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Construire avec ce qui était perdu, exister avec ce qui est manquant

Construire avec ce qui était perdu, exister avec ce qui est manquant

Fernando de Amorim
Paris, le 15 janvier 2020

La recherche en chirurgie esthétique avance à Lille. C’est ce que nous apprend l’article de Laure Belot à propos du travail du Professeur Pierre Guerreschi (Le Monde du 15. I. 2020).Monsieur Guerreschi a abandonné la chirurgie des « gros seins et des grosses lèvres », pour, avec le Professeur Daniel Labbé, reconnu par sa technique chirurgicale de restauration du
sourire, travailler à la « réparation de ce qui était cassé », en d’autres termes, construire ce qui était perdu.

Comment reconstruire chirurgicalement après un cancer du sein ? « Actuellement sur le 1.5 million de femmes diagnostiquées chaque année dans le monde, 73% sont prises en charge chirurgicalement par mastectomie totale ou partielle, mais 80% d’entre elles n’ont pas recours à la reconstruction mammaire, que ce soit par peur de la lourdeur chirurgicale – il faut trois temps d’intervention – ou par manque d’énergie.»

Je souhaite mettre en évidence l’importance de la prise en charge psychothérapeutique de ces patientes. Avec mon collègue et ami, le professeur Philippe Casassus, nous avons mis en place la prise en charge des patientes atteintes de cancer dans le service du professeur Loïc Guillevin à l’hôpital Avicenne (AP-HP), au début des années 90.

Cette prise en charge consistait à ce que Philippe, dès la première consultation avec une patiente, l’accompagne vers ma consultation, qui était à côté de la sienne, ou bien qu’il donne mes coordonnées à la patiente, en utilisant son autorité – ce qui a donné le concept d’« autorité du transfert » – pour que la patiente prenne contact avec moi le plus rapidement possible.

Cette stratégie visait à faire en sorte que la malade puisse construire un rapport avec son organisme pendant la thérapeutique médico-chirurgicale (« rapport » ici équivaut à ce qui est structurellement impossible, mais qu’il faut ficeler avec la chaîne signifiante). 

Pour mettre en place une telle opération, seul le psychanalyste est apte à opérer, avec la collaboration de la patiente et de son médecin, bien évidemment. Pour quelle raison ? Parce que je pars du principe que le déclenchement de la maladie organique est la preuve de la dissociation de la relation du Moi avec l’organisme (« relation »ici fait référence à un bricolage imaginaire, donc trompeur, mais fondamental pour le Moi, structurellement aliéné).

Quand le Moi est associé avec l’organisme, il dit spontanément :« Mon corps ! ». Cette propriété imaginaire est fondamentale, comme indiqué plus haut, mais trompeuse. Cette possession du Moi dépossède l’être d’être responsable et de se sentir concerné par ce qui arrive dans sa première et unique demeure, l’organisme, le corps.

Pour Pierre Guerreschi, « la minorité qui franchit le pas se fait poser dans huit cas sur dix une prothèse mammaire. Or, nous savons bien que cette solution est un pis-aller. »

Il évoquera « les mastectomies prophylactiques, popularisées par Angelina Jolie [ablation préventive car la patiente présente un risque génétique] concernent dans la plupart des cas de jeunes femmes et qu’il faut alors trouver de la graisse pour les deux seins. »

À part des situations où les jeunes femmes sont confrontées au Réel, comme l’insuffisance de volume mammaire unilatérale, où est nécessaire une compensation dans le soutien-gorge (quelques chirurgiens évoquent le sein tubéreux et le syndrome de Poland), l’intervention chirurgicale peut être une solution pour des femmes qui souffrent de leur imaginaire corporel (« Réel » ici fait référence à l’inévitable de l’organisme : la taille, la couleur de la peau, le sexe à la naissance).

Bien évidemment, un chirurgien plasticien, veut opérer : rajouter, enlever. C’est dans la logique propre à sa volonté (volonté ici fait référence au Moi et ses décisions prises à partir des organisations intramoïques, la résistance du Surmoi et son bras verbal qui dicte des ordres, des injonctions et autres directives imaginaires au Moi, à savoir, l’Autre non barré).

La logique du Moi n’est pas ce qui nourrit le discours du professeur Guerreschi, plus intéressé par la « réanimation des paralysies faciales » et la « réparation de fentes labio-palatines », comme l’écrit la journaliste.

Si une femme ne souffre pas de ses petits seins ou de sa poitrine plate – Agénésie mammaire et hypoplasie bilatérale sévère avec taille de bonnet inférieur à A – , pour quelle raison introduire ce qu’elle, sans suggestion ou jugement d’autrui, ne changerait pas ?

C’est la souffrance qui guide l’intervention du psychanalyste. L’augmentation ou la diminution de la taille des organes du corps concernent le champ de la demande. Répondre à la demande sans un examen fin est une conduite clinique périlleuse. De là l’importance de la clinique du partenariat entre chirurgiens et psychanalystes.
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