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Comment l’écrire ?


Fernando de Amorim
Paris, 13 juillet 2023

Comment écrire ce que l’on pense sans offenser une mémoire ? Comment commenter une tragédie sans que celui qui est en vie ne se sente outragé de ce qu’il lira ?

Cette introduction concerne trois situations :

 1. Un psy est assassiné. Il détenait une information inquiétante et avait hésité à la porter à la connaissance des autorités compétentes. Entre temps, le pédophile est devenu son assassin. La formation de ce psy, formation issue de ces écoles de psychologie privées qui de nos jours pullulent, a été insuffisante. Si je dénonce l’insuffisance de la formation du psychologue clinicien dans l’enseignement public, ce que n’aimait pas le professeur Brun, dans le privé la formation est bien pire, même si le secteur parvient à recruter les professeurs retraités du public. Tout est bon pour arrondir ses fins du mois. La formation du psychologue, associée au signifiant « clinicien » est insuffisante et ce n’est pas en augmentant le nombre d’années universitaires – de 5 à 6 – que cela donnera à cette formation nécessaire, et que je respecte puisque c’est d’elle que viendra la majorité des futurs psychanalystes, l’autorité clinique pour poser un diagnostic structurel, manier le transfert, conduire la cure.

 2. Un jeune homme est tué. La sensiblerie ambiante accuse la police. Mais quand l’autorité ordonne : « arrêtez », il va de soi de s’arrêter, au moins pour ne pas donner à l’autre méchant l’occasion de tirer. C’est grâce d’ailleurs au mort de 17 ans que son géniteur se présente pour se porter partie civile contre l’autorité, lui qui n’a pas été au rendez-vous durant toute la vie de son rejeton : là encore la lumière ne se sera faite que sur une tombe. D’ailleurs, qui pourrait songer qu’une sœur existerait si son frère n’était pas mort ? N’est pas Antigone qui veut, tout comme les commentateurs ne sont Sophocle ni les tribuns Démosthène ; d’ailleurs leurs Philippiques sentent le « m’as-tu vu » à plein nez. Bref, le compte  pour ce qui est de la castration qui civilise n’y est pas. La souffrance peut être recouverte très rapidement par la volonté moïque d’attirer l’attention, telle une Marianne sur son moto-cross. Il faut un mort pour donner un sens à une vie. Ceci se découvre en psychanalyse, dans la discrétion de la consultation, sinon le même phénomène s’expose en place publique, sur le toit d’un arrêt de bus.


 3. « Une psychanalyste raconte son cancer » titre Le Monde. Quand j’avais créé le RPH – Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – le professeur Danièle Brun avait mis sur pied quelques temps après, si mes souvenirs sont bons, l’association « Psychanalyse et médecine », ensuite une autre association « Association médecine et psychanalyse » était née elle-aussi. Pour quelle raison travailler à côté ? Pour quelle raison ne pas se rassembler pour penser la psychanalyse ensemble et la clinique avec le malade organique ? Pour les morts, c’est trop tard. Pour les vivants, ceux qui assument des responsabilités hospitalières, universitaires, c’est le moment. Vont-ils saisir l’opportunité pour faire le nécessaire ?

Dans cet article du Monde du 13 juillet 2023, « Une psychanalyste raconte son cancer », Pascale Santi écrit : « La maladie efface parfois le malade, la personne ». J’avais écrit sèchement sous forme de note en marge et en rouge « C’est même fait pour ça ». Non pas dans le cas de Danièle Brun, vu son âge, mais pour n’importe quelle maladie humaine. Il faut partir cliniquement de cette prémisse, avec l’accord de l’être bien évidemment, sinon, affirmer cela de cette manière, pourrait sonner, aux yeux pleins d’affectation, comme une interprétation sauvage, à la Groddeck, qui s’autoproclamait « analyste sauvage » (Freud le reconnaissait comme un « analyste incomparable »). Ici ma visée est toute autre : elle est de sensibiliser les vivants, puisque ce n’est plus possible de faire quoi que ce soit pour les morts – à part les enterrer bien sûr, sensibiliser au fait qu’il est possible de former des cliniciens à la psychanalyse dès la première année de faculté pour qu’ils puissent apprendre à faire de la clinique à partir du transfert et non à partir du diplôme, que ce soit celui de médecin, de psychologue ou de psychiatre, car aucun titre n’a jamais sorti un praticien de l’embarras clinique. Les universitaires doivent se décider à articuler la formation théorique à la formation clinique du psychanalyste selon les indications données au RPH, ou continuer à être des spectateurs des drames qui peuvent être évités si les indications de cette école, que quelques-uns s’amusent à dénigrer – sans proposer mieux évidemment – étaient suivies.


Dans ces trois situations – le drame, la douleur et la souffrance – que j’évoque au début de la présente brève, il n’y a personne pour tirer des conclusions scientifiques à partir de la psychanalyse sur la manière de mieux former un clinicien, de mieux éduquer un enfant, de mieux construire une existence.

Pas plus tard qu’hier, j’avais signalé à une arrogante qu’elle était arrivée en retard. Quelques minutes après, je l’appelle pour lui proposer une solution à la difficulté. Elle ne répond pas. Je l’appelle des heures plus tard. Elle ne répond pas. Comme à son habitude, elle ne cède rien, elle ne cède de rien, même s’il faut offrir une livre de chair. Tout sauf la castration de son Moi gonflé. Son bénéfice, la jouissance de son Moi, c’est de punir l’autre tout en offrant son corps au sacrifice. Accueillir ces actes est le pain quotidien du psychanalyste. Ce même comportement quand la victime de ce Moi haineux et malheureux est un époux ou un enfant et que tout est au rendez-vous pour l’enfer au moment de renter à la maison. La libido qui nourrit les organisations intramoïques, qui aliène le Moi, lequel, pour se défendre à son tour, fait comme si de rien n'était au cœur des trois scénarios évoqués plus haut. Si cette libido ne se transforme pas en signifiants sous l’écoute fine d’un psychanalyste formé à la dure – j’entends, à la freudolacanienne – et non en « paroles » comme c’est écrit dans l’article du Monde, cela passe du côté du corps. Si jamais ce signalement corporel n’est toujours pas entendu par le Moi, la libido se déverse dans l’organisme sous forme de maladie organique. Cette hypothèse de travail m’anime depuis des années. Si quelqu’un à une meilleure idée qu’il me la propose. Je suis un scientifique, je ne fais pas dans l’idéologie. Cette hypothèse est nourrie par chaque psychanalysant qui la valide, c’est pour cette raison que je ne la lâche pas.

La haine, l’ignorance et la destruction marchent main dans la main, et le Moi ne veut rien apprendre car s’il apprenait ce serait la chute de son royaume d’aliénation.

Et cela concerne le soignant tout comme celui qui est soigné. De là l’importance que le soignant s’approche pour de vrai de son désir tout en occupant la position de clinicien pour le médecin et en installant la clinique du partenariat ; en occupant la position de sujet barré pour le psychanalyste – ce qui justifie ma formule que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin – et que celui qui est en soin rencontre pour de vrai ce dernier.



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