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De la différence entre la résistance du Surmoi et le masochisme moral freudien


De la différence entre la résistance du Surmoi
et le masochisme moral freudien
 
Fernando de Amorim
Paris, le 13 novembre 2021
 
Au Docteur J.
 
 
Introduction
 
Ce texte est une proposition de rectification d’un concept freudien.
Faire science ne signifie pas répéter ce qui a été dit mais examiner les concepts en les actualisant, autrement dit : en les mettant à l’épreuve de la clinique. Les concepts sont des balises nécessaires pour la conduite de la cure, qu’elle soit une psychothérapie ou une psychanalyse.
 
 
Masochisme moral et résistance du Surmoi
 
Le masochisme moral est apparu sous la plume de Freud en 1924, dans son article « Le problème économique du masochisme ». Le masochisme moral est un dérivatif de la relation que le Moi avait avec les organisations intramoïques parentales. S’attarder sur ce trait de jouissance ne fait pas avancer la conduite de la cure, en revanche, inventer un dispositif pour le dénouer ressort de la compétence du clinicien. Les Moi, pris dans le masochisme moral, « éveillent par leur conduite – dans la cure et dans la vie – l’impression d’être démesurément inhibés par la morale… » (OC, XVII, 21). Ce que Freud appelle la morale, n’est plus.
 
La morale est du champ du Surmoi symbolique et, dans la description de Freud, elle fait référence aux effets qu’ont les organisations intramoïques, à savoir, l’Autre non barré et la résistance du Surmoi, sur le Moi du pauvre diable (https://www.fernandodeamorim.com/details-la+loi+des+obtus+et+le+courageux+serviteur+de+la+loi-441.html).
 
Le Surmoi est une instance de protection du Moi aliéné. Il n’est pas la figure féroce, cruelle, obscène de Kant, Freud ou Lacan. Le « sur-moi » n’est pas sadique (Ibid.), il est inefficace car toute la libido originaire du Ça et qui devrait passer par lui, passe directement vers les organisations intramoïques. Le Surmoi dans ce cas de figure, je le représente comme un ruisseau libidinal, quand les organisations intramoïques sont en crue, en permanence. L’autre nom de la noyade en permanence pour le Moi.
 
La résistance du Surmoi, est apparue dans le « Suppléments » de « Inhibition, symptôme et angoisse » de 1925, avec cette description, à mes yeux, saisissante : « La cinquième résistance, celle du sur-moi, celle qui a été reconnue la dernière, la plus obscure, mais pas toujours la plus faible, semble être issue de la conscience de culpabilité ou du besoin de punition ; elle s’oppose à tout succès et en conséquence aussi à la guérison par l’analyse. » (Freud, OC, XVII, 274).
 
Comme je fais confiance à Freud, pour sa rigueur scientifique et son éthique, je suis parti du principe qu’il y avait là de quoi creuser pour trouver ma truffe.
 
Dans l’« Au-delà », il est possible de lire un Freud qui fait des hypothèses, « dans l’attente qu’elle puisse être exactement réfutée. » (OC, XV, 316). De toute évidence la critique de K. Popper n’a pas prêté attention à l’exigence et à la rigueur de l’homme de laboratoire, de clinique et de science qu’était Freud. Et que, de toute évidence, Popper n’était pas. L’épistémologue arrive à la fin de la bataille pour compter les morts. C’est aussi un métier honorable.
 
 
Freud le darwinien
 
Il est possible aussi de vérifier l’effort qui est le sien, en se tournant « vers la science biologique » (OC, XV, 317), pour transformer ce qu’il appelle humblement « cette croyance à l’épreuve » (Ibid). Comment l’homme qui affirme tout simplement que « La biologie est en vérité un royaume aux possibilités illimitées » (OC, XV, 334), peut-il être exclu du discours des biologistes et neuroscientifiques d’aujourd’hui ? Tout simplement parce que ce n’est pas le désir de savoir qui les guide mais la puissance idéologique du Moi fort. Ces possibilités illimitées au service du Moi du scientifique, comme si l’ADN était le livre de vie ou que le séquençage du virus VIH était suffisant pour comprendre le SIDA, ne rendent pas service à l’être parlant.
 
Pour saisir le masochisme moral, il faut quitter ce registre fallacieux du plaisir pris dans la souffrance, l’humiliation ou comme « norme du comportement de vie » (OC, XVII, 13). Si le Moi, à entendre ici le patient, dit qu’il tire du plaisir de sa souffrance morale, ou il est aliéné, ce qui est propre au Moi, ou il ment. La preuve c’est qu’à chaque fois que j’examine ce qui lui fait plaisir en relation aux situations de répétitions (insultes publiques, châtiments corporels ou l’intervention du dentiste dans l’extraction d’une dent que le patient a souhaité endurer sans recourir à l’anesthésie), le patient répond que ce n’était pas du même ordre. Je pousse alors l’examen : le plaisir de rencontrer votre nièce, de dîner chez votre ami était-il du champ du plaisir ? Oui. Les recherches d’humiliations, des déconvenues, étaient du même registres Non. Elles étaient déplaisantes. Et quelques-uns d’ajouter : « Mais c’est plus fort que moi ! ».
 
Cet examen clinique m’a été soufflé par Freud quand il évoque « le vrai masochiste » (OC, XVII, 17). À partir de ce constat, le clinicien sait qu’il s’agit d’un Moi qui subit les effets de la résistance du Surmoi. Freud avait associé ces expressions au sentiment de culpabilité, voire au besoin de punition.
 
 
Sentiment de culpabilité inconscient et besoin de punition
 
Il est vrai qu’il avait oscillé entre sentiment de culpabilité inconscient et besoin de punition. Je pense que son intuition était la bonne, il lui a manqué l’éclairage lacanien pour l’affinage : le sentiment indique que le Moi souffre de la pression de l’Autre non barré sur lui. Dans le besoin, la libido n’est pas symbolisée, elle passe de la résistance du Surmoi directement sur le Moi, sous forme d’acte, de manière brutale, organique, vers la mort, comme chez le mélancolique, le schizophrène et les accidentés de tous les jours qui arrivent à l’hôpital. Dès qu’un psychanalyste s’habitue à travailler en médecine, ou avec des médecins, dans ce que j’appelle la clinique du partenariat, il est favorablement étonné que, en examinant les pensées qui ont précédées l’accident, il y a très fréquemment l’abandon par le Moi, de la vie. Le clinicien ne sera pas déçu. Dans ce sens, il faut changer la notion d’accident – domestique, du travail –, mot qui désengage le Moi de ses actes et déresponsabilise l’être de ses actions.
 
Si en médecine l’accident peut venir de manière inattendue et mettre la vie en danger, en droit, il peut s’agit d’un fait involontaire qui cause un dommage à une personne ou à un objet, par négligence. Le psychanalyste visera, dans la clinique, à mettre en évidence la haine qui nourrit le Moi, cerbère des organisations intramoïques, à des fins œdipiennes et surtout de lâcheté existentielle.
 
Quand la cure avance, le Moi est capable de reconnaître, et c’est une avancée : « Je (le Moi) ne mérite que ça ! », ou « c’est cela que je mérite ! ».
 
Quant aux interprétations, « entrer dans une relation sexuelle passive (féminine) » avec le père (OC, XVII, 21), aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de précipiter l’interprétation. Elle tombera le moment venu, si la cure est bien conduite, et sans surprise du Réel, comme un fruit mûr.
 
Dans le masochisme moral, la morale n’est pas, « à nouveau sexualisée » (Ibid.), elle est utilisée, comme n’importe quel instrument à porter de main, pour châtier le Moi, avec son consentement. Si le clinicien part du principe que le Moi n’y est pour rien, il n’y aura plus de clinique. C’est la différence radicale entre la clinique du psychanalyste et les autres pratiques (médicales, chirurgicales, psychiatriques, psychologiques).
 
Il faut mettre en évidence que, lorsque Freud accentue la « répression pulsionnelle » (OC, XVII, 22), il parle en humaniste et non en clinicien. L’être, pris dans les filets de la tyrannie sociétale, religieuse, familiale, qui se plaint, jouit. Il, l’être, a laissé au Moi, et donc aux organisations intramoïques, la conduite de sa vie à l’autre. Ce choix est riche de conséquences. La première c’est le renforcement de l’aliénation. Une dame, arabe, m’avait dit : « Ces arabes se comportent comme des voyous en France. Ils n’oseraient pas faire cela au pays. ». La deuxième c’est l’exacerbation de l’agressivité, voire de la violence. Sans castration, les pulsions se déchaînent.
 
En fin de compte, indépendamment du lieu de naissance, ce qui est en jeu pour l’être c’est de se décider à construire son existence ou bien de continuer à vivoter, survivre, vivre.
 
Normalement, il ne choisit rien, en attendant passe le temps. Puis : Sit tibi terra levis.
 
Enfin il est mort.
 
 
Conclusion
 
La différence entre la résistance du Surmoi et le masochisme moral est que ceci est un effet de manche du Moi pour tromper la galerie, pour attirer de la peine, de la reconnaissance, de l’amour envers lui. Étudier ce phénomène c’est éviter d’aller au cœur du problème qui, je pense, se trouve à l’intérieur du Moi, à la limite des parties conscientes et inconscients du Moi. C’est dans cette région que se logent les organisations intramoïques, à savoir, la résistance du Surmoi, concept freudien, et l’Autre non barré, concept lacanien. Toucher les organisations intramoïques produit un effet clinique non négligeable, à savoir, la diminution des hospitalisations en psychiatrie, de la consommation de psychotropes et surtout des passages à l’acte.
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