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A propos du symptôme

 

Fernando de Amorim
Paris, le 15 mai 2020

 

Le symptôme est le signalement du Moi que l’être souffre de ses pensées, dans son corps ou dans son organisme.

Pour un observateur extérieur à l’appareil psychique, l’être et le Moi sont confondus. La souffrance psychique est représentée par des pensées, des images, des cauchemars. La souffrance corporelle concerne ce qui n’est pas lésion, mais qui gêne ; réduire cela à un phénomène psychosomatique n’arrange pas l’affaire, dérange plutôt la construction d’un savoir, pour l’être, sur le désir de l’Autre non barré qui l’agite. La souffrance organique est associée à la maladie avec lésion, celle qui exige l’intervention médico-chirurgicale.

La psychanalyse n’a pas de vie, raison pour laquelle je la compare à une embarcation ; et le psychanalyste n’a pas pour fonction de lire le symptôme, sa fonction est de conduire la cure. Celui qui interprète le symptôme, c’est l’être, une fois qu’il accepte de faire usage de l’Autre barré lacanien. C’est l’Autre barré, en fin de compte, qui interprète, à condition que l’être accepte de se castrer et de castrer le Moi. Celui qui sait lire en psychanalyse c’est l’Autre barré, c’est depuis ce dernier aussi que se construit, pour l’être, le savoir bien dire. Le psychanalyste a la fonction de faire en sorte que l’être se détache de sa fascination pour le Moi et qu’il respecte la règle fondamentale. Le bien dire et le savoir lire sont du côté de l’Autre barré. Penser que ces deux registres se trouvent du côté de l’analyste, donne le jour à des rhétoriciens, des analystes, mais pas à un psychanalyste.

L’être, au sens d’Aristote, ne donne pas un fondement inébranlable à l’expérience parce qu’il fait des yeux doux au Moi. La fonction du psychanalyste est de préparer l’être à l’existence et pour cela il produit de la castration, cette forme de variolisation qui permet à l’être de devenir sujet et même, s’il y prend goût, après la sortie de psychanalyse, de s’engager à construire son existence dans la position de sujet barré.

 

L’être est une simple reconnaissance de ce qui est. Il faut davantage. De là l’importance de reconnaître s’il s’agit de l’être dans la position de malade, de patient, de psychanalysant ou de sujet. S’il n’est pas être, il est étant. Et ce dernier registre échappe à la psychanalyse.

Ce qui intéresse la psychanalyse c’est que l’être souffre et vienne, maladroitement, demander de l’aide, par la voix, voire par la voie, du Moi, instance puissante mais non moins aliénée et aliénante.

Cet être pourra devenir intéressant, pour lui-même et pour la Cité, si, au contraire d’être reconnu uniquement comme manque à être, devient, grâce à sa psychanalyse, sujet barré, c’est-à-dire sujet qui s’appuie sur le rien, cet objet a primordial, pour, au nom de son désir cette fois-ci et non celui de l’Autre non barré, exister et construire son existence.

Le désir qui anime ce qui, de manière radine, est appelé désir de l’analyste, est un véritable désir de psychanalyste. Il m’est inconcevable de penser que Freud, Lacan, Dolto, Safouan, Melman ou Czermak étaient habités uniquement par le désir d’analyste. Ce désir dit d’analyste est faible pour justifier que des femmes et des hommes les écoutent jusqu’au bout de leurs vies. Personne ne les poussait à conduire des cures jusqu’à ce que leur organisme mette un terme à leur désir.

Le psychanalyste, avec son désir, n’amène pas l’inconscient à l’être, puisque l’inconscient est déjà au rendez-vous de l’être. La psychanalyse, puisque c’est le désir de l’être, favorise ce dernier, si tel est son désir, à devenir sujet. Ce qui est refoulé ce n’est pas l’être, mais des signifiants qui dérangent le Moi dans sa volonté décidée de continuer à s’aliéner.

Ce qui n’est pas reconnaissable par l’être n’existe pas. C’est le principe même de l’aliénation de l’être aligné à la logique du Moi. Ce qui existe et qui n’est pas reconnaissable par l’être, sans que cela soit dérangeant pour ce dernier, est propre à l’être castré.

Personne ne sait qui a créé l’être. En revanche, il est possible d’affirmer que l’Autre barré est l’agent de construction, et non de création, de l’être barré.

Il faut faire une différence entre l’apparence et l’être : l’apparence est le résultat du donner à voir à l’autre ou à soi-même quand l’être s’aligne au Moi. La visée de la psychanalyse est que l’être s’aligne sur l’Autre barré. Les interventions du psychanalyste, quand elles sont nécessaires, tel un kiai, un coup de pied, la scansion, la non-réponse à la demande illégitime, sont des variolisations, c’est-à-dire des préparations à ce que l’être dans la position de psychanalysant, puisse devenir sujet et que, assumant de devenir sujet barré, il puisse danser la musique qui lui tombera dessus. Cette musique, Lacan l’avait appelée – selon mon interprétation évidemment – le Réel.

 

Un discours humain ne sera jamais du registre du Réel. Le discours sert à apaiser, à esquiver, à danser l’impact quotidien du Réel sur l’être. Le discours peut être porté par une interprétation du Réel sous forme imaginaire : le racisme, le complotisme, le délire ; ou sous forme symbolique, telle la lecture du Réel faite par Halley. Il y a de l’interprétation imaginaire qui sort de la bouche de l’être dans la position de malade ou de patient. Et il y a l’interprétation symbolique. C’est avec celle-ci que je compte quand, sur le divan, le psychanalysant interprète son rapport au Réel. C’est cette interprétation qui justifie qu’un apaisement soit possible au niveau du corps, voire de l’organisme. Je pense ici à des psychanalysants qui répondent favorablement au traitement médical d’un cancer. Sans le traitement médicamenteux, le cancer ne serait pas soigné, en revanche, quand un malade est traité avec une chimiothérapie et entre en psychanalyse, il commence à construire sa subjectivité. Je pense qu’à ce moment, la libido qui prenait la voie de l’ouverture de ’32, est utilisée pour construire un canal pour la circulation de la libido. Cette hypothèse est née de ma clinique en tant que psychanalyste dans un service de médecine pendant 15 ans. Jusqu’à présent elle est toujours valable.

Le langage n’est donc pas le Réel, le langage est un instrument d’interprétation, imaginaire ou symbolique, du Réel.

Un psychanalyste n’éprouve pas le vertige de l’être. Il est déjà vacciné par sa psychanalyse personnelle à la sortie de celle-ci. Il bénéficiera aussi de piqûres de rappel puisqu’il continue sa psychanalyse personnelle. Raison pour laquelle je tiens tellement à ma formule : la psychanalyse du psychanalyste est sans fin. Les praticiens qui éprouvent le vertige de l’être prouvent ainsi qu’ils ne sont pas assez castrés, que leur psychanalyse personnelle n’a pas apporté l’immunisation nécessaire à occuper la position de psychanalyste. Ce sont des psys, des psychothérapeutes, des analystes.

Une dame appelle. Elle demande un rendez-vous. Je lui en demande la raison. Elle répond : pour être suivie. Je lui réponds que ce n’est pas suffisant à justifier la prise d’un rendez-vous. Elle demande si je suis psychiatre. Je lui demande pour quelle raison une telle question. Elle dit que c’est par ce qu’il y a tellement de psychiatre et des psy… Je l’interromps et je lui demande qui lui avait donné mes coordonnées. Elle répond : sur internet. Elle demande mon téléphone. « Celui que vous avez composé ! ». « Votre nom » demande-t-elle. « Vous appelez et vous ne savez même pas à qui vous demandez un rendez-vous clinique…, », dis-je. Elle insiste : « Il y a tellement d’analystes, des psychiatres, des psychologues, des psys quoi. » Je lui réponds : « Ça ne va pas du tout. Vous voulez prendre un rendez-vous de soin et vous ne savez même pas qui va vous soigner. Vous ne savez pas mon nom. Bref, vous ne prenez pas soin de celui que vous sollicitez pour le soin. » [Ici se trouve ma formule FIN : Faire naître, Installer et Nourrir le transfert]. Dans le cas de cette dame, il n’y a pas de transfert, donc, je lui dis « Au revoir. » Elle raccroche. Elle appelle quelques minutes après, elle dit mon nom et mon adresse. Je lui donne rendez-vous. Le psychanalyste ne s’aligne pas dans la logique sociétale du produit consommable et jetable. La fonction d’objet a est portée par le désir de psychanalyste et non par le désir du psychanalyste. Et cela dès le premier instant de la rencontre.

 

Dans une psychanalyse, le Réel se trouve dans la libido inaccessible. Elle est inaccessible et pourtant c’est elle qui nourrit, grâce au Ça, la pulsion et le désir.

L’inconscient ce n’est pas le Réel, il est la délimitation donnée par Freud pour justifier qu’au-delà de l’inconscient se trouve le Réel. Cela ne signifie pas que l’inconscient soit accessible. Il est inaccessible et pourtant, c’est sur lui que s’appuie la psychanalyse. Ce n’est pas parce que je ne vois pas les effets du vent qu’il ne gonfle par les voiles du bateau.

Un symptôme qui insiste après l’interprétation de l’analyste est l’indicateur que l’interprétation a fait faux bond. Quand l’interprétation vient de l’Autre barré, et que l’être est dans la position de psychanalysant, cela signifie que l’Autre barré est en train de percer dans la roche de l’imaginaire pour parvenir à dégonfler le Moi, donc que le travail est en train de se faire, mais qu’il n’est pas encore fait. La psychanalyse continue, même si le Moi se plaint de ses symptômes.

Je n’évoque jamais la notion de satisfaction pulsionnelle puisque la pulsion ne connaît pas la satisfaction, elle vise l’accomplissement. Le lecteur reconnaîtra que j’enlève tout anthropomorphisme de ma lecture de la psychanalyse : pas de satisfaction des pulsions, pas de mère, pas de père, mais des opérations libidinales qui visent à accomplir des fonctions libidinales et pulsionnelles du Moi du père, du Moi de la mère ou de leurs organisations intramoïques. La psychanalyse n’est pas une psychologie, une anthropologie ou encore une science humaine, même si c’est la science la plus favorable, voire utile à l’être parlant. Et cela parce qu’elle l’amène vers la voie de la construction de ce qui existe de plus précieux, à savoir la construction de son propre désir.

Voici une autre objection : ce qui jouit, ce n’est pas le corps, mais le Moi ou les organisations intramoïques. Le corps est simplement un locus où se matérialise cette jouissance. Mon hypothèse est que l’organisme est aussi un réservoir qui accueille non pas la jouissance mais la partie détachée du signifiant, à savoir la libido. Cette libido, issue du Ça, coule vers l’ouverture de ’32, puisque les voies du verbe et du corps lui ont été bouchées. L’auto-érotisme de Freud concernait la relation du Moi avec les organisations intramoïques qui débouchait dans le corps. Affirmer que le corps jouit c’est aller trop vite en besogne. Celui qui jouit c’est l’Autre non barré. C’est ce que m’indique la jouissance propre au symptôme psychique et corporel.

 

Enfin, l’objet a n’apparaît jamais, il est perdu. À vrai dire, l’objet perdu est un objet créé par l’être pour supporter qu’avant il n’existait pas et que, depuis qu’il est là, ça ne va pas mieux non plus. En d’autres termes, l’être se cache sous les jupes du Moi parce qu’il faut s’accrocher à l’Imaginaire, au filet du Symbolique, au bout de chiffon winnicottien pour avoir une certaine croyance d’exister. C’est quand l’être entre en psychanalyse qu’il lui sera possible de construire un rapport, ce qui suppose déjà castration, avec l’Autre barré. Et puisqu’il est barré, ça ne sera pas d’un secours absolu.

Si dans la psychose, le clinicien n’opère pas avec l’équivoque ou avec la coupure, afin d’éviter un quelconque alignement du Moi avec la forclusion et l’objet a, dans la névrose, le clinicien conduit la cure en faisant usage de l’équivoque pour que l’être aille vers la Mer d’Œdipe et qu’il arrive à bon port, dans le cas de la névrose et de la psychose, ou à un bon mouillage, dans le cas de la perversion.

La chute de l’objet a, se trouve entre la sortie de la Mer d’Œdipe et le mouillage ou l’accostage à bon port. À ce moment, il sera possible d’évoquer la sortie de psychanalyse. Ni le psychanalysant, ni le supposé-psychanalyste ne sont obligés de reconnaître un tel moment. En revanche, cette reconnaissance est fondamentale pour la conduite de cure que sanctionnera celui qui la conduit en tant que psychanalyste de la psychanalyse en question. En écrivant que les intéressés, psychanalysant et supposé-psychanalyste, ne sont pas obligés de reconnaître un tel moment, cela veut dire qu’il y a un effort de détachement d’avec le sens. L’interprétation du fantasme n’est pas un recours au sens, mais au dénouement du nœud qui empêche, par sa lourdeur, de laisser le bateau de la cure avancer vers sa destinée.





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