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À propos du sujet


Fernando de Amorim
Monmartin-le-Haut, le 10 février 2021

À M. M.

Introduction

Il n’y a de sujet que si l’être dans la position de psychanalysant pousse sa psychanalyse jusqu’à la sortie. Il n’y a pas de sujet divisé, il y a le Moi divisé reconnaissant qu’il est un assemblage de parties, ce qui fait de lui une instance divisée : collée dans le cas du Moi du névrosé et du Moi du pervers, décollable dans le cas du Moi psychotique. Il n’y a de sujet barré que si ce dernier accepte de faire allégeance à l’Autre barré.

Il y a sujet à la sortie d’une psychanalyse, s’il décide de construire son existence. Il s’engage à occuper la position de sujet barré. Le « sujet dans son existence » – la formule est de Lacan (Séminaire V ; p. 430), est barré puisqu’il fait allégeance à l’Autre barré ; il occupe la position de sujet puisqu’il est sorti de psychanalyse. Le Moi est divisé parce qu’il y a reconnaissance de ses failles.

L’être est sujet à la sortie de psychanalyse, sujet barré car il fait allégeance à l’Autre barré et à partir du moment de sujet et de la position de sujet barré, il s’engage à construire son existence, tout en sachant que cette dernière sera incomplète. C’est ainsi que j’interprète l’ « ex‑siste » de Lacan (Séminaire VI, Leçon 10. XII. 1958).

La division structurelle du Moi ne dérange plus l’être, s’il est dans la position de sujet barré car il n’y a de sujet que si l’être reconnaît et fait allégeance à l’Autre barré, ce qui signifie qu’il n’est plus le couard qui se cache sous le voile imaginaire du Moi, celui-là même qui se croit, dans le cas de la névrose et de la perversion, être le maître de la demeure et voire même qui est sûr, dans le cas de la psychose, de l’être.

 

Le sujet barré

Le sujet barré était donc une limitation de la théorisation de Lacan, il est devenu un abus théorique de celles et ceux qui le suivent sans aucun sens critique. Il me semble important d’actualiser le débat et de proposer des avancées. Grâce à la théorisation et mon interprétation de Lacan, je trouve le sujet, le vrai, à la sortie d’une psychanalyse (Cf. Cartographie du RPH). Ce n’est pas le sujet qui est aliéné au langage et à la parole, c’est l’être (le sujet danse avec la parole et le langage). L’être se trouve chez Aristote ainsi que chez Heidegger. L’être à la sortie de psychanalyse est dans la position de sujet. Il ignore la structure du langage, l’origine de la parole qui lui arrive et sort par l’enclos des dents. Mais cela n’est plus un problème, un symptôme, une souffrance pour lui, comme cela l’était pour son Moi au début de la cure. Le sujet fait avec, il danse avec la vague qui se présente à lui. Ainsi, parler de sujet barré ou de sujet à tout bout de champ est un abus de langage.

Le premier Lacan, le Lacan psychiatre, parlait de « malade », ensuite de « patient », ensuite de « sujet ». Depuis, c’est devenu une habitude de parler de sujet : « le sujet barré », « le sujet divisé », et c’est un comble, une habitude également de parler de « sujet psychotique » : eu égard à la pénibilité pour le Moi d’être dans le monde, donner le statut de sujet à l’être de structure psychotique c’est lui offrir une médaille en chocolat. Sa souffrance est immense et il n’a que faire de ce statut qui, confronté à la vie quotidienne, se dénature et fond parce qu’au quotidien, le Moi est pris, pour de vrai, dans une incapacité évidente à être.

J’ai pu assurer la psychanalyse de quelques psychotiques et, à la sortie de la cure, ils ont réussi à construire des moyens subjectifs d’être dans le monde avec la dignité et la fierté d’être parvenus à construire, avec leurs moyens structuraux, leur existence. Aujourd’hui, ils travaillent, se sont mariés, sont devenus pères et mères de famille. Avec la limitation propre à la structure psychotique, mais en position de sujet barré. Si cela a été possible, c’est grâce au désir de l’être de devenir sujet, ce qu’ils ne savaient pas au début de leur psychanalyse. La voie qui fut construite par eux était celle de s’engager à construire leur position de sujet à partir de l’Autre barré et non d’adopter, d’adorer, voire de continuer à s’acoquiner à la logique du Moi et de ses propositions et engagements imaginaires. Cette construction symbolique de la subjectivité de l’être commence dès la première séance, quand le psychotique passe sur le divan, jusqu’à la dernière séance, celle où il ne vient plus en psychanalyse. À la sortie de psychanalyse, il devient sujet ; en occupant la position de sujet barré, il se donne les moyens de construire son existence.

Cette opération ne se passe pas de manière linéaire. J’ai l’habitude de dire que la psychanalyse du psychotique avance par à-coups.

Le sujet barré n’est pas celui qui parle dans la chaîne signifiante, mais celui qui est parlé par l’Autre barré, avec son consentement, avec le consentement de l’être et validé par le Moi. L’être ne craint plus l’Autre barré, parfois le Moi s’amuse avec.

Il est important d’ajouter que c’est quand l’Autre non barré parle, donc sans le consentement de l’être, que cette parole peut prendre pour le Moi un statut d’envahisseur, de méchant, ce qui pousse le Moi à l’invention du délire, de l’hallucination. C’est ce que je comprends comme étant le « sujet parlé », ou encore le sujet qui « ex-siste », de Lacan.

Ici l’être est éparpillé, le Moi est fort et c’est l’aliénation qui caractérise l’expérience de vie de cet être vivant qui survit, vivote, parfois vit, mais qui n’existe pas. Ces expériences sont vécues par le Moi de manière déplaisante, voire dramatique. Dans ce cas de figure, le Moi a affaire à l’Autre, barré ou non barré, avant d’être dans la position de sujet barré, donc à la sortie de sa psychanalyse.

Le « sujet qui parle », le « sujet parlant », fait référence à la position de l’être à la sortie de sa psychanalyse. Le sujet barré porte une parole qui compte.

 

Le sujet divisé

Le sujet divisé de Lacan représente le Moi qui a accepté bon gré – tel le Moi du névrosé ou le Moi du pervers – mal gré – comme le Moi du psychotique ou le Moi de l’autiste, d’être membre de la famille des êtres parlants, voire des êtres castrés, comme c’est le cas du Moi du psychanalysant normal qui se dégonfle à la sortie d’une psychanalyse, et du Moi du sujet candidat à devenir psychanalyste, qui ouvre un canal pour la circulation de la libido.

Dans la psychose, le Moi – et non le « sujet divisé » – est divisé malgré lui, puisqu’il ne se reconnaît pas divisé. En revanche, l’être dans la psychose peut devenir sujet, s’il sort de psychanalyse, et devient sujet barré s’il s’engage à construire son existence, comme évoqué plus haut. Cependant le Moi ne se reconnaît pas en tant que divisé. Quand je constate  que même les psychanalystes ont du mal à être flexibles, preuve de la reconnaissance du Moi de sa condition structurée de divisé et que quelques-uns trichent avec leur sortie de psychanalyse, condition sine qua non pour accéder à la position de sujet barré, j’estime qu’il ne faut pas exiger du Moi psychotique qu’il reconnaisse qu’il est structurellement divisé et que sa structure est un assemblage, voire un ramassis de parties de sensations, perceptions, paroles de l’autre et d’identifications aux organisations intramoïques.

Solange Faladé écrit que le « Ça parle de lui ». Il faut de toute évidence actualiser de tels propos. Le Ça ne parle pas, le Ça produit de la libido, en d’autres termes, pour qu’il soit possible d’évoquer le sujet, il faut que la libido nourrisse le Moi, que ce dernier accepte d’être dégonflé, que l’être en miettes, et sous les jupes du Moi – ce qui est une décision de l’être, s’engage avec l’Autre barré pour que, ce qui sortira de la bouche, soit une parole vraie, castrée. Au moment où cette parole sort de la bouche et qu’elle signe la sortie de psychanalyse, validée par le clinicien, qui assure la conduite de cette psychanalyse évidemment, il sera possible de dire que l’être est devenu sujet.

Dans la position de sujet, il n’est plus question pour l’être, de jouissance – jouissance malheureuse du Moi pervers, infatigable du Moi psychotique, jouissance coupable du Moi névrotique – mais de plaisir. Quand l’être dans la position de sujet jouit, cela s’appelle un orgasme bien assumé.

Qu’on veuille ou non, et cela indépendamment de la structure – à savoir névrose, psychose ou perversion – l’être est d’abord en miette et le Moi est divisé. Mais à quoi bon savoir cela si le Moi se refuse à reconnaître cette division, comme évoqué plus haut pour le Moi du psychotique et de l’autiste ?

Donc, il y aura division si le Moi reconnaît que telle est sa structure. En ce sens, il faut parler de Moi dégonflé (pour les normaux), de Moi castré (pour les psychanalystes), de sujet à la sortie d’une psychanalyse, de sujet barré quand ce dernier s’engage éthiquement avec lui-même, à construire son existence.

La coupure en psychanalyse est ce qu’offre le clinicien dans la position de supposé-psychanalyste, et cela à chacune de ses interventions. Son intention est de produire une coupure symbolique, l’autre nom de la castration, afin que l’imaginaire soit castré et le Moi dégonflé, du moins dans la conduite des psychanalyses des êtres normaux. Dans le cas des êtres qui souhaitent devenir psychanalystes, la visée est de castrer l’imaginaire et le Moi. Ici, il n’est pas suffisant de dégonfler le Moi car ce dernier se regonflera. C’est pour cette raison qu’il y a si peu de psychanalystes, une foule d’analyses, un vulgum pecus de psys. En proposant que la psychanalyse du psychanalyste soit sans fin, je vise à construire dans le Moi du psychanalyste un canal du Panama pour que son Moi, en étant constamment dans la position de psychanalysant, puisse être ouvert – et non détaché – d’un extrême à l’autre, pour qu’ainsi la libido puisse circuler. Il ne s’agit pas de séparer les parties du Moi mais de creuser une voie nouvelle pour la circulation de la libido.

Je ne pense pas que le sujet soit la coupure, il est le résultat de l’intervention du signifiant de l’Autre barré sur l’être : le sujet n’est pas la coupure il porte la marque, la trace, la cicatrice de l’Autre barré en lui. C’est cela qui fait qu’il est possible de reconnaître quand quelqu’un est psychanalyse. Ce n’est pas le diplôme qui fait le moine, c’est l’éthique dans son discours et dans son corps qu’indique la présence du sujet barré.

Le reste est une préoccupation du Moi. L’être dans la position de sujet ne s’inquiète plus du reste, ce qui l’intéresse c’est de construire son existence à partir du manque dans le cas de la névrose, de la psychose et de la perversion, et non à partir des débris, comme c’est la préoccupation incessante du Moi, qu’il soit névrosé, psychotique ou pervers.

Ce n’est pas l’être qui garde le reste dans la poche, c’est le Moi, qu’il soit névrosé, pervers ou psychotique.

 

Je ne fais jamais référence au psychotique. Je préfère la formulation Moi du psychotique ou l’être psychotique ou l’être autiste, et dans ces deux derniers cas quand l’être tient dur comme fer à ne pas lâcher sa position d’exclu du champ de l’Autre barré. Le tout au nom de la haine, il s’agit ici de ce que j’appelle la décision de l’être.

Le psychotique n’est pas sujet de l’inconscient : le Moi du psychotique subit les organisations intramoïques car l’inconscient n’est que libido. Il faut que la libido s’articule à l’Autre non barré ou au Surmoi, pour qu’elle puisse avoir un statut humain, d’être prise par la parole. Le psychotique n’est pas non plus sujet du signifiant mais plutôt un être soumis à des expressions libidinales sous forme d’actes provenant de la résistance du Surmoi, ou des injonctions élaborées verbalement s’abattant sur le Moi sous forme d’injonctions provenant de l’Autre non barré.

L’être psychotique est soumis à la jouissance des organisations intramoïques (l’Autre non barré et la résistance du Surmoi), ce qui pour le Moi du psychotique est l’autre nom de l’enfer.

Ce n’est pas le Moi du clinicien qui laisse, ou non, le psychotique gouter au divan ou accéder à une vérité sur le savoir. La position de psychanalysant, qu’il s’agisse d’une structure psychotique ou non, est une décision de l’Autre barré et de l’être. Le devoir du clinicien est d’être au service du psychotique, de son transfert et de son discours. Il était question, pour deux fois, de l’expression « décision de l’être ». Il s’agit d’un alignement de l’être avec le Moi. J’articule cette expression avec une autre, à savoir, le « choix de l’être ». Ce choix est plus ancien et concerne le choix sexuel, le choix de la structure psychique ainsi que le choix du rapport que l’être maintiendra avec le Grand Autre barré (Ⱥ) pendant toute sa vie ainsi que durant toute son existence.





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