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Le Point fait-il le point, le poids ou simplement du commérage ?


Le Point fait-il le point, le poids ou simplement du commérage ?


Fernando de Amorim
À Paris, le 14 avril 2024
 
Où il y a de la haine, il y a un amour déçu, une frustration qui pousse à la vengeance.
 
Dans l’enquête du dimanche (« Psychanalyse : pourquoi tant de haine ? »), Le Point donne la parole à un monsieur de 80 ans, psychologue. À 80 ans, on devrait être en train de profiter d’une retraite bien méritée au lieu de dire et d’écrire des conneries. J’utilise ici une formule de Lacan : « La psychanalyse est un remède contre l’ignorance, elle ne peut rien contre la connerie ». Ce n’est pas tout à fait la formule, mais c’est dimanche, je suis en train de prendre mon goûter avec mon compagnon de route, monsieur J. D., en écrivant mon séminaire, quand un de mes élèves m’envoie le texte dudit magazine.
 
Ni une ni deux, je lâche Briquet, auteur du milieu du XIXe siècle (je suis à la page 588 de son Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie), pour répondre à l’avenir de la psychanalyse, à savoir un jeune clinicien qui n’a pas encore 30 ans, qui assure des cures, entre autres, avec des psychotiques, qui gagne correctement sa vie, qui fait un doctorat sur le désir justement. En d’autres mots, l’avenir de la France, de la psychanalyse, de l’apaisement de cette société en souffrance.
 
J’arrête tout pour faire le point et ainsi tuer dans l’œuf les coquetteries d’un monsieur très âgé.
 
Un monsieur qui ne fait pas la distinction entre la foi, le comique et la psychanalyse, n’a pas saisi cette dernière de toute évidence. Celui qui écrit cela est un monsieur âgé lui aussi, qui forme des psychanalystes, qui forge des styles et qui est en psychanalyse depuis 43 ans. En psychanalyse, non parce que ça ne va pas dans ma vie : j’ai rencontré l’amour, je paye mes impôts, je suis devenu père et grand-père. Je fais partie des êtres heureux, parce qu’il y a eu la psychanalyse dans ma vie. Comme je suis adepte du dicton « on ne change pas une équipe qui gagne ! », je continue ma psychanalyse. Quelques-uns ont abandonné leur psychanalyse personnelle, quelques-unes se sont auto-proclamées analystes. Mais cela ne fait pas d’eux et d’elles, de toute évidence, quelqu’un d’apte à occuper la position de psychanalyste.
 
Je ne suis pas "psy" ni "analyste", je n’aime pas la psychanalyse, je ne suis pas un adepte de la psychanalyse. Je ne mange pas de ce pain-là. Je suis très intéressé de savoir où m’amènera cette expérience qui est celle d’occuper la position de psychanalysant. Je ne suis pas disposé à fermer mon clapet quand quelqu’un, qui n’a aucune compétence pour parler de psychanalyse, se met à la critiquer. Celui qui a le droit de critiquer la psychanalyse, c’est celui qui a fait son tour ; pas même Magellan n’a ce droit, El Cano a ce droit. Il a été très bien interprété quand l’Autre barré, incarné par Charles Ier d’Espagne, l’honore d’un blason avec l’inscription Primus circumdedisti me.
 
La psychanalyse, une pseudoscience ? Mais d’après quels critères ? Ceux de monsieur le psychologue ? Ceux de Feyerabend, de Lakatos, de Kuhn, que j’aime tant, de Popper, qui arrive après le combat et qui n’est pas clinicien ? Il faut faire une distinction entre l’épistémologue et la mauvaise langue nourricière du commérage, qu’il soit psy ou journaliste.
 
Le monsieur fait dans la fâcherie de bistro, le tout parce qu’il mourra bientôt sans avoir pu occuper l’honorable position de psychanalyste, ce tout appuyé par des journalistes qui ne se mettent pas au travail d’examiner ce que font les femmes du RPH, des jeunes femmes qui assurent des cures avec des gens qui devraient être morts ou hospitalisés, mais qui viennent en consultation au quotidien, qui payent selon leur moyen, sans demander à la société française de payer pour leur traitement. C’est chez elles que se trouve l’honneur de l’être, au sens le plus noble, celui qui a commencé avec Aristote.
 
L’absence de dignité est du côté des détracteurs de la psychanalyse et non du côté de cette jeunesse courageuse qui brave des difficultés ignobles – je pense aux braves qui se cachent derrière leur pouvoir de fonctionnaire – pour assurer leur position clinique.
 
Le monsieur écrit : « Et puis le doute s’est installé : plus j’ai relu Freud, plus je l’ai trouvé absurde et arbitraire. » L’amour faux est un piège. Quelqu’un qui aime trop, dès qu’il n’a pas sa pitance amoureuse, montre son vrai visage, celui de la haine froide ou fourbe. La psychanalyse n’a jamais demandé d’amour, elle exige du respect pour le travail bien fait. Le psychanalyste est le premier à critiquer la psychanalyse, s’il veut occuper une position scientifique, comme le fait le physicien ou le biologiste sérieux.
 
Parler de fariboles de la psychanalyse, de salmigondis, c’est pousser le bouchon trop loin. Que dire de ces personnes qui assurent une vie de famille, un travail, qui ne sont pas dépendants de la charité nationale parce qu’ils sont en psychanalyse ou qu’ils rencontrent un psychanalyste ? C’est du solide, monsieur, ce n’est pas de la suggestion.
 
Avoir un référentiel psychanalytique, être analyste, être historien de la psychanalyse, parler de la psychanalyse à la radio ou à la télévision ne fait pas de quelqu’un un psychanalyste. Psychanalyste, c’est celui qui, à la fin d’un voyage dans des eaux jamais sillonnées de l’inconscient, arrive avec le psychanalysant devenu sujet à bon port.
 
Cette définition réduit énormément la quantité et la nomination des "psychanalystes", même si beaucoup se gargarisent de porter, voire de supporter, cet honorable signifiant.
 
J’avais institué que, dans l’avenir, quand quelqu’un viendra rencontrer un psychanalyste, il ne posera pas la question de savoir s’il est médecin, docteur ou n’importe quel autre titre universitaire. Il posera la question au clinicien : êtes-vous en psychanalyse ? Si le clinicien répond par l’affirmative, il est fiable ; s’il baratine ou répond par la négative, il ne l’est pas, fiable.
 
Depuis quand un psychologue a-t-il l’autorité, qu’il soit directeur du cnrs ou non, de parler de psychanalyse ? Le psychanalysant, la courageuse qui vient dénouer ses difficultés et construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée, a l’autorité de parler de psychanalyse. Ces jacasses qui éructent au nom de la science bavassent. Je discute épistémologie avec des cliniciens et avec des épistémologues dépourvus de passion. Depuis quand est-il possible de contester une discipline en partant d’abord du principe qu’elle est vraie ou fausse ?
 
Quantité d’études des chercheurs du cnrs ou de l'inserm – en minuscule, comme pour monsieur, puisqu’ils, ces messieurs, déshonorent le CNRS et l’INSERM –, n’ont aucune valeur scientifique. La valeur scientifique vient de celui qui a fait une psychanalyse et qui, à la sortie du voyage, affirme : « cela va mieux pour mon être » ou « c’est nul ! ». Depuis quand, du haut de la falaise, des psychologues, des enseignants universitaires ou des psychiatres peuvent-ils témoigner de ce que c’est de traverser la tempête de l’océan inconscient et d’arriver à bon port ?
 
Les concepts de la psychanalyse sont des balises pour de vrais marins et non pour des diplômés qui ne savent nager que dans les bassins couverts, telles les piscines municipales des arrondissements parisiens.
 
Le DSM est ce que peuvent produire de meilleur les Anglo‑Saxons…
 
Le monde anglo‑saxon, de toute évidence, n’est pas une référence pour la psychanalyse exercée en France. En revanche, les Anglo‑Saxons auraient beaucoup à apprendre avec la clinique française.
 
Un psychologue se forme à la psychologie, pas à la psychanalyse. Si un psychologue ou un psychiatre veut se former à la psychanalyse, il faut qu’il s’inscrive dans une école de psychanalyse. L’université n’a jamais formé qui que ce soit à la clinique. Elle décerne des diplômes. C’est important, nécessaire, mais pas suffisant.
 
La psychanalyse n’est pas une affaire d’appropriation. C’est au clinicien d’être suffisamment bon pour s’approprier la situation clinique inédite qui lui tombe dessus et la gérer de la manière la plus psychanalytique possible, à savoir de faire en sorte que le malade devienne patient, que ce dernier puisse devenir psychanalysant et enfin sujet. Pour cela, il faut une formation solide, un style forgé et une éthique excellente. La psychanalyse française propose cela. J’en suis témoin. Je m’en porte garant.
 
Freud signalait déjà à son époque cet arrangement que faisaient les psychiatres à prendre un peu de la psychanalyse, mais pas tout, comme s’ils étaient dans un supermarché thérapeutique. À vrai dire, ils ne sont pas psychanalystes, ni psychiatres, ni psychologues. Ils font du semblant. L’éthique n’est pas au rendez‑vous transférentiel. Voilà pourquoi j’avais dit que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin, cela pour protéger la psychanalyse, et surtout le psychanalysant, du Moi de l’analyste. Ils ont refusé en bloc ma proposition. Je me délecte à constater leur absence de courage.
 
Au RPH, les psychanalystes prouvent que la psychanalyse a de beaux jours devant elle. Ce n’est pas une idéologie, un amour aveugle, mais la constatation que, face au malade, au patient, au psychanalysant, la méthode et les techniques psychanalytiques sortent le clinicien de l’embarras et celui qui souffre d’une jouissance qui l’absorbe, voire l’engloutit.
 
Il faut comparer le comparable : la psychanalyse ne peut pas être comparée à d’autres psychothérapies, parce qu’elle n’en est pas une. Il est impossible de comparer la psychanalyse de Jacques avec la psychothérapie de Marie.
 
Mais las, ces gens, universitaires apparemment ayant autorité discursive, n’ont-ils donc jamais entendu parler d’épistémologie ?
 
La psychanalyse est une construction subjective. Il est possible de comparer les petits des hippocampes, pas ceux des êtres humains, car les premiers naissent au moins deux dans le même espace‑temps et que les seconds – c’est la radicalité du Réel – ne peuvent être parmi nous qu’un par un.
 
Ce n’est pas la psychanalyse qui est dépassée, ce sont ces pauvres malheureux qui se mêlent de parler de ce qu’ils ne connaissent pas.
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