychose, perversion. De même avec la règle d’abstinence. J’ai l’habitude de dire que, moins le clinicien parle, mieux c’est. Il est possible de décliner aussi : « mieux sait » au sens où le clinicien mieux il saura sur le désir qui l’anime – du latin anima – en tant qu’être, mieux il se comportera en tant que psychanalyste, en tant qu’objet rien. Si le clinicien accepte de disparaître de la scène, l’être dans la position de malade pourra devenir patient, psychanalysant, sujet. Cela sera possible aussi si et surtout, à son tour, le Moi accepte de se dégonfler car, sans l’accord du Moi, telle est sa puissance, l’être ne pourra pas exister.

Si le Moi n’accepte pas de se dégonfler, et donc de perdre le symptôme et de ne pas changer ce dernier par des jouissances substitutives, l’être ne pourra pas être castré et la psychanalyse ne portera pas les effets dont elle est capable, comme un bateau qui ne peut pas naviguer en l’absence de pilote – au sens hippocratique – et d’équipage. Il n’est pas question de sexualité en psychanalyse, mais de nudité, au sens le plus métaphorique qui soit : c’est dépouillé de toutes ses étoffes moïques que l’être associe librement. S’il ne respecte pas cette règle, il n’y aura pas de psychanalyse. Dans le meilleur des cas une analyse, dans le pire des cas une thérapie analytique.

Une règle où tous les examinateurs aboutissent à un résultat identique est possible en physique, en biologie, mais non en psychanalyse. En physique l’objet d’étude n’est ni vivant ni mort, en biologie l’objet d’étude n’a pas de conscience, surtout pas d’inconscient structuré comme un langage. En psychanalyse, il est impossible de trouver un être humain qui se nomme Pierre qui soit né dans la même planète terre, dans le même pays, la même région, dans le même département, dans la même ville, dans la même maternité, ayant comme parent Augustin et Justine, né du ventre de la même mère (logique spatiale), au même instant (10h30), qu’un autre prénommé Pierre qui vient de naître (logique temporelle).

Cette radicalité de la condition de l’être Pierre, rend impossible toute tentative de rendre la psychanalyse scientifique selon les critères propres et légitimes à la physique et à la biologie. Si les détracteurs de la psychanalyse scientifique ne veulent pas être associés au brigand de l’Attique Προκρούστης par l’auteur de ces lignes, il faut qu’ils envisagent d’accepter mon effort de rendre la psychanalyse scientifique à partir des critères propres à la psychanalyse.

Cela n’est pas un caprice du psychanalyste mais l’exigence de l’objet avec lequel ce dernier a affaire, à savoir, l’être désirant. Procuste en grec veut dire le très nuisible, celui qui martèle pour allonger, le dompteur. C’est ainsi que je considère déjà le Moi de ceux qui, cerbères de leurs organisations intramoïques, parlent de la psychanalyse sans avoir la curiosité de savoir sur leur désir.

Une règle en science des objets sans désir (astre, pierre) et sans vie désirante (virus, souris), ne peut pas être transposée à la science de l’être qui parle, qui est parlé, qui pleure et sourit, qui aime et qui triche, qui boude et qui se venge des décennies après avoir été humilié par le Moi de ses parents.

Si en cas de fièvre, la température corporelle augmente – augmentation supplémentaire de la température du corps – d’environ huit à dix battements par minute, selon Karl von Liebermeister, en psychanalyse, il est possible de constater l’augmentation de la fréquence cardiaque sans fièvre, et cela juste parce que l’image de son violeur ou une peur infantile traverse le Moi pendant qu’il associe librement sur le fauteuil. De même, il est possible de constater l’apparition de fièvre du fait de l’évocation du viol ou d’une peur vécue dans l’enfance du psychanalysant. La médecine sans la psychanalyse deviendra une pratique vétérinaire de la clinique de l’homme, la psychanalyse sans la médecine, deviendra une vulgaire psychologie.

La règle en psychanalyse est une carte maritime qui oriente, grâce à un discours dit librement par le psychanalysant, le clinicien dans la conduite de la cure, indépendamment que cette dernière soit fluviale, comme dans le cas de la psychothérapie conduite par un psychanalyste dans la position de psychothérapeute ; soit une psychanalyse conduite par un supposé-psychanalyste ou un psychanalyste dans la position de supposé-psychanalyste. La règle en psychanalyse est une prescription, telle une carte maritime, construite grâce à l’usage depuis Freud et les psychanalysantes. Cette carte a été dessinée à partir de l’expérience. Freud est notre Ptolémée qui, vers 150 ap. J.-C., propose des cartes générales qui fournissent le nom des fleuves. Il est aussi notre Gabriel de Vallseca qui, avec sa carte de 1439, dessine les découvertes les plus récentes des hommes du terrain, à savoir, les capitaines du portugais Infant Don Henri. Ce sont les premiers à dessiner les premiers portulans qui ont orientés les premiers navigateurs, et ce sont ces derniers qui ont apportés, à leur tour, les précisions nécessaires pour affiner le dessin des cartes suivantes pour qu’ainsi, la navigation puisse devenir plus fluide.

Ce ne sont pas les psychologues, universitaires ou psychiatres qui pourront dessiner ce qu’est la navigation sur les eaux de l’océan Inconscient puisqu’ils ne quittent jamais la chaleur de leur cabinet. Ce sont les psychanalystes du RPH qui indiquent par où il faut naviguer, où se trouvent les écueils, banc de sable, les roches ou coraux ainsi que les haut-fond ou relief sous l’eau ou hors de l’eau capables de faire échouer le transfert, produire l’abandon de la cure voire les passages à l’actes suicidaires ou meurtriers. De là l’importance de respecter la règle de l’association libre, se conformer à cette règle en toute circonstance, tout en improvisant quand la situation d’urgence se présente. Pour cette raison, la psychanalyse du psychanalyste est sans fin, pour cela j’avais instauré des supervisions individuelles et de groupe hebdomadaire de supervision, ainsi que des supervisions d’urgence. En dessous de ces exigences, je ne pense pas qu’il soit possible de parler de psychanalyse, de formation psychanalytique, de psychanalyste.

Est-ce une loi, ou des lois dictées par mon Moi démesuré ? Pas du tout. Il s’agit de procédés qui répondent à des exigences cliniques. La plus évidente est que, depuis 1981, aucun cas de suicide n’est à déplorer dans ma clinique ou dans celle de mes élèves depuis 1991.

Une loi est une règle générale impérative qui, dès le début du XVIIIe siècle, s’impose de l’extérieur. Je propose à des jeunes cliniciens un enseignement – issu de mes observations, répétitions, expérimentations (expérimentations dans lesquelles je suis sur le bateau avec le souffrant et non sur la falaise à lui prodiguer de savants conseils), ainsi que les résultats psychanalytiques – de faire clinique. Ceux qui ne souhaitent pas respecter ces indications, quittent l’école, avec mon accord et mes remerciements. Suis-je dans une position d’autorité souveraine ? Non, l’autorité souveraine est l’Autre, et il est barré, pour cette raison que son cœur est transpercé par une barre (Ⱥ). En d’autres termes, il n’y a pas de maître en clinique, mais des aristotéliciens, des gens de désir.

La règle que je mets en évidence avec la « Carte des trois structures » vise à indiquer que la structure névrose à laquelle l’être est attaché structurellement, amène la conduite de la cure, et cela est la responsabilité du clinicien, vers un continent. Dans le cas de la structure psychose, le bateau de la cure doit accoster dans une île. De même pour la perversion. Dans ce dernier cas, la sortie de psychanalyse est repérable par la construction d’un bon mouillage.

La cause de la névrose, puisque la science se caractérise par la découverte de la cause des phénomènes, ainsi que de la cause de la psychose et de la perversion, est une interprétation de l’être sur le divan et poinçonnée à la sortie de la psychanalyse, quand le psychanalysant devient sujet. Cette interprétation, je lui donne le statut d’interprétation symbolique.

La cause de ma névrose était une scène où j’avais vu ma mère embrasser un voisin sur mon lit. Ils ne m’ont pas vu. Comme ils ne m’ont pas vu, je suis retourné sur mes pas et je me suis mis à jeter des pierres sur le toit de la maison. J’avais moins de dix ans.

L’interprétation symbolique apporte un apaisement à l’être. Elle apporte apaisement et peut être dite de manière dépourvue d’affectation ou d’affect. Il m’a fallu plus de quinze ans pour écrire ce témoignage sans émotion. Ma mère était jeune, le voisin était beau, mon père n’était plus à son poste et donc ma mère, comme toutes les femmes, avait besoin de sexe et d’amour.

L’interprétation imaginaire est propre au Moi. Elle est fondatrice des idéologies religieuses, politiques et personnelles, comme les idées portées par les gourous et agglutinées au tour de lui par le Moi de ses suiveurs.

La cause du phénomère – mon lapsus calami –, du phénomène corporel qui était le mien, à savoir, ma vision est devenue embrouillée – embrouillée mais pas jusqu’à l’aveuglement par culpabilité – du fait de la vision de cet homme sur mon lit avec ma mère qui se penchait sur lui pour l’embrasser. Jusqu’à présent, j’avais défendu l’idée que ma déficience visuelle à cette époque était due à mon identification à un voisin plus âgé qui portait des lunettes.

La position de sujet, position scientifique, est donc d’interpréter symboliquement sa vie jusqu’à sa mort, c’est être scientifique, donc d’étudier le désir, le désir de l’Autre, ayant comme instrument, comme microscope, comme télescope, le désir de l’Autre barré.

La psychanalyse est scientifique si la cause du phénomène symptomatique qui fait l’être souffrir est interprétée symboliquement par ce dernier. Pour cela, il doit respecter la règle d’association libre et suivre la loi structurelle, sa structure freudienne – névrose, psychose, perversion –, qui lui permet de lire le Réel. Après une psychanalyse, l’être ne souffre plus de son symptôme, il sera toujours accroché à sa structure freudienne, mais la libido qui nourrissait le symptôme et qui faisait souffrir l’être et accablait le Moi sert, maintenant, à nourrir la Durcharbeitung.

Exiger que la psychanalyse explique la cause du phénomène qui fait l’être souffrir de l’extérieur, est une interprétation imaginaire. Il faut donc accompagner la gestation – la psychanalyse proprement dite – et l’accouchement du sujet, son accouchement ayant la passe lacanienne comme reconnaissance, pour que ce dernier, le sujet, puisse dire la cause du phénomène qui le faisait souffrir. C’est lui, le sujet, j’insiste, le sujet et lui seul, avec son interprétation symbolique, qui pourra interpréter le symptôme qui le faisait souffrir et l’empêchait d’exister.


C’est cette démarche de construction de son existence, donc à la sortie de sa psychanalyse, qui apportera la preuve, ou non, de la scientificité de la psychanalyse.

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