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Attendre (Féminicide III)


Fernando de Amorim
Paris, le 4 juin 2020

 

Si la famille souffre de « ne pas avoir su l’empêcher [l’assassinat de leur fille par leur gendre] », la psychanalyse peut être utile à ces personnes. En revanche, du point de vue de la prévention et donc avant que le drame se matérialise, dès que les membres de la famille – ainsi que les collègues de travail, les voisins – témoignent de violence, ils se doivent d’appeler la police. La police, celle que quelques crétins crient sur tous les toits qu’ils la détestent, c’est elle qui vient contrer la violence. Face à la violence seule la force peut faire preuve d’autorité, ensuite, la justice, enfin, un psychanalyste.

 

Il faut une structure psychique spécifique pour tuer une femme et se suicider après. En écrivant cela, je ne déresponsabilise pas le tueur, j’attire l’attention de la responsabilité sociale, la société toute entière, de civiliser les êtres, et cela dès leur naissance. En faisant la distinction entre parents majeurs et parents adultes je vise à mettre en évidence que, mettre un enfant au monde sans prendre soin de son éducation, de son corps, de ses compagnies, de ses sorties, de ses retours à la maison, de ses habits, de sa propreté, de son avenir, signe un abandon de la présence de cet enfant, de ce pubère, dans la vie des parents. Un adulte prend soin, il n’abandonne pas l’enfant. Un majeur est indifférent aux agissements du jeune.

 

La famille, l’école, la police, la justice, donc la société toute entière est responsable du nouveau-né, de l’enfant, du pubère. Passé le délai de la minorité du jeune français, il acquiert la majorité et cela rendra toute tentative de prise en charge de l’abandon parental, social, beaucoup plus difficile. Cécile Prieur, directrice adjointe de la rédaction, écrit que « ces crimes doivent être révélés au grand jour pour ce qu’ils sont, un fait social », et elle ajoute : « un fait social que la société peut empêcher ». Je la trouve optimiste dans la compétence de la société à les empêcher. Et surtout parce qu’elle évoque le fait social sans prendre en compte le fait familial, le fait psychique, le fait psychopathologique. L’affaire est tout sauf simple.

 

Un père qui accepte que sa fille reste dans sa maison avec un partenaire sexuel est l’indicateur que quelque chose cloche : cette intimité sous le toit parental indique que l’adulte doit interférer pour dire à ces jeunes d’attendre. De même quand la petite fille veut se faire femme, lui dire d’attendre, quand le garçon veut commencer à travailler et ne pas aller à l’école, lui dire… d’attendre. Cette précipitation imaginaire de lecture du monde commence avec la formation du Moi. Elle se répète avec le début de la vie sexuelle, de l’abandon d’un travail pour un autre qu’il ne possède pas encore, pour un divorce quand le mariage n’est pas encore terminé, pour la vie qui n’est pas encore arrivée à sa fin. Que de la précipitation. Et toute la société, société constituée de majeurs en son immense majorité, valide ces précipitations. Précipitations qui poussent vers le vulgaire, vers l’agressivité, vers la destruction des autres et de soi. Et cela parce que le Moi ne supporte pas la frustration.

 

Un couple fusionnel est une autre indication que quelque chose cloche. Un partenaire insistant, « curieux des journées de sa compagne au travail, de ses compagnons, de ses déplacements, de ses amies » en est une autre encore. Si le Moi de la dame est touché de cette attention, l’indication change de camp : le Moi de la dame est ravi narcissiquement que cet autre « s’intéresse à elle ». Mais il ne s’agit pas d’intérêt mais d’emprise. Si le Moi accepte, c’est parce que cela montre que le Moi de la dame domine l’autre. La jalousie n’est pas encore écrite clairement dans le récit.

 

Selon le Moi de la dame, « un couple partage tout ». Voilà un autre élément avant-coureur de l’emprise qui peut pousser jusqu’au meurtre. Un couple ne partage pas tout car cela est impossible. Sans des poches de respiration, un couple s’étouffe et étouffe.

 

Quand une partie du Moi veut sortir seule et qu’elle se trouve empêchée par le Moi de son compagnon, l’être commence à faire des compromis : à sortir moins avec les copines, ensuite, à ne pas sortir du tout parce qu’il imagine que « je l’avais trompé ». Une fois installée cette logique d’harcèlement, elle ne peut que changer de travail sans cesse.

 

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